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La nouvelle loi relative à l’exercice du droit syndical : Les nouvelles règles.

mohamed brahimi Par Le 14/05/2023

Syndicat

La nouvelle loi n° 23-02 du 25 avril 2023 relative à l’exercice du  droit syndical qui était très attendue aussi bien par les travailleurs que par les employeurs vient d’être promulgué et publié au journal officiel n° 29 du 2 mai 2023. Les premières réactions des organisations syndicales de  travailleurs  ont été dans leur globalité négatives et ont  reproché entres autres aux pouvoirs publics de ne pas les avoir suffisamment  consulté lors de l’élaboration de cette loi . Certains syndicats autonomes  ont  même  rejeté  cette loi  estimant que celle-ci est attentatoire au principe  du libre exercice du droit  syndical garanti par l’article 69 de la Constitution et qu’elle est en porte à faux avec les conventions internationales de l’Organisation Internationale  du Travail (OIT) ratifiées par l’Algérie. Quant aux  opérateurs du secteur économique qui sont aussi concernés par cette loi , leurs organisations patronales  ont été  plus discrètes. Par contre pour les concepteurs de cette loi , ils s’agissait  de donner plus de valeur à l’activité syndicale , de consacrer la liberté d’exercer le droit syndical et de s’aligner sur les dispositions des conventions de l’OIT ratifiées par l’Algérie .Quant est-il exactement ?

 

Il est d’abord incontestable que la nouvelle loi du 25 avril 2023  est beaucoup plus respectueuse des principes  universels qui régissent l’exercice du droit syndical. A cet effet , et contrairement à l’ancienne loi n° 90-14 du  2 juin 1990   relative aux modalités d’exercice du droit syndical qui était très restrictive, la loi du  25 avril 2023 a pris soin  de mentionner dans ses visas les conventions  de l’OIT ratifiées par l’Algérie en l’occurrence :

- la convention de l’OIT n° 87 relative à la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée le  9 juillet 1948, ratifiée par l’Algérie le 19 octobre 1962.

- la convention de l’OIT n° 98 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective  adoptée le 1er juillet 1949, ratifiée  par l’Algérie le 19 octobre 1962

- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques adoptés   le 16 décembre 1966, notamment son article 8, ratifié   par l’Algérie 16 mai 1989.

- la convention de l’OIT n°135 concernant la protection des représentants des travailleurs dans l'entreprise et les facilités à leur accorder  adoptée  le 23 juin et  ratifiée  par l’Algérie 11 février 2006

- la convention de l’OIT n° 144 concernant les consultations tripartites destinées à promouvoir la mise en œuvre des normes internationales du travail, adoptée à   le 21 juin 1976, ratifiée par l’Algérie  13 juin 1992. 

La nouvelle loi et en vertu de ces visas devait s’inspirer des conventions internationales mentionnées  ce qui est en soi est une avancée  incontestable par rapport à l’ancienne  loi  du  2 juin 1990   qui   ne faisait aucune référence à ces instruments internationaux alors même qu’ils  étaient déjà ratifiées par l’Algérie.

L’ancienne loi du 2 juin 1990 abrogée  disposait dans son  article 1 qu’elle s’applique à « l’ensemble des travailleurs salariés et employeurs » sans autre précision , ce qui aurait pu laissé place à une lecture restrictive de la notion de « salariés »  en excluant  les agents publics.  La nouvelle loi du 25 avril 2023 a levé cette ambigüité en disposant expressément dans son article 2 qu’elle s’applique «  aux travailleurs salariés, quelle que soit la nature juridique de leur relation de travail ainsi qu’aux agents publics exerçant au sein des institutions et administrations publiques, quels que soient leurs statuts ou la nature juridique de leur relation de travail  ).  L’article  5 de la même loi  inséré  dans le titre relatif  à la protection  de la liberté syndical  dispose de son coté  que «   L'exercice du droit syndical est reconnu aux travailleurs et aux employeurs dans toutes les entreprises du secteur économique, les institutions et administrations publiques ainsi que dans tout organisme quel que soit son statut dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution, notamment, la liberté individuelle et collective du travail ». Paradoxalement , alors que la nouvelle  loi ne fait plus de distinction entre les travailleurs du secteur privé  et ceux du secteur public y compris les travailleurs et fonctionnaires de la fonction publique , l’Algérie n’a pas encore ratifié la convention de l’OIT n° 151  relative aux relations de travail dans la fonction publique.

Cette nouvelle formulation de l’article 2 de la loi du 25 avril 2023 fait sauter  le verrou qui empêchait  certaines catégories  de salariés relevant du statut de la fonction publique ou de certains statuts particuliers à l’instar des fonctionnaires ou des  magistrats  d’exercer pleinement et sans restriction le  droit  de créer  des syndicats. Cette liberté de créer un syndicat reconnu à toutes les catégories de salariés sans distinction d’aucune sorte est aussi expressément reconnu par  l’article 6 qui dispose que « Les travailleurs salariés et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, peuvent adhérer librement et volontairement à une organisation syndicale de leur choix dans le cadre de leur profession ».Par contre les  travailleurs salariés relevant du secteur de la défense nationale et de la sûreté nationale ne sont  pas régis par  la nouvelle loi.

La  loi du  25 avril 2023  a assoupli les modalités de constitution des syndicats. Le syndicat est déclaré légalement constitué après le dépôt de constitution auprès de l’autorité publique concernée , et après délivrance d’un récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution . La nouvelle loi  , si elle a maintenu la formalité de délivrance du récépissé d’enregistrement de la déclaration pour que le syndicat soit officiellement constitué ,  elle oblige par contre  l’autorité administrative à délivrer ce récépissé  au plus tard 30  jours ouvrables après le dépôt du dossier. L’absence de réponse dans ce délai de 30 jours  de la part de l’autorité administrative   auprès de laquelle a été déposée la déclaration  de constitution  vaut enregistrement de l’organisation syndicale , et le récépissé d’enregistrement  doit être  délivré dans un délai n'excédant pas  8 jours.  La nouvelle loi reconnait  toujours à l’administration le droit de refuser  l’enregistrement  de la déclaration de constitution  du syndicat,  mais ce refus n’est pas définitif  et il est seulement suspendu .En cas de suspension de la délivrance du récépissé d’enregistrement ,  l’administration est tenue de notifier aux membres fondateurs du syndicat  les réserves ayant empêché cet enregistrement à l’effet de les lever .Une fois les réserves levées et le dossier mis en conformité , le récépissé d’enregistrement de la déclaration doit être  délivré dans les 8 jours et à défaut la décision de refus  sera considérée par le juge administratif en cas de contestation comme abusive et entachée d’excès de pouvoir .

De par les nouvelles dispositions relatives aux modalités de constitution des organisations syndicales  de  travailleurs ou d’employeurs, le  refus de l’enregistrement  de la déclaration de constitution  d’un syndicat   opposé par l’administration peut être  facilement contesté  devant la juridiction administrative compétente qui a désormais des outils juridiques plus nombreux  à même de  sanctionner et d’annuler ce refus. Ainsi  décision de  refus d’enregistrement  de la déclaration de constitution  d’un syndicat qui n’est pas suffisamment et légalement motivée et dépourvue de  réserves  sérieuses  adossées aux dispositions de la loi  du 25 avril 2023 sera systématiquement annulé  par le juge avec injonction à l’autorité publique de procéder sans délai  à cet enregistrement y compris sous astreinte.

La nouvelle loi a prévu un titre spécifique ( le titre 6)   à la protection des travailleurs adhérents à l’organisation syndicale.  Ainsi la protection est garantie   à tout travailleur membre d’une organisation syndicale, qu’elle soit représentative ou non , et il  est interdit de prendre à l’encontre de tout membre d’une organisation syndicale une décision de licenciement, ou toute autre sanction disciplinaire qui serait en lien avec son appartenance ou son activité syndicale.Le délégué syndical ne peut être  muté  durant la période de son mandat  sur un autre lieu de travail que celui où il a été élu , ou de changer son poste de travail sauf nécessité de service justifiée. En cas de poursuites    disciplinaires engagées contre un membre d’une organisation syndicale, l’employeur doit informer par lettre recommandée avec accusé de réception le travailleur  concerné, son organisation syndicale ainsi que l’inspecteur du travail territorialement compétent s’il décide de licencier ou de révoquer le travailleur concerné pour faute grave.

Pour mieux protéger l’exercice du droit syndical , la  loi  du 25 avril 2023 a institué une nouvelle procédure qui permet  au  travailleur salarié victime de discrimination  en rapport avec son activité syndicale  de  déposer une requête écrite auprès de l’inspecteur du travail territorialement compétent qui procèdera à une enquête .Si l’enquête diligentée par l’inspecteur du travail   aboutit  à la constatation du bien-fondé de la requête du travailleur  ,  l’inspecteur du travail met en demeure l’employeur  d’annuler la décision prise contre le salarié sous peine de poursuites pénales . En outre  si l’employeur  prévoit de licencier  pour faute grave  un travailleur bénéficiant de la protection syndicale , il  doit informer l’inspecteur du travail territorialement compétent par lettre recommandée avec accusé de réception , et l’inobservation de cette formalité entrainera de droit l’annulation par le juge de la décision de licenciement.

La nouvelle loi  reconnait à l’inspecteur du travail des attributions  qui relevaient sous l’ancienne loi  du juge social . L’inspecteur du travail , à qui l’employeur  a notifié sa décision de licencier un  travailleur membre d’une organisation syndicale ,  procèdera à une enquête  en vue de s’assurer que le motif invoqué pour justifier le licenciement est strictement d’ordre professionnel et sans aucun lien avec l’appartenance ou l’activité syndical , et si l’inspecteur du travail  constate que le licenciement  a été prononcé  en raison de   l’activité syndicale du travailleur protégé, il met en demeure l’employeur de renoncer à la décision de licenciement ou de réintégrer le travailleur dans son poste de travail et de le rétablir dans ses droits . En cas de refus   de l’employeur , l’inspecteur du travail dresse simultanément un procès-verbal d’infraction et un autre de refus d’obtempérer à la mise en demeure dont une copie est remise au travailleur et à son organisation syndicale  pour les utiliser devant la juridiction compétente. Le tribunal saisi annulera la décision  de licenciement et ordonnera  la réintégration de droit du travailleur dans son poste de travail  sous astreinte journalière avec maintien  de tous les avantages acquis à la date du licenciement, en sus  des dommages et intérêts que pourrait réclamer le travailleur protégé ou son organisation syndicale en réparation du préjudice subi. La même protection est accordée par les articles 143 à 147 aux  fonctionnaires et agents publics dans les institutions et administrations publiques.

La nouvelle loi a aussi mis un terme aux polémiques récurrentes qui surgissent  lors des  tripartites organisées  par les pouvoirs publics et où la représentativité des organisations syndicales  invitées est remise  en cause par certains  syndicats  autonomes .

En vertu de l’article 89 de la loi du 25 avril 2023 ,  les  organisations syndicales les plus représentatives à l’échelle nationale sont consultées  dans les domaines en rapport avec leur objet,  notamment en matière d’élaboration et d’évaluation des programmes nationaux ou locaux de développement économique, social et environnemental , de   politique de l’emploi, de  protection du pouvoir d’achat ,de  politique des rémunérations  , d’élaboration, d’évaluation  et de  révision de la législation et de la réglementation relatives au travail, à l’emploi et à la sécurité sociale , et dans le processus de    ratification et de mise en œuvre des traités internationaux en matière économique, sociale et environnementale. Elles participent également aux consultations et concertations organisées par le Gouvernement dans le cadre du dialogue social tripartite. Elles sont représentées  dans   les   conseils d’administration des organismes de sécurité sociale  , dans  le conseil supérieur de la fonction publique ,dans  le conseil paritaire de la fonction publique et dans  la commission nationale et la commission de wilaya d’arbitrage. Cette représentation n’est pas facultative mais de droit. Dorénavant  ce n’est plus le gouvernement qui choisit  unilatéralement et arbitrairement  le syndicat  qui sera invité  à la consultation dans le cadre d’une tripartite , mais c’est la représentativité  de  l’organisation syndicale  du secteur concerné  qui en sera le critère, sachant que la  représentativité  des  organisation syndicale   et leurs attributions sont définies par les articles 68 à 91 de la même loi  .

Malgré ces avancées notables en matière  d’exercice  du droit syndical et de représentativité des organisations syndicales, il persiste dans la nouvelle loi certains réticences ou pratiques qui  indirectement brident l’exercice libre et   entier  du droit syndical .  

La   loi du 25 avril 2023  contient pas moins de 10 articles qui  interdisent, sous peine de dissolution du syndicat et de poursuites pénales, tout  exercice d’une activité politique ou tout  rapprochement avec un parti politique. Les statuts et les règlements intérieurs des organisations syndicales doivent , sous peine de refus   de délivrance du  récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution ,   prévoir  l’indépendance totale  à l’égard de tout parti politique, association ou groupe de pression et la séparation de l’activité syndicale de l’activité politique.

Il est vain de croire qu’une organisation syndicale ,  à fortiori s’il s’agit d’une fédération ou d’une confédération , doit nécessairement se cantonner  dans la sphère syndicale sans interpénétration avec la sphère politique, et ce alors que   certaines dispositions   de la   loi  du 25 avril 2023 font  obligation à l’Etat de se concerter avec les organisations syndicales représentatives  sur  des questions  qui par nature  sont éminemment politique (  élaboration et  évaluation des programmes nationaux ou locaux de développement économique, social et environnemental ,    politique de l’emploi,   protection du pouvoir d’achat ,   politique des rémunérations  , réglementation relative  au travail, à l’emploi et à la sécurité sociale ,    ratification et la mise en œuvre des traités internationaux en matière économique, sociale et environnementale….). Interdire aux syndicats de faire de la politique tout en les invitant  à donner leurs avis sur des questions qui touchent  à la politique   est en soi une contradiction. Les syndicats de par  la nouvelle loi sont devenus des acteurs incontournables  qui occuperont  une place originale dans le système politique national quant bien même  leur objet diffère de celui des partis politiques. Il est  vrai qu’au vu des ressources et des moyens dont disposent  les syndicats,  la tentation sera grande pour un parti politique de les contrôler  et de les utiliser comme relais,  mais il n’appartient pas à l’Etat de légiférer sur cette question.

En matière de financement des organisations syndicales  , la nouvelle loi a maintenu   les sources de  financement  en vigueur  dans l’ancienne loi du  2 juin 1990 .Elles sont constituées par  les cotisations de ses membres , les revenus liés à ses activités , les dons et legs et  les subventions éventuelles de l’Etat et des collectivités locales. La nouvelle loi autorise les dons et legs provenant d'organisations syndicales ou d'organismes étrangers ou nationaux mais  à la condition d’avoir l’accord préalable des autorités administratives compétentes qui en vérifient l'origine, le montant, la compatibilité avec les buts assignés par le statut de l'organisation syndicale et les contraintes qu'ils peuvent faire naître sur elles. Toute  perception de dons et legs en violation des dispositions légales entrainera la dissolution de l’organisation syndicale par voie judiciaire et ce en application  des articles 65 et 152 de la loi du 25 avril 2023.

 L’interdiction de recevoir librement des dons et legs de l’étranger qui par  ailleurs s’applique aux associations , et qui est sans doute motivée par le souci d’éviter l’influence d’une partie étrangère , n’est pas pertinent  du moment qu’il s’agit d’une organisation syndicale et  non d’un parti politique , sachant que l’article  5 de la convention de l’OIT n° 87 relative à la liberté syndicale et la protection du droit syndical ratifiée par l’Algérie  reconnaît  aux  organisations de travailleurs et d'employeurs le droit de s'affilier sans entraves à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs ce qui indirectement implique une entraide internationale .Au lieu de confier à l’administration le contrôle du soutien  venant de l’étranger vers les syndicats , on aurait pu simplement imposer aux syndicats qui reçoivent un tel soutien des obligations de transparence administrative et comptable permettant  le contrôle de l’Etat algérien.

Les dispositions de l’article 56  de la loi du 25 avril 2023 qui limite la durée du mandat  des membres des organes de direction et/ou d’administration à 5 ans  renouvelable une seule  fois , et interdit  d’exercer plus de deux   mandats syndicaux consécutifs ou séparés  sont aussi   en porte à faux  autant avec le principe édicté par  l’article 12  de la même loi qui dispose que  les organisations syndicales sont indépendantes dans leur fonctionnement , que par  l’article 3  de la convention internationale de l’OIT n° 87 sur la liberté  syndicale ratifiée par l’Algérie qui stipule  que les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants , et que  les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.

En résumé , si la nouvelle loi du  25 avril 2023 est globalement positive et est fortement inspirée des conventions de l’OIT qui garantissent la liberté  syndicale et le libre exercice du droit syndical, par contre certaines dispositions insérées dans la nouvelle loi fortement inspirées par la législation en vigueur relative aux partis politique peuvent négativement influer sur le plein exercice du droit syndical. 

Maitre BRAHIMI Mohamed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com