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L’énigmatique dissolution du journal « liberté » : ce que prévoit la loi en matière de dissolution volontaire des sociétés commerciales

mohamed brahimi Par Le 07/04/2022

 Journal liberte 

La dissolution anticipée et volontaire de la  société  à responsabilité limitée  SAEC ( SARL – SAEC)  éditrice du quotidien en langue française «  Liberté »  par décision des associés a surpris et étonné   et ce d’autant plus que cette décision aurait été décidée «  pour raisons économiques »  .Pour un observateur averti  , il est pour le  moins étrange qu’une société commerciale dont le capital  est de 463 000 000 de dinars montant  affiché par ailleurs dans l’ours du journal puisse être déclarée en faillite et dissoute pour ce motif. D’ailleurs si c’était le cas, il s’agirait d’une déclaration de cessation de paiement et par conséquent  seule la dissolution par voie judiciaire ( faillite ou règlement judiciaire)  peut être envisagée .Il est donc évident que le motif des difficultés  économiques invoqué  à l’appui  de la décision des associés de  dissoudre la société éditrice du journal n’est pas sérieux .

 

Sans se prononcer sur la ligne éditoriale du journal qui réjouit  certains et dérangent  d’autres  ce qui est normal si on considère qu’on est dans un pays démocratique et pluraliste , il est incontestable que la disparition de ce titre porte un coup fatal  à une opinion libre qui quoi qu’ on en dise a suscité de l’admiration même en dehors des frontière autant pour les qualités de forme et de fond de ses analyses qui n’ont rien à envier aux plus grandes publications étrangères  , que pour son courage et sa résilience face aux péripéties qu’a vécues ce titre tout au long de son parcours.

Un journal  même édité sous forme d’une société commerciale  n’ a pas une vocation  exclusivement mercantile, mais a  aussi une fonction éminemment sociale . La disparition d’un journal ou tout autre média à fortiori s’il s’agit d’un journal  historique et précurseur ne peut être définie que de  brutale et de catastrophique aussi bien pour ses journalistes et employés  que pour ses nombreux lecteurs. C’est Tocqueville qui,  abordant  dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique  » le  thème de la presse ,  définit  l’importance des médias  en considérant que sans liberté d’expression , il n’y a pas de démocratie. C’est  pourquoi , même dans les pays capitalistes , les pouvoirs publics ne rechignent pas à intervenir pour soutenir des medias et notamment la presse écrite  en leur accordant des aides substantielles en moyens financiers ou en exonérations diverses .Ainsi en France pas moins de 600 millions d’euros  ont été  versés en 2020  pour soutenir différends titres de la presse.

Aussi il est de la responsabilité de l’Etat d’intervenir pour éviter la disparition annoncé du journal «  liberté »  si tant est que la dissolution décidée par ses propriétaires a été motivée comme avancé par des considérations purement économiques.Laisser ce journal périr, c’est assurément accepter  une dérive qui n’augure rien de bon pour la lirerte de la presse et la liberté d’expression tout court , et comme l’a si bien résumé le journaliste de ce même journal Hassane Ouali «  la mort d’un journal est souvent suivie de la naissance d’un démon ».

La décision de dissolution volontaire du journal ayant été actée ce mercredi  6 avril 2022 par un vote  des actionnaires réunis en assemblée   générale,il  reste à savoir , dans l’éventualité où cette dissolution deviendrait irrévocable , que sera le devenir des nombreux journalistes et employés de ce média. S’agissant d’une société commerciale créée sous la forme d’une société à responsabilité limitée, et sous réserve de clauses contraires  des statuts de cette société ,  la dissolution  du journal  a requis l’accord des 2/3 des associés conformément  au code de commerce , et la décision de l’assemblée générale  devait   être précédée  d’un rapport  établi par un expert agréé sur la situation de la société. Il serait donc intéressant de consulter ce rapport  dans son volet relatif aux difficultés économiques qui ont  motivé la dissolution.

Le journal géré en la forme de société commerciale occupant plus de 9 salariés qui seront impactés par la décision de dissolution décidé par leur employeur, ces salariés seront régi   quand à leur devenir par les  dispositions impératives du décret législatif n° 94-09 du 26 mai 1994 portant préservation de l’emploi et protection des salariés susceptibles de perdre de façon involontaire leur emploi. Connaissant la propension des employeurs y compris les employeurs public à licencier sans respect des prescriptions légales , et vu la rapidité de la décision de dissolution du journal qui a surpris même les responsables  du journal , il est à se demander  si le volet social prévu par  ce décret législatif  a été préalablement approuvé avant la décision de dissolution,  ou si pour le moins ce volet a été discuté par les associés propriétaires et employeurs en vue de le faire avaliser  par le liquidateur.

Pour rester dans le cadre de la loi , et pour préserver les droits des salariés de l’entreprise de presse, le volet social , qui englobe entre autres un projet de redéploiement  des salariés  ou mieux encore une action de préservation de l’emploi par le recours à un plan de redressement de l’entreprise de presse   avec l’appui  des services de l’état  , doit être  adopté par l’employeur en concertation avec les représentants des salariés et doit être sanctionné par un procès-verbal  signé par les deux parties  , et à défaut d’accord il sera fait recours à la médiation ou à l’arbitrage et ce en application des articles 6 et suivants du décret législatif n° 94-09 du 26 mai 1994  .Le volet social approuvé par l’employeur et les représentant des salariés doit être déposé au greffe du tribunal  et de l’inspection du travail et mis en œuvre  par l’employeur  sachant  que le non respect  de ces prescriptions est pénalement sanctionné par l’article 34 du même décret législatif.

La décision de dissolution de l’entreprise de presse «  liberté «  n’étant pas irrévocable tant que le liquidateur désigné par les associés n’a pas encore clôturé le opérations de liquidation, il est à espérer  que l’assemblée générale des actionnaires revienne sur sa décision  en recourant aux  différentes   formules prévues par la loi  et susceptibles  d’éviter la dissolution et  de  préserver la pérennité du journal.

Miatre M.BRAHIMI

Avoca à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com