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La Cour suprême rend un arrêt révolutionnaire remettant en cause la distinction salariés et non-salariés en matière de liquidation des retraites

mohamed brahimi Par Le 03/04/2022

 

Retraite

 

La première section de  la chambre sociale de la Cour suprême a rendu dernièrement un arrêt daté du 06 janvier 2022 dossier n° 1516848  qui constitue une vraie révolution au profit des retraités non-salariés. L’application de la jurisprudence de cet arrêt fait grimper le taux de retraite auquel ont droit les non-salariés pratiquement du simple au double.

 

Il est de notoriété publique que les non-salariés  relevant de la caisse nationale de sécurité sociale des non-salariés  (CASNOS) ont toujours constitué le parent pauvre en matière de retraite. Alors que la retraite des salariés affiliés à la caisse nationale des retraites (CNR) est calculée en prenant en compte l’inflation et en actualisant  les  salaires servant de base au calcul des retraites, les non- salariés relevant de la CASNOS essuient très souvent une fin de non recevoir  de cet organisme  quand ils revendiquent  l’application du même système de calcul  et ce au motif fallacieux que seuls les salariés peuvent en bénéficier.

Dans le dossier en question que le cabinet a eu à traiter et dont a été saisi la chambre sociale de la Cour suprême  qui a rendu la décision susmentionnée, il s’agissait d’un travailleur indépendant ( un expert comptable)  affilié à la CASNOS qui,  arrivé  à l’âge légal de la retraite après 30 ans de cotisations,sollicita  de cet organisme la liquidation de sa pension de retraite. Après l’étude de son dossier  la CASNOS lui notifia  l’attribution d’une pension de retraite au  taux brut mensuel de 32 130,41 dinars mais sans procéder à la revalorisation et à l’actualisation des bénéfices déclarés ce qui a eu pour conséquence  de minorer le montant de sa retraite de presque de moitié.

Après réception de la notification de l’attribution de sa retraite, l’allocataire introduisit une réclamation devant la commission locale de recours préalable qualifiée de la  CASNOS  dans laquelle  il conteste  le calcul effectué par cet organisme et revendique le bénéfice des dispositions légales  prévoyant l’actualisation des salaires et autres revenus  dans  le calcul des retraites .N’ayant obtenu aucune réponse il soumet la contestation à  la commission nationale  de recours préalable qualifiée  qui confirma tacitement la décision de la commission locale.

Suite au rejet du recours par la CASNOS , l’affaire a été portée devant le tribunal de Tizi -Ouzou par assignation daté du 4 février 2015 . Par deux jugements successifs en date  du 9 avril 2015 et 21 juillet 2016, le tribunal désigna un expert à l’effet de calculer le montant de la retraite. Les deux experts confirmèrent la légalité de la demande de l’assuré à prendre en compte l’actualisation de ses revenus pour le calcul du taux de sa retraite et fixèrent son taux  sur cette base . Par jugement en date 15 mars 2018,  le tribunal homologua le dernier rapport d’expertise et porta le montant de la retraite à  47 293,61 dinars  qui prend effet à la date de l’exigibilité de la pension.

Suite à l’appel  introduit par la CASNOS  devant la cour de Tizi -Ouzou, cette dernière a étonnement rendu un  premier arrêt en date du  9 septembre 2018   annulant le jugement du tribunal  pour irrecevabilité de la demande initiale , arrêt qui sera censuré par la Cour suprême  sur pourvoi en cassation du retraité et statuant après cassation la cour de Tizi-Ouzou confirma sa première décision  et prononça un  deuxième arrêt en date du13 septembre 2020  annulant le  jugement du tribunal mais cette fois pour des motifs de fond tirés de la non applicabilité  du système de calcul de la retraite prévu pour les salariés aux non-salariés. C’est ce dernier arrêt de la cour de Tizi-Ouzou  qui a été annulé et cassé par l’arrêt  de la Cour suprême du  6 janvier 2022 objet de ce billet.

L’arrêt de la Cour suprême du  6 janvier 2022 a cassé l’arrêt de la cour de Tizi-Ouzou du 13 septembre 2020 pour un motif de droit et par conséquent la cour de Tizi-Ouzou qui sera prochainement saisi sur avenir après cassation sera obligé de suivre le point de droit tranché par cette Haute juridiction.

La question fondamentale et de première importance  qui a été soumise aux juges du tribunal puis de la cour  de Tizi-Ouzou était de savoir si la disposition de l’article 43 de la loi  n° 99-03 du 22 mars 1999 modifiant et complétant la loi n° 83-12 du 2 juillet 1983 relative à la retraite qui instaure  la règle de l’actualisation des salaires  lors de la liquidation des pensions de retraite s’applique sans distinction aussi  bien  aux  salariés qu’aux non salariés. Répondre à cette question aura des répercussions importantes sinon vitales sur le bénéficiaire de la retraite qui verra sa pension soit fortement  valorisée soit au contraire fortement  dévalorisée.

En vertu de l’article 43 susmentionné :« Les pensions et allocations de retraite sont revalorisées avec effet  au 1er mai de chaque année par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale sur proposition du conseil d’administration  de l’organisme de retraite .Cet arrêté fixe : 1- le coefficient de revalorisation applicable aux salaires servant de base au calcul des nouvelles pensions  2- le coefficient de  revalorisation applicable aux pensions et allocations  déjà liquidées ».

Pour les juges de la cour de Tizi-Ouzou , du moment que l’article 43 parle de «  salaires » et qu’il s’agit en l’espèce non pas de revalorisation d’une pension de retraire déjà liquidée mais d’une demande de revalorisation  d’une pension de retraite en cours de liquidation , l’intimé  non-salarié  n’est pas  concerné par cette disposition et dès lors son action tendant à fixer sa pension de retraite après actualisation et revalorisation de ses revenus servant de base au calcul de sa retraite  est non fondée .Il va sans dire que cette jurisprudence de la cour est contraire tant à l’esprit de la loi qu’à l’équité. En premier lieu l’article 43  de la loi n° 83-12 est inséré  au chapitre 4 intitulé «  dispositions communes «  ce qui sous-entend  qu’il s’applique sans distinctions  à tous les travailleurs affiliés à l’un des organismes de  sécurité sociale  sans distinction entre salariés et non-salariés. Ensuite  l’article 4 de la même loi dispose expressément qu’ «  ont droit au bénéfice de cette loi les personnes visées aux articles 3 et 4 de la loi n° 83-11 du 2 juillet 1983 relative aux assurances sociales » et parmi les personnes visées aux articles 3 et 4  il y a précisément «  les personnes  physiques non-salariées qui exercent pour leur propre compte ». En outre la circulaire générale d’application des lois de sécurité sociale émise par le ministère de la santé et des affaires sociales  datée du 10 novembre 1991 énonce expressément dans son article 5  que : « Sont concernés  au titre des prestations en nature des assurances-maladies et maternité, des assurances invalidité et décès et de la retraites , les non-salariés »  C’est sur la base  de ces motifs et spécifiquement au motif que l’article 43 est inséré dans le chapitre intitulé «  dispositions communes » que la Cour suprême a censuré l’arrêt de la cour de Tizi-Ouzou et a jugé que la règle de l’actualisation des salaires et revenus en matière de liquidation des pensions de retraite s’applique  sans distinction aux salariés et aux non-salariés.

Il est évident que cet arrêt de la Cour suprême constitue une jurisprudence innovante et de grande importance  en matière de sécurité sociale et de liquidation des pensions de retraite des travailleurs indépendants.  Il met un terme à une injustice dont ont souffert un grand nombre de retraités issus des professions indépendantes. Malheureusement un grand nombre de retraités  dont les pensions de retraite  ont déjà été liquidées ne peuvent exciper de cet arrêt pour voir leurs pensions de retraite révisées ou revalorisées et ce pour cause de  prescription. Seuls les pensionnaires dont la retraite a été liquidée depuis moins de cinq ans c’est à dire avant l’expiration du délai de prescription  et sous réserve que la décision d’attribution n’ait pas été notifiée par lettre recommandée  avec accusé de réception  peuvent encore espérer  faire réviser le taux de leurs  pensions  par voie de justice. Au regard de la méconnaissance des règles légales de liquidation des pensions de retraite par certains organismes de sécurité sociales, il  est aussi fort conseillé aux nouveaux retraités de recourir à un expert pour faire fixer le montant de leurs retraites après revalorisation et actualisation de leurs salaires ou revenus servant de base au calcul de ces retraites et de le comparer avec le montant fixé par l’organisme de sécurité sociale  dont ils relèvent.

Maitre BRAHIMI Mohamed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com