Il est incontestable comme l’a relevé la Cour des comptes que la condamnation des collectivités locales à des montants élevés et qui dans leur grande majorité souffrent de manque de moyens et de conditions financières fragiles aura des conséquences néfastes sur la bonne exécution des multiples missions qui leur sont assignées en matière de gestion de services publics locaux et d’infrastructures ou d’équipements de proximité.
Apres avoir constaté à travers ses contrôles précédents l’ampleur des condamnations pécuniaires prononcées à l’encontre des collectivités locales en exécution des décisions de justice, la Cour des comptes retrace les principales causes de ces condamnations . Elle constate que ces condamnations sont d’abord la conséquence des violations par les gestionnaires locaux des dispositions législatives et réglementaires régissant l’utilisation et la gestion des fonds et du patrimoine publics. Ces condamnations sont prononcées lorsque ces collectivités s’abstiennent ou se trouvent dans l’incapacité d’honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs créanciers par les voies légales ce qui conduit ces créanciers à recourir aux juridictions compétentes en l'occurence les tribunaux administratifs pour recouvrer leurs droits et obtenir, le cas échéant, des réparations pour les dommages qui leur sont causés. Au titre des principales causes ayant conduit à ces condamnation il est cité : - l'engagement de dépenses en l’absence de visas réglementaires ou sans la disponibilité de crédits ; - la violation des règlements relatifs à la gestion foncière et aux marchés publics ; - des dépenses résultant des instructions de la tutelle ou de décisions malavisées ; - le défaut de coordination entre les différents intervenants locaux et l’absence de suivi du contentieux par les services habilités.
La Cour des comptes a relevé que malgré ses précédents rapports où ont été relevées ces pratiques illégales entrainant des condamnations pécuniaires qui affectent lourdement la santé financière des collectivités locales , celles-ci ont persisté dans ces pratiques . Il a été relevé que très souvent , l’exécution des décisions de justice portant condamnation de la collectivité locale à verser des sommes au titre d’indemnisation de la partie adverse se fait par voie de prélèvements effectués d’office par les services du Trésor sur les budgets des collectivités concernées.
Elle a rappelé dans son rapport les règles applicables à l’exécution des décisions judicaires portant condamnations pécuniaires rendues à l’encontre des collectivités locales .Dans le souci de garantir aux justiciables l’exécution des jugements rendus contre les collectivités locales ou contre l’Etat , la loi n° 91-02 du 08 janvier 1991 relative aux dispositions particulières à certaines décisions de justice abrogée et remplacée par l'article 986 de la loi n° 22-13 du 12 juillet 2022 modifiant et complétant le code de procédure civie et administrative prévoit une procédure spéciale à cet effet. Elle consacre le principe de permettre aux justiciables ayant obtenu des décisions judiciaires exécutoires comportant des condamnations de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics à caractère administratif de recouvrer leurs créances, qui restent sans effet après expiration des délais d'exécution, en adressant une requête écrite au trésorier de leur wilaya de résidence. Cette requête est accompagnée d'une copie de la décision portant condamnation de l'organisme public et de tous les documents prouvant que la tentative d'exécution du jugement est restée infructueuse pendant deux mois depuis le dépôt du dossier auprès de l’huissier de justice. Les condamnations des collectivités locales ou des établissements publics à caractère administratif sont exclusivement de la compétence des juridictions administratives mais depuis la promulgation de la loi n° 22-13 du 12 juillet 2022 modifiant et complétant le code de procédure civile et administrative , les jugements rendus par le tribunal administratif sont susceptibles d’appel devant tribunal administratif d'appel , aussi ces jugements ne sont exécutoires qu'après expiration des délais de recours ou qu’après que l’arrêt du tribunal administratif d'appel soit rendu.
Les chiffres dévoilés par la Cour des comptes concernant les montants débités d’office en vertu des jugements de condamnation sont faramineux. Le total des débits d’office résultant des condamnations pécuniaires à l’encontre de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics à caractère administratif, pour la période de 2016 à 2020, s'élève au niveau national à plus de 131 milliards de dinars, se répartissant comme suit : - décisions de justice rendues contre l'Etat : 75 milliards de dinars ; - décisions de justice rendues contre les collectivités locales : 41 milliards de dinars; - décisions de justice rendues contre les établissements publics à caractère administratif : 15 milliards de dinars. Il est évident comme l’a souligné la Cour des comptes que les prélèvements directs sur les budgets des communes qui souffrent déjà de conditions financières fragiles réduisent davantage leurs capacités à remplir les multiples missions qui leur sont assignées en matière de gestion de services publics locaux et d’infrastructures ou d’équipements de proximité
Dans certains cas , la condamnation de la collectivité locale est due à des pratiques qui relèvent en principe du code pénal .Il en est ainsi de l’accaparement ou utilisation illégale d’assiettes foncières appartenant à autrui sans l’accord préalable du légitime propriétaire ce qui constitue le délit d’atteinte à la propriété immobilière puni par l’article 386 du code pénal .Dans d’autres cas il s’agit d’expropriation pour cause d'utilité publique d'assietes foncières dont le montant de l’indemnisation fixé par l’évaluation administrative des services des domaines est refusé par les propriétaires et titulaires des droits concernés au motif que les indemnisations proposées ne sont pas proportionnées à la valeur réelle de leurs biens expropriés ce qui génère une action judiciaire qui tres souvent débouche sur une réévaluation du montant de l’indemnisation. Il peut aussi s’agir de la violation des dispositions de la réglementation des marchés publics ainsi que des clauses contractuelles liant les collectivités locales aux opérateurs cocontractants qui génère des litiges qui conduisent la partie lésée à saisir les instances judiciaires compétentes afin de recouvrer leurs droits et demander des indemnisations pour les dommages subis. La Cour des comptes a constaté à ce sujet le manque de maitrise par les élus locaux des procédures de conclusion des marchés et de mise en œuvre des projets de développement en plus du déficit d'encadrement spécialisé.
Plus grave encore , il a été relevé à juste titre que les condamnation de certaines communes par la justice trouvent leur origine dans les instructions verbales adressées, dans des circonstances d’urgence , par des walis ou des chefs de daïras aux présidents d’assemblées populaires communales à l’effet d’exécuter des dépenses en l’absence de pièces justificatives ou de crédits budgétaires nécessaires pour leur prise en charge régulière sur les budgets des collectivités concernées. Dans ces conditions, le maire alors même qu’il est conscient de violer la loi contracte des engagements avec des cocontractants en recourant illégalement au gré à gré et ce alors même que le paiement des prestations sollicitées ne seront jamais honorées puisque le visa du contrôleur financier sera necessaireùent refusé ce qui va générer un contentieux. Le plus dramatique , ce que la Cour des comptes n’a pas relevé , est que souvent c’est le cocontractant et non pas la collectivité locale contractante qui est lésé. Il est arrivé que dans la situation où le prestataire cocontractant accepte d’exécuter une prestation en urgence sans que la collectivité locale n’observe les dispositions de la réglementation des marchés publics, le juge saisi par le cocontractant abusé est débouté de sa demande de condamner la collectivité au règlement de la prestation effectué et ce au motif que cette prestation a été effectuée en violation de la législation sur les marchés publics et qu’en application du principe « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » la demande d'indemnisation doit être rejetée.
Dans certains contentieux ,notamment celui en rapport avec le foncier , la Cour des comptes a relevé l’absence de coordination entre les autorités publiques locales représentées par la commune , la wilaya et les domaines et où chacune de ces autorités tente de rejeter sa responsabilité en demandant au juge sa mise hors de cause au lieu de coordonner leurs efforts et présenter une défense commune.
Malgré la pertinence des constats relevés par la Cour des comptes sur le volet relatif à la problématique de l’exécution des décisions de justice portant condamnations pécuniaires des collectivités locales , le rapport établi par cette institution suscite quelques observations quant à l’évacuation de certaines causes qui impactent l’efficacité de la prise en charge du contentieux judiciaire par les collectivités locales. Si la non maitrise des outils juridiques de la commande publique et de la saine gestion des collectivités locales trouvent leur origine essentielle dans le manque de formation et la non spécialisation aussi bien des élus que du personnel de ces collectivités , il n’en demeure pas moins que dans certaines situations , le contentieux auquel est confronté la collectivité locale peut lui échapper en raison de l’existence d’une législation inadéquate qui impacte la bonne maitrise de ce contentieux.
Ainsi à titre d’exemple , des communes ont été condamnées à verser de substantielles indemnités parce qu’elles ont été dans l’impossibilité de présenter des documents ou pièces décisifs au soutien de leur défense. En vertu de l’article 8 du nouveau code de procédure civile et administratif , il est désormais interdit de présenter au juge un document rédigé en langue française non traduit en arabe .Tout document non traduit à l’arabe est automatiquement et obligatoirement rejeté par le juge. En matière de marchés publics par exemple , les contrats , avenants et cahiers de charges sont souvent rédigés en français. Certaines communes émettent aujourd'hui encore des correspondances et documents en langue française . Si la collectivité locale se trouve dans l’obligation d’attaquer ou de défendre devant une juridiction et qu’elle est en possession de pièces ou documents décisifs susceptibles de lui faire gagner son procès , et si ces documents sont rédigés en français , elle sera dans l’obligation légale de les traduire en langue arabe sous peine de rejet. Il est arrivé que faute de ressources financières ou de contraintes comptables , la commune a été dans l’impossibilité d’engager la dépense nécessaire pour payer un traducteur et par conséquent n’a pas pu verser ses documents traduits ce qui s’est traduit par la perte de son procès et sa condamnation à verser les indemnisations sollicitées par la partie adverse et ce alors même que la simple présentation de cette traduction aurait abouti sur une décision en faveur de la commune. Les conséquences désastreuses de ce texte de loi qui impose la traduction sans aucune distinction et qui par ailleurs a fait l’objet d'un article sur ce meme blog ne feront qu’empirer si la pratique de la rédaction en langue française des actes émis par les administrations et les différentes institutions persiste car ces actes sont considérés par la loi comme n’ayant aucune valeur juridique s’ils ne sont pas accompagnés d’une traduction en langue arabe.
Pour la Cour des comptes , la solution au problème de la condamnation des collectivité locales par la justice à verser des indemnisations , qui très souvent sont fondées , réside entre autres dans le recours au règlement amiable des litiges notamment en introduisant systématiquement dans tous les cahiers des charges, la clause y relative et en rendant effectif les comités de wilaya créés à cet effet. La Cour des comptes n’a pas été explicite à ce sujet. Elle « incite » les collectivités locales à privilégier le règlement amiable ce qui sous-entend que le recours à ce mode alternatif de règlement des litige est facultatif alors qu’en vertu de l’article 153 du décret présidentiel n° 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et des délégation de service public le service contractant doit rechercher une solution amiable aux litiges nés de l’exécution d’un marché public chaque fois que cette solution permet de retrouver un équilibre des charges incombant chacune des parties , d’aboutir à une réalisation plus rapide de l’objet du marché ou encore d’obtenir un règlement définitif plus rapide et moins onéreux. En utilisant l’expression « le service contractant doit rechercher une solution amiable », le législateur a voulu rendre le recours à une solution amiable obligatoire. En conséquence la collectivité locale , avant d’engager une action en justice contre son cocontractant ou encore au cas ou une mise en demeure lui est adressée par ce dernier préalablement à la saisine de la juridiction , la collectivité locale doit proposer un règlement à l’amiable que le cocontractant doit accepter . En cas de désaccord, le litige est soumis à l’examen du comité de règlement amiable de wilaya institué auprès de chaque wilaye.Pour rendre effectif la procédure de règlement amiable, le même article 153 dispose que le service contractant doit prévoir dans le cahier des charges, le recours à ce dispositif. Une fois le recours à un règlement amiable inséré dans le cahier des charges ou dans le contrat , le juge devient incompétent pour statuer sur le litige tant que l’avis du comité de règlement amiable n’a pas été rendu.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de BOuira
brahimimohamed54@gmal.com