ASTREINTE
Le nouveau numéro de la Revue du Conseil d’Etat contient, ce qui est rare, un arrêt rendu par les Chambres réunies.Le Conseil d’Etat est organisé en chambres qui peuvent être subdivisées en sections. En principe il est statué sur l’affaire soumise au Conseil d’Etat par une chambre ou une section , mais exceptionnellement le Conseil d’Etat peut siéger en Chambres réunies pour statuer sur un dossier notamment dans les cas où la décision susceptible d’être prise peut se traduire par un revirement de jurisprudence , ou encore dans les affaires présentant une difficulté juridique particulière et ce en application de la loi n° 98-01 du 30 mai 1998 relative aux compétences , à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat . Si le Président du Conseil d’Etat décide de soumettre une affaire aux Chambres réunies , la formation de jugement sera alors composée du Président du Conseil d’Etat ,du Vice-président, des présidents de chambres et des doyens des présidents de sections
Dans un arrêt du 15 juin 2022 , dossier n° 208157, les Chambres réunies du Conseil d’Etat ont eu à statuer sur une question relative à la juridiction compétente pour prononcer une astreinte .En application de l’article 978 du code de procédure civile et administrative :« Lorsqu'une ordonnance, un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme dont le contentieux relève de la juridiction administrative prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction administrative, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ». En outre l’article 979 du même code dispose : « Lorsqu'une ordonnance, un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme dont le contentieux relève de la juridiction administrative doit prendre une mesure d'exécution dans un sens déterminé et que cette dernière n'a pas été ordonnée pour n'avoir pas été demandée à l'instance précédente, la juridiction administrative saisie de conclusions en ce sens prescrit que ce nouvel acte administratif doit intervenir dans un délai déterminé ».
Il va de soi que la personne morale de droit public ou l’organisme ainsi condamné est tenu d’exécuter le jugement ou l’arrêt rendu à son encontre, mais il peut arriver que la partie condamnée refuse d’exécuter ce jugement. Dans cette hypothèse,la juridiction administrative peut prescrire une astreinte qui consistera à ordonner dans le même dispositif du jugement ou par un jugement ultérieure que la partie condamnée sera tenu d’exécuter ce jugement sous peine de verser à la partie bénéficiaire une somme déterminée pour chaque jour de retard.
Le problème juridique que pose l’application de l’astreinte auquel le Conseil d’Etat a donné la solution dans l’arrêt de ses Chambres réunies du 15 juin 2022 est la détermination de la juridiction compétente pour prononcer l’astreinte dans les cas particuliers où la décision initiale portant condamnation et dont est demandée l’exécution sur astreinte a été a prononcée par le Conseil d’Etat ou le tribunal administratif d’appel et non pas par le tribunal administratif de première instance. L’arrêt des Chambres réunies a tranché la question en jugeant que l’action en fixation d’une astreinte n’étant pas une action en revendication d’un droit et par conséquent elle n’est pas soumise à la règle du double degré de juridiction , c’est la juridiction qui a rendu le jugement ou l’arrêt objet de l’exécution qui est compétente pour prononcer l’astreinte.
Dans le cas d’espèce il s’agit d’un arrêt en date du 19 juillet 2018 rendu en premier et dernier ressort par le Conseil d’Etat qui a annulé une décision du ministre des finances portant refus d’inscrire le requérant dans le tableau national des comptables agréés et des commissaires aux comptes approuvé par le Conseil national de la comptabilité et qui a fait injonction au ministre des finances de délivrer au requérant son agrément et sa carte professionnelle. Suite au refus du ministre des finances d’exécuter cet arrêt , le requérant saisit le Conseil d’Etat d’une action tendant à ordonner au ministre des finances d’exécuter l’arrêt du 19 juillet 2018 sous une astreinte de dix mille dinars par jour de retard.
Statuant sur cette dernière demande , le Conseil d’Etat se déclare une première fois incompétent par un arrêt du 21 janvier 2021 au motif que la prescription de l’astreinte est de la compétence du tribunal administratif de premier degré et ce en application du principe du double degré de juridiction.Le requérant se tourne alors vers le tribunal administratif d’Alger qui accepte sa demande et ordonne par jugement du 14 juillet 2021 l’exécution de l’arrêt du Conseil d’Etat du 19 juillet 2018 sous une astreint de dix mille dinars par jour de retard. Le ministre des finances fit appel devant le conseil d’Etat du jugement du tribunal administratif d’Alger. Statuant sur cet appel , le Conseil d’Etat rendit l’arrêt du 15 juin 2022 qui annula le jugement dont appel rendu par le tribunal administratif d’Alger au motif que c’est à la juridiction qui a rendu l’arrêt de condamnation c’est à dire au Conseil d’Etat lui-même de prescrire cette l’astreinte.Dans ce dossier, le Conseil d’Etat en ses Chambres réunies a donc désavoué sa propre jurisprudence antérieure rendue par l’une de ses chambres. L’arrêt du 15 juin 2022 rendu par les chambres réunies aura donc le mérite d’unifier à l’avenir la jurisprudence relative à la compétence en matière d’astreinte et les juges inférieurs doivent sous peine d’être censurés de suivre cette jurisprudence.
MARCHES PUBLICS
Modalités de restitution de la caution de garantie
Dans un arrêt du 13 juin 2019 , dossier n° 142049 ( 1er chambre , 1er section) , le Conseil d’Etat a eu à statuer sur les modalités de restitution de la caution de garantie fournie par le partenaire cocontractant.En application de l’article 84 du décret présidentiel n° 02-250 du 24 juillet 2002 portant réglementation des marchés publics applicable à la date de la passation du marché public en cause , le partenaire cocontractant est tenu de fournir une caution de bonne exécution du marché qui doit être constituée au plus tard à la date à laquelle le partenaire cocontractant remet la première demande d’acompte. Cette caution qui est fixé entre 5% et 10% du montant du marché, selon la nature et l’importance des prestations à exécuter, est établie selon les formes agréées par le service contractant et sa banque et n’est restituée au partenaire cocontractant que dans un délai d’un mois à compter de la date de réception définitive du marché.
En cas d’inexécution par le partenaire cocontractant de ses obligations malgré sa mise en demeure de remédier à la carence qui lui est imputable, le service contractant peut unilatéralement procéder à la résiliation du marché , conclure un nouveau marché pour l’exécution du reste à réaliser ,et mettre en œuvre les clauses contractuelles de garanties et des poursuites tendant à la réparation du préjudice qu’il a subi par la faute de son partenaire cocontractant . En application de l’article 119.3.1 du décret n° 21-219 du 20 mai 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics des travaux , la réparation du préjudice que le service contractant a subi par la faute de l'entrepreneur et les surcoûts générés par le nouveau marché sont prélevés sur les sommes qui restent dues à l’entrepreneur défaillant, ou, à défaut, par la mise en jeu de la caution de bonne exécution.
La règle est donc que la caution de bonne exécution est restituée à l’entrepreneur dans un délai d’un mois à compter de la date de réception définitive du marché. Dans le dossier soumis au Conseil d’Etat , il s’agissait de savoir si le service contractant était dans son droit de demander la restitution de la caution de bonne exécution déposée à la banque par son partenaire cocontractant suite à la résiliation du marché.
Dans le cas d’espèce, un marché a été signé entre l’OPGI et une société de travaux portant sur la réalisation d’un ensemble de logements sociaux locatifs avec dépôt de cette dernière auprès d’une banque d’une caution de bonne exécution de ce marché.Pour non exécution par l’entrepreneur de ses engagements contractuels ,l’OPGI décide de résilier le marché pour faute. Suite au refus de la banque de transférer sur son compte le montant de la caution déposée par l’entrepreneur défaillant ,l’OPGI intente une action contre la banque devant le tribunal administratif de Bejaia à l’effet de lui enjoindre de procéder à ce transfert , la compétence revenant au tribunal administratif et non pas au tribunal de droit commun du fait que le projet objet du marché, en l’occurrence la réalisation de logements sociaux locatifs ,est un marché financé par l’Etat. Par jugement du 22 février 2017 , le tribunal administratif de Bejaia débouta l’OPGI au motif qu’il n’a pas versé au dossier le procès-verbal de réception provisoire ou définitif du marché comme prévu à l’article 88 du décret n° 02-250.
Sur appel , le Conseil d’Etat par l’arrêt du 13 juin 2019 annula le jugement du 22 février 2017 rendu tribunal administratif de Bejaia et statuant à nouveau ordonne à la banque de procéder à la mainlevée de la caution de bonne exécution au profit de l’OPGI avec condamnation de l’entrepreneur à des dommages et intérêts en réparation du préjudice ,et ce au motif que si l’article 88 du décret n° 02-250 du 24 juillet 2002 dispose effectivement que la caution de bonne exécution doit être restituée dans un délai d’un mois à compter de la date de réception définitive du marché,cette disposition s’applique au partenaire cocontractant qui a exécuté la totalité du projet conformément aux conditions convenus et non pas au service contractant qui a résilié le marché public aux tords du partenaire cocontractant.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 13 juin 2019 a été rendu sous le régime du décret présidentiel n° 02-250 du 23 juillet 2002 portant réglementation des marchés publics aujourd’hui abrogé et remplacé par la loi n° 23-12 du 5 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics, .La nouvelle loi n’a pas reconduit les anciennes dispositions qui régissaient la constitution de la caution de bonne exécution du marché public et des modalités de sa restitution ,mais par contre son article 83 dispose que les garanties à constituer notamment la caution de bonne exécution et les modalités de sa restitution sont fixées, selon le cas, dans les cahiers des charges ou dans les dispositions contractuelles du marché public. C’est donc désormais le décret exécutif n° 21-219 du 20 mai 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux qui est applicable. Ce cahier des charges ne déroge pas au régime des garanties et de la caution de bonne exécution qui étaient régies auparavent par le décret présidentiel abrogé n° 02-250 du 23 juillet 2002.
Droit à la réparation du préjudice causé par les surcoûts dus à la désignation d’un nouveau partenaire cocontractant pour la l’exécution du reste à réaliser d’un marché public résilié
En vertu de l’article 119-3 du décret exécutif n° 21-219 du 20 mai 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics des travaux :« En cas de résiliation, le service contractant conclut, dans le respect des conditions réglementaires en vigueur, de nouveaux marchés pour l’exécution du reste à réaliser ».Quant à l’article 119-3-1 du même décret exécutif il énonce que :« La réparation du préjudice que le service contractant a subi par la faute de l'entrepreneur et les surcoûts générés par le nouveau marché sont prélevés sur les sommes qui restent dues à l’entrepreneur défaillant, ou, à défaut, par la mise en jeu de la caution de bonne exécution, le cas échéant, sans préjudice des droits à exercer contre lui en cas d’insuffisance ».
Dans un arrêt en date du 5 septembre 2019 ,dossier n° 147432 ( 1er chambre , 1er section) , le Conseil d’Etat a statué sur une demande introduite par l’office de promotion et de gestion immobilière ( OPGI ) contre une société de travaux tendant à faire condamner cette dernière dont le marché public a été résilié pour faute à lui verser la totalité des montants non réglés et détaillés dans le décompte général définitif ( DGD ). Le Conseil d’Etat a jugé que si le service contractant est dans son droit de demander à l’entrepreneur défaillant dont le marché été résilié de réparer le préjudice dû aux surcoûts générés par le nouveau marché confié à un autre entrepreneur pour l’exécution du reste du marché initial à réaliser , cette réparation n’est dû que si le service contractant a effectivement confié à un autre entrepreneur l’exécution du reste à réaliser du marché public et qu’au surplus cette attribution du nouveau marché ait effectivement généré un surcoût dont le montant doit être évalué et fixé.Dans le cas d’espèce,l’OPGI revendique une réparation au visa des surcoûts générés par la conclusion du marché résilié avec un autre cocontractant sans apporter la preuve que le marché public résilié avec l’ancien partenaire cocontractant a été bien attribué à un autre entrepreneur ni que cette attribution a généré des surcoût , et par conséquent l’OPGI a été débouté.
Révision et actualisation du prix des marchés publics
Le Conseil d’Etat a eu à statuer sur la question sensible et récurrente de la révision du prix d’un marché public. Les règles qui régissent l’actualisation et la révision du prix marché public sont actuellement fixées par la loi n° 23-12 du 5 août 2023 fixant les règles générales relative aux marchés publics .Le principe est qu’un marché public est conclu à prix ferme ou à prix révisable (article 74) . Un prix ferme peut faire l’objet d’une actualisation si certaines conditions sont remplies. Un prix révisable fait l’objet d’une révision. C’est le service contractant (le maitre d’ouvrage public) qui décide si le marché public sera conclu à prix ferme ou à prix révisable.
L’actualisation est destinée à mettre à jour le prix d’un marché public en cas de retard pris entre la date d’élaboration du prix et la date de commencement effectif des travaux. Elle est de droit dans un marché public de travaux , mais la loi n° 23-12 du 5 août 2023 a posé certaines conditions pour qu’un marché public soit susceptible d’actualisation.Ainsi ,en application de l’article 75 , ne peuvent faire l’objet d’une actualisation :les marchés publics objet de consultation dont les montants ne dépassent pas les seuils prévus à l’article 18 de la même loi , les marchés publics dont le délai est inférieur à 3 mois , et enfin au titre de la période couverte par les délais de validité de l’offre qui est de 90 jours en application de l’article 76 de la même loi.
Concernant les seuils des montants des marchés publics à partir desquels il y a lieu à l’actualisation du prix marché public, la loi n° 23-12 du 5 août 2023 n’a pas fixé ces seuils mais elle parle seulement de « marchés publics dont les montants ne dépassent pas les seuils prévus à l’article 18 de la présente loi » , et ce alors que cet article 18 dispose seulement que : « Toute commande dont le montant prévisionnel, en toutes taxes comprises, est égal ou inférieur aux seuils de passation des marchés publics,est soumise à la procédure de consultation. » sans indiquer quels sont ces seuils.Il ya lieu alors de considérer que le législateur a renvoyé sur ce point à l’ancienne réglementation qui reste en vigueur notamment le décret 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et de délégation de service public , c’est à dire 12 000 000 DA pour les travaux et fournitures et 6 000 000 DA pour les études et les services.
Quant à la révision du prix d’un marché public,elle a pour vocation à compenser le renchérissement du coût des prestations jusqu’à la complète exécution du marché. Elle est encadrée par les articles 74 et 75 de la loi n° 23-12 du 5 août 2023 fixant les règles générales relative aux marchés publics. Elle est soumises aux même conditions auxquelles est soumise l’actualisation du prix du marché public .Mais à la différence de l’actualisation, la révision du prix d’un marché public doit être formellement mentionnée dans une clause du marché public. L’article 74 de la loi du 5 août 2023 dispose que lorsqu’est révisable, le marché doit prévoir les formules de révision de prix ainsi que les modalités de mise en œuvre de ces formules.
Il revient au maitre de l’ouvrage (le service contractant) de choisir les paramètres des formules de révision qui seront insérés dans le marché public qui constituera alors un contrat d’adhésion insusceptible de modification par l’entreprise.Ainsi , si la clause ne convient pas à l’entreprise , elle ne peut pas la modifier par elle-même, tout comme il est impossible d’introduire une clause de révision de prix par voie d’avenant car une telle clause serait de nature à remettre en cause le libre jeu de la concurrence qui s’est opéré au moment de la sélection des entreprises.
Le Conseil d’Etat a eu à juger d’une affaire où a été débattue la problématique de la révision du prix d’un marché public et les modalités de sa mise en oeuvre. Dans ce dossier , il s’agit d’un marché public conclu par une entreprise avec l’office de promotion et de gestion immobilière ( OPGI ) relatif à la réalisation d’un ensemble immobilier financé en totalité par l’Etat ( C’est le financement du projet sur concours de l’Etat qui a fixé la compétence de la justice administrative alors même que l’OPGI est un établissement à caractère industriel et commercial réputé commerçant dans ses rapports avec les tiers).
Suite au dépôt d’une situation de révision du prix du marché par l’entrepreneur , l’OPGI refusa de la régler ce qui a conduit l’entreprise à saisir le tribunal administratif de Tipaza d’une action tendant à condamner l’OPGI à lui régler le montant réclamé au titre de cette situation de révision.Le tribunal administratif,après désignation d’un expert,rendit une décision favorable à l’entrepreneur.L’OPGI fit appel de ce jugement devant le Conseil d’Etat .Par arrêt du 3 juin 2021 , dossier n° 169219 , le Conseil d’Etat (1er chambre , 2e section) rendit un arrêt qui annula le jugement du tribunal administratif de Tipaza, et statuant à nouveau débouta l’entrepreneur de son action au motif que si le marché public conclu avec l’OPGI contient bien une clause prévoyant la révision du prix du marché , cette même clause n’a pas prévu les formules de révision de prix ainsi que les modalités de mise en œuvre desdites formules ce qui contrevient aux dispositions de l’article 52 du décret présidentiel n° 02-250 du 24 juillet 2002 portant réglementation des marjés public ( actuellement l’article 74 de la loi n° 23-12 du 5 août 2023 qui est en vigueur ) qui dispose : « Lorsque le prix est révisable, le marché doit prévoir les formules de révision de prix ainsi que les modalités de mise en œuvre desdites formules de révision ».
EXIGIBILITE DES DROITS ET TAXES SUR LES INSUFFISANCES DE PRIX : SOLIDARITE DES PARTIES A L’ACTE
Il est de notoriété publique que lors des transactions portant sur des immeubles ,le prix du bien objet de la transaction ( vente , donation , échange…) est fortement minoré et ce dans le but de payer moins d’impôts. L’administration des impôts n’est pas dupe et est au courant de ces pratiquese , aussi très souvent ses services procèdent systématiquement à une réévaluation du bien cédé ce qui aura pour conséquence de revoir à la hausse les montants des différents droits et taxes dus notamment au titre de la TVA ,des frais d’enregistrement et de la plus -value , et ce en sus des pénalités .Les nouveaux montants fixés au titre de ces réévaluations fiscales peuvent atteindre le double sinon le triple des sommes initialement déclarées.
La question que soulève les réévaluations de la valeur des biens déclarée lors de la conclusion de la transaction par devant notaire est d’identifier la partie à l’acte de cession qui sera tenue de régler les redressements arrêtés par l’administration fiscale.D’aucuns croient à tord que c’est le vendeur qui sera tenu par l’administration du fisc de payer les nouveaux montants des différents droits et taxes qu’elle a décidés de réévaluer.Certains acheteurs croient aussi à tord qu’en tout état de cause, ils ne seront tenu en cas de réévaluation par le fisc du bien qu’ils ont acquis que de la moitié des droits et taxes réévalués , l'autre moitié restera à la charge du vendeur.
Dans son arrêt du 11 janvier 2023 , dossier n° 225905 ( 2e chambre ,1er section),le Conseil d’Etat a tranché la question en jugeant que l’administration des impôts est dans son droit , au cas où elle procède à la réévaluation du prix de vente déclaré, de demander à l’acheteur le paiement des sommes fixées au titre de cette réévaluation,et qu’il appartient dès lors à cet acheteur de se retourner contre le vendeur.En application de cette jurisprudence , l’administration des impôts est donc libre d’émettre un titre de perception des sommes dues au titre de la réévaluation de la valeur du bien sans distinction et à son choix contre le vendeur ou l’acheteur.Elle se décidera en principe au regard de la solvabilité de l’un ou de l’autre partie à l’acte.
En vérité cette règle appliquée par le Conseil d’Etat au cas d’espèce est prévue par l’article 112 du Code de l'enregistrement qui dispose :« Les droits, taxes et pénalités exigibles sur les insuffisances de prix ou d’évaluation relevées sur les mutations à titre onéreux d’immeubles ou droits immobiliers et sur les mutations à titre onéreux de fonds de commerce et de clientèle ainsi que sur les cessions des actions, parts sociales ou titres assimilés sont dus, conjointement et solidairement par les parties à l’acte».En vertu de ce texte,les parties à l’acte sont donc tenues solidairement au paiement des redressements envisagés par l’administration fiscale,et par conséquent chacune des parties peut être tenue de supporter seule l’ensemble des droits et des taxes redressés , à charge pour celle qui a payé de se retourner contre l’autre partie par une action en remboursement de la moitié des sommes versées.
NULLITE DE L’ARRETE INTERMINISTERIEL METTANT FIN A L’EXERCICE D’UN POSTE SUPERIEUR DE CHEF DE SERVICE HOSPITALO-UNIVERSITAIRE
Pour certaines fonctions supérieures créées auprès de certains organismes ou institutions publics ,la loi ou un texte réglementaire fixe les conditions de nomination et de radiation pour ces postes. Toute violation de ces conditions entrainera la nullité de la décision prise par l’autorité de tutelle. Le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 9 novembre 2017,dossier n° 134908 ( 2e chambre, 2e section) à eu à juger d’un dossier où le ministre de la santé et celui de l’enseignement supérieur ont pis un arrêté conjoint daté du 3 août 2016 qui a mis fin aux fonctions supérieur d’un chef de service hospitalo- universitaire.
Dan ce dossier il s’agit d’un recours introduit par un professeur d’université chef de service dans un centre hospitalo-universitaire contre un arrêté interministériel pris conjointement par le ministre de la sante et le ministre l’enseignement supérieur mettant fin à ses fonctions.La décision de fin de fonction de ce chef de service hospitalo-universitaire a été prise sur la base d’un rapport défavorable établi conjointement par deux inspecteurs généraux du ministère de la santé et du ministère de l’enseignement supérieur.Le Conseil d’Etat a censuré et annulé cet arrêté interministériel au motif qu’il viole les dispositions du décret exécutif n° 08-129 du 3 mai 2008 et de l’arrêté interministériel 11 décembre 2011 fixant les modalités de désignation en qualité de chef de service hospitalo-universitaire par intérim.
En vertu de l’article 3 de ce arrêt ministériel du 11 décembre 2011 :« La nomination en qualité de chef de service hospitalo-universitaire par intérim est prononcée par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l'enseignement supérieur, sur proposition conjointe du directeur de l'établissement hospitalier et du doyen de la faculté de médecine, après avis conforme du conseil scientifique et/ou médical de l'établissement hospitalier concerné,et il est mis fin aux fonctions de chef de service hospitalo-universitaire par intérim dans les mêmes formes ».L’arrêté interministériel du 3 août 2016 objet du recours devant le Conseil d'Etat ayant été pris en violation
des conditions posées par l’arrêté ministériel du 11 décembre 2011 notamment sans avoir mentionné la proposition émanant du directeur de l'établissement hospitalier ,et sans avoir demandé l’avis du conseil scientifique et médical de l'établissement hospitalier ou exerce le requérante,il est évident que cet arrêté interministériel ne pouvait qu’être censuré et annulé par le Conseil d’Etat.
REGLE DE L’INTERDICTION DU RETRAIT OU DE L’ABROGATION PAR L’ADMINISTRATION DES ACTES ADMINISTRATIFS INDIVIDUELS CREATEURS DE DROITS HORS DU DELAI DU RECOURS CONTENTIEUX
Lorsqu'une décision administrative individuelle créatrice de droits est entachée d'irrégularité ,l'administration peut-elle faire disparaître cet acte ? On entend par décision administrative individuelle créatrice de droits l’acte qui confère à son destinataire une situation juridiquement protégée et définitivement acquise. Sous certaines conditions , l’acte administratif unilatéral créateur de droits peut faire l’objet d’un retrait ou d’une abrogation sachant que le retrait d'un acte administratif unilatéral est sa disparition rétroactive (pour l’avenir et pour le passé),effectuée par son auteur et comme tel il est réputé n'avoir jamais existé ,quant à l’abrogation c’est la disparition de l'acte administratif unilatéral, effectuée par son auteur uniquement pour l'avenir.Le retrait ou l’abrogation de l’acte administratif est donc demandé à l’administration et non au juge.
En Algérie il n’existe pas une loi ou un texte spécifique qui traite du régime applicable au retrait et à l’abrogation .C’est la jurisprudence du Conseil d’Etat qui en a fixé les contours. Pour que l’administration puisse retirer un acte individuel explicite créateur de droits,il faut d’une part que cet acte soit entaché d’illégalité,et que d’autre part ce retrait doit intervenir dans le délai du recours pour excès de pouvoir c’est-à-dire le délai de 4 mois prévu par l’article 829 du code de procédure pénale et administrative . Ce délai court à compter de la date de signature de l’acte administratif.Par contre le retrait par l’administration d’une décision individuelle créatrice de droits n’est soumis à aucun délai si c’est le bénéficiaire lui-même qui demande ce retrait mais à la condition que ce retrait ne porte pas atteinte aux droits des tiers.Il en est de même des décisions non créatrices de droits qui peuvent être retirées à tout moment aussi bien pour des raisons de légalité que d’opportunité .En outre seule l’autorité qui a pris cette décision est compétente pour la retirer.Comme toute décision administrative,la décision de retrait doit être motivée.L’abrogation d’une décision administrative créatrice de droits est soumise aux mêmes conditions de recevabilité que le retrait.
Dan un arrêt du 18 janvier 2018 , dossier n° 122215 (3e chambre) le Conseil d’Etat a eu à traiter d’un dossier dans lequel un maire a pris un arrêté retirant son précédent arrêté portant délivrance d’un permis de construire. La question tranchée par l’arrêt du Conseil d’Etat portait sur la légalité de ce retrait.Le Conseil d’Etat censura et annula le décision de retrait prise par le maire au double motif que d’une part ,il est de jurisprudence constante du Conseil d’Etat que le retrait d’un acte d’urbanisme ayant créé des droits au profit de son bénéficiaire ( dans le cas d’espèce un permis de construire) ne peut être retiré par l’administration que dans le délai du recours pour excès de pouvoir de 4 mois prévu par l’article 829 du code de procédure pénale et administrative, et qu’ à expiration de ce délai seul le juge peut décider de son annulation , et que d’autre part la décision de retrait prise par l’administration doit être motivée. Dans le dossier en cause, la décision de retrait du maire a été rendue d’une part hors le délai de 4 mois à compter de la signature de la première décision objet du retrait , et d’autre part ne contient aucun motif ayant justifié ce retrait.
L’arrêt du 18 janvier 2018 n’est en fait que la consolidation d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat en cette matière .On peut à cet égard citer les décisions suivantes :
- Arrêt en date du 27 novembre 1982, dossier n° 29432 ( in Revue judiciaire, année 1990, n°1 ,p. 188 - Il n’est pas dans le pouvoir de l’administration de retirer une décision ayant créé des droits non entachée d’illégalité - Annulation de la décision de retrait d’un permis de construire au seul motif non opérant qu’il existe un litige sur le terrain objet du permis de construire).
- Arrêt en date du 9 juin 1984 : dossier n° 36480 (in Revue des magistrats , n° 44 , p. 73 - Si une décision administrative a créé des droits à une personne , cette décision ne peut être retirée que si elle est entachée d’illégalité - Annulation de l’arrêté du wali portant retrait de son précédent arrêté d’attribution d’un local à usage d’habitation ).
- Arrêt en date du 6 juin 1987 , dossier n° 53922 ( in Revue judiciaire , année 1990, n° 4, p. 171- L’administration ne peut se prévaloir de son erreur pour retirer un acte administratif qui a créé des droits au profit de son bénéficiaire - Annulation d’une décision du maire portant retrait de sa décision antérieure d’attribution d’une parcelle de terrain).
- Arrêt en date du 10 février 1988 ,dossier n° 72894 ( in Revue judiciaire , année 1991 ,n° 4, p. 227 - L’administration peut retirer l’acte administratif entaché d’illégalité avant l’expiration du délai du recours pour excès de pouvoir - Validité du retrait par la commission de daïra de sa décision antérieure portant approbation de cession d’un logement dans le cadre de la loi n° 81-01 relative à la cession des biens de l’Etat pour cause d’incessibilité des logements d’astreinte).
- Arrêt en date du 28 octobre 2010 , dossier n° 056947 (in Revue du Conseil d’Etat, année 2012 ,n° 10, p. 105 - Possibilité pour l’administration de retirer un acte administratif créateur de droits sous la double condition d’une motivation suffisante de la décision de retrait et du respect du délai du recours en annulation de 4 mois - Annulation de la décision du wali portant retrait de sa précédente décision ayant octroyé une aide de l’Etat à l’habitat rural pour dépassement du délai de 4 mois et non motivation de la décision de retrait).
- Arrêt en date du 25 juillet 2013 , dossier n° 075544 (in site du Conseil d’Etat - Commet un excès de pouvoir et est susceptible d’annulation la décision du wali portant retrait de sa décision antérieure après expiration du délai de 4 mois - Annulation de l’arrêté du wali portant retrait de son précédent arrêté restituant une terre nationalisée à son ancien propriétaire).
EXPULSION DES ETRANGERS POUR DES MOTIFS D’ORDRE PUBLIC
La 5e chambre du Conseil d’Etat chargée de statuer sur les affaires des référés et les affaires liées aux organisations professionnelles nationales,aux associations et aux partis politiques a rendu un arrêt traitant de la question de l’expulsion des étrangers pour cause d’atteinte à l'ordre public ou à la sûreté de l'Etat.
Le pouvoir d’expulsion des étrangers tel qu’exercé en Algérie est consacré et réglementé actuellement par la loi n° 08-11 du 25 juin 2008 relative aux conditions d'entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie .Cette loi a précisé les motifs susceptibles de justifier la mesure d’expulsion des étrangers et les garanties procédurales à respecter.En vertu de l’article 30 de cette loi,l'expulsion d'un étranger hors du territoire algérien peut être prononcée par arrêté du ministre de l'intérieur,lorsque les autorités administratives estiment que sa présence en Algérie constitue une menace pour l'ordre public ou pour la sécurité de l'Etat ,ou lorsque l’étranger a fait l'objet d’un jugement ou d'une décision de justice définitive comportant une peine privative de liberté pour crime ou délit.A l’instar de toute décision administrative,la décision d’expulsion doit être notifiée à l’intéressé qui doit dès lors en vertu de l’article 31 de cette loi de quitter le territoire national dans un délai de 48 heures à 15 jours suivant la gravité des griefs qui lui sont reprochés .
La loi du 25 juin 2008 a aménagé les voies de recours contre l’arrêté d’expulsion d’un étranger hors du territoire algérien.Ainsi et en application de l’article 31 de cette loi,l’étranger faisant l’objet d’une décision d’expulsion hors du territoire algérien émise par le ministre de l'intérieur, peut introduire une action devant le juge des référés dans un délai maximal de 5 jours à compter de la date de notification de ladite décision.Le juge des référés statue sur ce recours dans un délai maximal de 20 jours à compter de la date de l’enregistrement du recours. Ce recours a un effet suspensif c’est-à-dire que la décision d’expulsion ne doit être exécutée qu’après que le juge de référés ait rendu sa décision confirmant la légalité de l’arrêté d’expulsion donc rejetant le recours en annulation. Si par contre le juge censure et annule la décision d’expulsion , il n’ya pas lieu à exécution et le ressortissant étranger pourra dès lors rester sur le territoire national jusqu’ à la régularisation de sa situation.
Le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 20 janvier 2022, dossier n° 198774 a eu à statuer sur un recours contre une décision du Directeur général de la sûreté nationale portant expulsion d’un ressortissant syrien du territoire national.Cette décision d’expulsion ayant été rendue le 2 mars 2001 donc avant la promulgation de la loi n° 08-11 du 25 juin 2008 actuellement en vigueur , c’est l’ordonnance n° 66-211 du 21 juillet 1966 relative à la situation des étrangers en Algérie en vigueur à la date de la décision attaquée qui a été appliquée.L’ordonnance de 1966 bien qu’elle autorise l’expulsion des étrangers pour les mêmes motifs que ceux énumérés dans la loi de 2008 , par contre elle n’a pas expressément prévu les voies de recours contre la décision d’expulsion, aussi le Conseil d’Etat a appliqué dans son arrêt les règles de droit commun qui régissent le recours pour excès de pouvoir contre les décisions administratives rendues par une autorité administrative centrale .
Dans le cas d’espèce ,le Conseil d’Etat a pris acte que la décision du Directeur général de la sûreté nationale bien que datée du 2 mars 2001, elle n’a jamais été notifiée au ressortissant syrien ce qui a laissé le délai du recours en annulation ouvert et donc recevable,et statuant au fond il a censuré et annulé cette décision au double visas que le motif d’atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat n’est pas fondé du moment que ce ressortissant syrien réside en Algérie depuis plus de 20 ans, et que d’autre part il se déplaçait sur tout le territoire nationale en vertu d’autorisations administratives délivrées par les autorités algériennes avec l’accord du consulat syrien en Algérie.*
Maitre BRAHIMI Mohamed
avocat à la cour de Bouira
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