Il est d’abord incontestable que la nouvelle loi du 25 avril 2023 est beaucoup plus respectueuse des principes universels qui régissent l’exercice du droit syndical. A cet effet , et contrairement à l’ancienne loi n° 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical qui était très restrictive, la loi du 25 avril 2023 a pris soin de mentionner dans ses visas les conventions de l’OIT ratifiées par l’Algérie en l’occurrence :
- la convention de l’OIT n° 87 relative à la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée le 9 juillet 1948, ratifiée par l’Algérie le 19 octobre 1962.
- la convention de l’OIT n° 98 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective adoptée le 1er juillet 1949, ratifiée par l’Algérie le 19 octobre 1962
- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques adoptés le 16 décembre 1966, notamment son article 8, ratifié par l’Algérie 16 mai 1989.
- la convention de l’OIT n°135 concernant la protection des représentants des travailleurs dans l'entreprise et les facilités à leur accorder adoptée le 23 juin et ratifiée par l’Algérie 11 février 2006
- la convention de l’OIT n° 144 concernant les consultations tripartites destinées à promouvoir la mise en œuvre des normes internationales du travail, adoptée à le 21 juin 1976, ratifiée par l’Algérie 13 juin 1992.
La nouvelle loi et en vertu de ces visas devait s’inspirer des conventions internationales mentionnées ce qui est en soi est une avancée incontestable par rapport à l’ancienne loi du 2 juin 1990 qui ne faisait aucune référence à ces instruments internationaux alors même qu’ils étaient déjà ratifiées par l’Algérie.
L’ancienne loi du 2 juin 1990 abrogée disposait dans son article 1 qu’elle s’applique à « l’ensemble des travailleurs salariés et employeurs » sans autre précision , ce qui aurait pu laissé place à une lecture restrictive de la notion de « salariés » en excluant les agents publics. La nouvelle loi du 25 avril 2023 a levé cette ambigüité en disposant expressément dans son article 2 qu’elle s’applique « aux travailleurs salariés, quelle que soit la nature juridique de leur relation de travail ainsi qu’aux agents publics exerçant au sein des institutions et administrations publiques, quels que soient leurs statuts ou la nature juridique de leur relation de travail ). L’article 5 de la même loi inséré dans le titre relatif à la protection de la liberté syndical dispose de son coté que « L'exercice du droit syndical est reconnu aux travailleurs et aux employeurs dans toutes les entreprises du secteur économique, les institutions et administrations publiques ainsi que dans tout organisme quel que soit son statut dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution, notamment, la liberté individuelle et collective du travail ». Paradoxalement , alors que la nouvelle loi ne fait plus de distinction entre les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public y compris les travailleurs et fonctionnaires de la fonction publique , l’Algérie n’a pas encore ratifié la convention de l’OIT n° 151 relative aux relations de travail dans la fonction publique.
Cette nouvelle formulation de l’article 2 de la loi du 25 avril 2023 fait sauter le verrou qui empêchait certaines catégories de salariés relevant du statut de la fonction publique ou de certains statuts particuliers à l’instar des fonctionnaires ou des magistrats d’exercer pleinement et sans restriction le droit de créer des syndicats. Cette liberté de créer un syndicat reconnu à toutes les catégories de salariés sans distinction d’aucune sorte est aussi expressément reconnu par l’article 6 qui dispose que « Les travailleurs salariés et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, peuvent adhérer librement et volontairement à une organisation syndicale de leur choix dans le cadre de leur profession ».Par contre les travailleurs salariés relevant du secteur de la défense nationale et de la sûreté nationale ne sont pas régis par la nouvelle loi.
La loi du 25 avril 2023 a assoupli les modalités de constitution des syndicats. Le syndicat est déclaré légalement constitué après le dépôt de constitution auprès de l’autorité publique concernée , et après délivrance d’un récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution . La nouvelle loi , si elle a maintenu la formalité de délivrance du récépissé d’enregistrement de la déclaration pour que le syndicat soit officiellement constitué , elle oblige par contre l’autorité administrative à délivrer ce récépissé au plus tard 30 jours ouvrables après le dépôt du dossier. L’absence de réponse dans ce délai de 30 jours de la part de l’autorité administrative auprès de laquelle a été déposée la déclaration de constitution vaut enregistrement de l’organisation syndicale , et le récépissé d’enregistrement doit être délivré dans un délai n'excédant pas 8 jours. La nouvelle loi reconnait toujours à l’administration le droit de refuser l’enregistrement de la déclaration de constitution du syndicat, mais ce refus n’est pas définitif et il est seulement suspendu .En cas de suspension de la délivrance du récépissé d’enregistrement , l’administration est tenue de notifier aux membres fondateurs du syndicat les réserves ayant empêché cet enregistrement à l’effet de les lever .Une fois les réserves levées et le dossier mis en conformité , le récépissé d’enregistrement de la déclaration doit être délivré dans les 8 jours et à défaut la décision de refus sera considérée par le juge administratif en cas de contestation comme abusive et entachée d’excès de pouvoir .
De par les nouvelles dispositions relatives aux modalités de constitution des organisations syndicales de travailleurs ou d’employeurs, le refus de l’enregistrement de la déclaration de constitution d’un syndicat opposé par l’administration peut être facilement contesté devant la juridiction administrative compétente qui a désormais des outils juridiques plus nombreux à même de sanctionner et d’annuler ce refus. Ainsi décision de refus d’enregistrement de la déclaration de constitution d’un syndicat qui n’est pas suffisamment et légalement motivée et dépourvue de réserves sérieuses adossées aux dispositions de la loi du 25 avril 2023 sera systématiquement annulé par le juge avec injonction à l’autorité publique de procéder sans délai à cet enregistrement y compris sous astreinte.
La nouvelle loi a prévu un titre spécifique ( le titre 6) à la protection des travailleurs adhérents à l’organisation syndicale. Ainsi la protection est garantie à tout travailleur membre d’une organisation syndicale, qu’elle soit représentative ou non , et il est interdit de prendre à l’encontre de tout membre d’une organisation syndicale une décision de licenciement, ou toute autre sanction disciplinaire qui serait en lien avec son appartenance ou son activité syndicale.Le délégué syndical ne peut être muté durant la période de son mandat sur un autre lieu de travail que celui où il a été élu , ou de changer son poste de travail sauf nécessité de service justifiée. En cas de poursuites disciplinaires engagées contre un membre d’une organisation syndicale, l’employeur doit informer par lettre recommandée avec accusé de réception le travailleur concerné, son organisation syndicale ainsi que l’inspecteur du travail territorialement compétent s’il décide de licencier ou de révoquer le travailleur concerné pour faute grave.
Pour mieux protéger l’exercice du droit syndical , la loi du 25 avril 2023 a institué une nouvelle procédure qui permet au travailleur salarié victime de discrimination en rapport avec son activité syndicale de déposer une requête écrite auprès de l’inspecteur du travail territorialement compétent qui procèdera à une enquête .Si l’enquête diligentée par l’inspecteur du travail aboutit à la constatation du bien-fondé de la requête du travailleur , l’inspecteur du travail met en demeure l’employeur d’annuler la décision prise contre le salarié sous peine de poursuites pénales . En outre si l’employeur prévoit de licencier pour faute grave un travailleur bénéficiant de la protection syndicale , il doit informer l’inspecteur du travail territorialement compétent par lettre recommandée avec accusé de réception , et l’inobservation de cette formalité entrainera de droit l’annulation par le juge de la décision de licenciement.
La nouvelle loi reconnait à l’inspecteur du travail des attributions qui relevaient sous l’ancienne loi du juge social . L’inspecteur du travail , à qui l’employeur a notifié sa décision de licencier un travailleur membre d’une organisation syndicale , procèdera à une enquête en vue de s’assurer que le motif invoqué pour justifier le licenciement est strictement d’ordre professionnel et sans aucun lien avec l’appartenance ou l’activité syndical , et si l’inspecteur du travail constate que le licenciement a été prononcé en raison de l’activité syndicale du travailleur protégé, il met en demeure l’employeur de renoncer à la décision de licenciement ou de réintégrer le travailleur dans son poste de travail et de le rétablir dans ses droits . En cas de refus de l’employeur , l’inspecteur du travail dresse simultanément un procès-verbal d’infraction et un autre de refus d’obtempérer à la mise en demeure dont une copie est remise au travailleur et à son organisation syndicale pour les utiliser devant la juridiction compétente. Le tribunal saisi annulera la décision de licenciement et ordonnera la réintégration de droit du travailleur dans son poste de travail sous astreinte journalière avec maintien de tous les avantages acquis à la date du licenciement, en sus des dommages et intérêts que pourrait réclamer le travailleur protégé ou son organisation syndicale en réparation du préjudice subi. La même protection est accordée par les articles 143 à 147 aux fonctionnaires et agents publics dans les institutions et administrations publiques.
La nouvelle loi a aussi mis un terme aux polémiques récurrentes qui surgissent lors des tripartites organisées par les pouvoirs publics et où la représentativité des organisations syndicales invitées est remise en cause par certains syndicats autonomes .
En vertu de l’article 89 de la loi du 25 avril 2023 , les organisations syndicales les plus représentatives à l’échelle nationale sont consultées dans les domaines en rapport avec leur objet, notamment en matière d’élaboration et d’évaluation des programmes nationaux ou locaux de développement économique, social et environnemental , de politique de l’emploi, de protection du pouvoir d’achat ,de politique des rémunérations , d’élaboration, d’évaluation et de révision de la législation et de la réglementation relatives au travail, à l’emploi et à la sécurité sociale , et dans le processus de ratification et de mise en œuvre des traités internationaux en matière économique, sociale et environnementale. Elles participent également aux consultations et concertations organisées par le Gouvernement dans le cadre du dialogue social tripartite. Elles sont représentées dans les conseils d’administration des organismes de sécurité sociale , dans le conseil supérieur de la fonction publique ,dans le conseil paritaire de la fonction publique et dans la commission nationale et la commission de wilaya d’arbitrage. Cette représentation n’est pas facultative mais de droit. Dorénavant ce n’est plus le gouvernement qui choisit unilatéralement et arbitrairement le syndicat qui sera invité à la consultation dans le cadre d’une tripartite , mais c’est la représentativité de l’organisation syndicale du secteur concerné qui en sera le critère, sachant que la représentativité des organisation syndicale et leurs attributions sont définies par les articles 68 à 91 de la même loi .
Malgré ces avancées notables en matière d’exercice du droit syndical et de représentativité des organisations syndicales, il persiste dans la nouvelle loi certains réticences ou pratiques qui indirectement brident l’exercice libre et entier du droit syndical .
La loi du 25 avril 2023 contient pas moins de 10 articles qui interdisent, sous peine de dissolution du syndicat et de poursuites pénales, tout exercice d’une activité politique ou tout rapprochement avec un parti politique. Les statuts et les règlements intérieurs des organisations syndicales doivent , sous peine de refus de délivrance du récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution , prévoir l’indépendance totale à l’égard de tout parti politique, association ou groupe de pression et la séparation de l’activité syndicale de l’activité politique.
Il est vain de croire qu’une organisation syndicale , à fortiori s’il s’agit d’une fédération ou d’une confédération , doit nécessairement se cantonner dans la sphère syndicale sans interpénétration avec la sphère politique, et ce alors que certaines dispositions de la loi du 25 avril 2023 font obligation à l’Etat de se concerter avec les organisations syndicales représentatives sur des questions qui par nature sont éminemment politique ( élaboration et évaluation des programmes nationaux ou locaux de développement économique, social et environnemental , politique de l’emploi, protection du pouvoir d’achat , politique des rémunérations , réglementation relative au travail, à l’emploi et à la sécurité sociale , ratification et la mise en œuvre des traités internationaux en matière économique, sociale et environnementale….). Interdire aux syndicats de faire de la politique tout en les invitant à donner leurs avis sur des questions qui touchent à la politique est en soi une contradiction. Les syndicats de par la nouvelle loi sont devenus des acteurs incontournables qui occuperont une place originale dans le système politique national quant bien même leur objet diffère de celui des partis politiques. Il est vrai qu’au vu des ressources et des moyens dont disposent les syndicats, la tentation sera grande pour un parti politique de les contrôler et de les utiliser comme relais, mais il n’appartient pas à l’Etat de légiférer sur cette question.
En matière de financement des organisations syndicales , la nouvelle loi a maintenu les sources de financement en vigueur dans l’ancienne loi du 2 juin 1990 .Elles sont constituées par les cotisations de ses membres , les revenus liés à ses activités , les dons et legs et les subventions éventuelles de l’Etat et des collectivités locales. La nouvelle loi autorise les dons et legs provenant d'organisations syndicales ou d'organismes étrangers ou nationaux mais à la condition d’avoir l’accord préalable des autorités administratives compétentes qui en vérifient l'origine, le montant, la compatibilité avec les buts assignés par le statut de l'organisation syndicale et les contraintes qu'ils peuvent faire naître sur elles. Toute perception de dons et legs en violation des dispositions légales entrainera la dissolution de l’organisation syndicale par voie judiciaire et ce en application des articles 65 et 152 de la loi du 25 avril 2023.
L’interdiction de recevoir librement des dons et legs de l’étranger qui par ailleurs s’applique aux associations , et qui est sans doute motivée par le souci d’éviter l’influence d’une partie étrangère , n’est pas pertinent du moment qu’il s’agit d’une organisation syndicale et non d’un parti politique , sachant que l’article 5 de la convention de l’OIT n° 87 relative à la liberté syndicale et la protection du droit syndical ratifiée par l’Algérie reconnaît aux organisations de travailleurs et d'employeurs le droit de s'affilier sans entraves à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs ce qui indirectement implique une entraide internationale .Au lieu de confier à l’administration le contrôle du soutien venant de l’étranger vers les syndicats , on aurait pu simplement imposer aux syndicats qui reçoivent un tel soutien des obligations de transparence administrative et comptable permettant le contrôle de l’Etat algérien.
Les dispositions de l’article 56 de la loi du 25 avril 2023 qui limite la durée du mandat des membres des organes de direction et/ou d’administration à 5 ans renouvelable une seule fois , et interdit d’exercer plus de deux mandats syndicaux consécutifs ou séparés sont aussi en porte à faux autant avec le principe édicté par l’article 12 de la même loi qui dispose que les organisations syndicales sont indépendantes dans leur fonctionnement , que par l’article 3 de la convention internationale de l’OIT n° 87 sur la liberté syndicale ratifiée par l’Algérie qui stipule que les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants , et que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
En résumé , si la nouvelle loi du 25 avril 2023 est globalement positive et est fortement inspirée des conventions de l’OIT qui garantissent la liberté syndicale et le libre exercice du droit syndical, par contre certaines dispositions insérées dans la nouvelle loi fortement inspirées par la législation en vigueur relative aux partis politique peuvent négativement influer sur le plein exercice du droit syndical.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com