Le principe en droit pénal est que toute décision rendue par les juridictions pénales sont susceptibles de recours devant la juridiction supérieure y compris devant la Cour suprême. Il était de tradition dans notre droit pénal que le pourvoi en cassation peut être former par la partie condamne même si cette condamnation est une simple amende. L’ordonnance n° 15-02 du 23 juillet 2015 modifiant et complétant l’ordonnance n°66-155 du 8 juin 1966 portant code de procédure pénale a complètement bouleversé ce principe. Dorénavant il en est autrement .Deux restrictions majeures ont été apportées au droit d’exercer le pourvoi en cassation .Tout d’abord et en vertu de l’article 495-d de cette ordonnance seuls les jugements et arrêts des tribunaux et des cours rendus en dernier ressort en matière de contraventions ayant prononcé une peine d’emprisonnement y compris les condamnations avec sursis ,sont susceptibles de pourvoi en cassation et par conséquent les jugements et arrêts rendus en matière contraventionnelle et ayant prononcé des peines d’amende ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation. Ensuite et en vertu de l’article 496-6 de la même ordonnance : « ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation les jugements et arrêts statuant sur le fond et rendus en dernier ressort en matière de délits ayant prononcé une peine d’amende égale ou inférieure à 50.000 DA pour la personne physique et 200.000 DA pour la personne morale avec ou sans réparation civile , sauf si la condamnation a des effets sur des intérêts civils et à l’exception des infractions militaires et douanières ».
Dans le cas d’espèce soumis à la Cour constitutionnelle, des prévenus ont été poursuivis pour le délit de faux dans une attestation et usage de faux , puis condamnés de ce chef par la chambre pénale de la cour d’Alger à une peine d’amende d’un montant de 20.000 DA en vertu de l’article 228 du code pénal. Les prévenu ont saisi par le biais de leur avocat le Conseil constitutionnel d’une question d’inconstitutionnalité de la disposition de l’article 496- 6 du code de procédure pénale au motif que cette disposition les privent de l’exercice de leur droit de se pourvoir en cassation garanti par la Constitution qui consacre le principe du double degré de juridiction en matière pénale, conformément à l’article 160 -2 de la Constitution. Dans un mémoire additif les demandeurs y ajoute un autre motif d’inconstitutionnalité tiré de la contradiction entre la disposition litigieuse et la disposition de l’article 171 alinéas 1 et 3 de la Constitution qui dispose que : « La Cour suprême constitue l’organe régulateur de l’activité des Cours et tribunaux. La Cour suprême et le Conseil d’Etat assurent l’unification de la jurisprudence à travers le pays et veillent au respect de la loi ».
Ces griefs à l’appui de l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 496- 6 du code de procédure pénale ont été rejetés par le Conseil constitutionnel aux motifs que 1°) les demandeurs ont épuisé leur droit au double degré de juridiction puisqu’ ils ont été jugés en tant que prévenus devant un tribunal de première instance, puis sur appel, devant la Cour ; que par conséquent, leur droit au double degré de juridiction en matière pénale garanti par l’article 160 -2 de la Constitution, a été accompli 2°) La Cour suprême étant effectivement l’organe régulateur de l’activité des cours et tribunaux cela ne peut pas signifier que le pourvoi en cassation est un degré de juridiction ou que le recours en cassation est un le prolongement du litige initial 3°) La disposition incriminée n’est pas en contradiction avec les dispositions du pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Algérie a adhéré en vertu du décret présidentiel n° 89-67 du 16 mai1989, notamment son article 2 et 14-5 qui dispose que chaque Etat partie s’engage à développer les possibilités de recours juridictionnel et que la personne coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure , ces principes étant contenus dans l’article 160 -2 de la Constitution à travers le principe du double degré de juridiction en matière pénale 4°) l’article 140 -7 de la Constitution a conféré au législateur toute la compétence pour légiférer en matière de règles générales de droit pénal et de procédure pénale, et notamment la détermination des crimes et délits, l’institution des peines correspondantes de toute nature, l’amnistie, l’extradition et le régime pénitentiaire ; Il lui revient ,par conséquent de fixer les conditions et les procédures du pourvoi en cassation, et de prévoir dans la loi des exceptions et des limites, dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution.
En conséquence de tous ces motifs , la Conseil constitutionnel rejette l’exception d’inconstitutionnalité comme infondée et déclare le point 6 de l’article 496 du code de procédure pénale, constitutionnel.
Il est incontestable que les motifs sur lesquels s’est appuyé le Conseil constitutionnel pour juger que l’article 496-6 du code de procédure pénale
est conforme à la Constitution sont pertinents d’un certain point de vue juridique et constitutionnel , mais toujours est-il qu’une décision contraire qui aurait censuré l’article incriminé serait tout aussi fondé. Il es indéniable que législateur a instauré cette disposition qui limite le pourvoi en cassation dans le seul but de maitriser le volume des affaires pénales traitées par la Cour suprême. D’ailleurs le Premiers ministre lui-même , dans ses observations écrites transmises en soutien de la disposition en cause et tendant au rejet de l’exception , a relevé le fait que cette disposition a été instaurée pour réduire le nombre de recours devant la Cour suprême et à maîtriser le volume de travail judiciaire au niveau de cette juridiction suprême et pour assurer le bon fonctionnement du service de la justice .
En partant du principe général selon lequel tout justiciable a droit à épuiser tous les recours y compris les recours extraordinaire dont le pourvoi en cassation , il est pour le moins incompréhensible que le législateur exclut ce dernier recours alors que le but de ce pourvoi est de vérifier si la juridiction inferieure a appliqué la loi. D’ailleurs dans certains pays , c’est une démarche contraire qui a été suivie .Ainsi pour certaines contraventions qui ne mettent pas en cause la liberté des justiciable , si la loi exclut l’appel , par contre elle admet le pourvoi en cassation. Quant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Algérie a adhéré et qui est donc applicable, on peut l’interpréter différemment de l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel. L’article 14-4 de ce Pacte dispose clairement que :« Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation ».Cette disposition parle de « juridiction supérieure » alors que la Cour suprême constitue bien et bien une juridiction supérieure quant bien même elle ne constitue pas un troisième voie de recours.D’autre part , cette disposition du Pacte a été insérée dans l’article 1-7 du code de procédure pénale dans sa version modifiée par la loi du 27 mars 2017 qui dispose que : « toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure ».Il ya donc contradiction entre la disposition incriminée et la disposition de l’article 1-7.
il faudrait aussi prendre en considération les effets néfastes et dans certains cas désastreux d’une condamnation pénale pour le justiciable .Si on peut comprendre qu’une condamnation pour une simple contravention ne peut faire l’objet d’un appel ou à la limite d’un pourvoi en cassation du fait que ses effets sur la personne condamnée sont minimes, il en est autrement en cas de condamnation pour délit quant bien même il s’agirait d’une condamnation à une amende égale ou inferieure 50 000 DA. Ayant été condamné pou un délit, cette condamnation à l’amende sera inscrite au casier judiciaire de l’intéressé conformément à l’article 618 du code de procédure pénale ,ce qui nuira à la situation de ce dernier .On peut imaginer une personne condamnée pour escroquerie , abus de confiance ou toute autre infraction infamante .Le casier judiciaire de cette personne impactera négativement une éventuelle demande d’embauche , ou l’exclura de la commande publique au cas ou il s’agirait d’un entrepreneur de travaux. Il serait pour le moins injuste de le priver d’un pourvoi en cassation qui pourrait censurer le jugement de condamnation et éventuellement bénéficier de la relaxe si ce jugement est cassé.
Il est remarquable de mentionner que contrairement à la position des autres autorités qui ont déposés leurs observations devant le Conseil constitutionnel (Président de l’APN, Premier ministre, procureur général) qui ont tous plaider pour le rejet de l’exception d’inconstitutionnalité , le Président du Conseil de la Nation par interim a eu une position mitigée mais qui globalement a soutenu les arguments des demandeurs. Il a d’abord soutenu que la disposition contredit les engagements pris par l’Algérie en vertu de la convention des Nations Unies sur les droits civils et politiques ratifiée par l’Algérie . Il considère en outre que la rédaction actuelle de l’article 496-6 du code de procédure pénale s’oppose à l’esprit de l’article 1-7 du même code et s’il n’a pas plaidé expressément pour l’admission de l’inconstitutionnalité de cet article , il a estime qu’il y a lieu de procéder à un examen approfondi des moyens soulevés.
Par BRAHIMI Mohamed
Avocat