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Le  délit  d’escroquerie  au  jugement : une infraction  méconnue  et rarement  mise en œuvre

mohamed brahimi Par Le 16/07/2020

Ilmage escroquerie 3  

Parmi les  principes qui   régissent l’action en  justice  il  y  en  a deux     fondamentaux :  L’inviolabilité  du  jugement  rendu  par  les  juridictions  en ce  que  une fois  rendu  et  entré en  force   de  chose  jugée,  c’est à dire  n’étant  plus   susceptible de  voies de recours, il ne  peut plus être  remis  en cause  que dans   le cas  exceptionnel  où  la loi autorise le recours  en révision. Le  deuxième  principe est que  le  recours  en  justice  est  libre  et  que le  droit d’ester  en  justice  n’est  limité  ou sanctionné  que  dans  des cas limitativement  fixés  par  la loi.

  

La règle donc est  que toute personne est  en droit de saisir un juge  pour  lui rendre  justice  au cas  il se  considère  victime d’un  acte  dommageable .Mais  ce  droit  n’est pas  absolu. La  loi sanctionne  l’abus  du  droit  d’ester  en justice si celui  qui  y  a recours  était de  mauvaise foi .Cette  sanction  peut  tout  d ’abord consister en la condamnation  du  demandeur  qui  a  perdu  son  procès  à des dommages et  intérêts au  profit de son  adversaire pour  action  abusive. Il peut  même  être  condamné  au  profit de  l’Etat au  motif  que  la saisine  de  la juridiction était  abusive. Ainsi le justiciable  qui perd  son procès en  appel , en  pourvoi  en  cassation  , en tierce  opposition  ou  encore en  récusation d’un  magistrat,peut être  condamné à  une  amende  civile de 10  000 DA  à 20  000  DA  et ce en  application  des  articles    347,377,388  et  247  du  code  de  procédure  civile.

Souvent  ,  et  les  exemples  ne  sont  pas  rares  , le justiciable   saisit la juridiction pour  condamner  son  adversaire  en  ayant recours à la fraude  ou à des  moyens  frauduleux.  Par  exemple  pour  conforter  et  prouver  ses  prétentions,  le demandeur  en justice  peut présenter  au  juge  de  fausses attestations  ou  de  faux  documents. Sur  la  foi  de  ces  documents ,  que  ni  le juge  ni  la  partie  adverse n’ont  soupçonné  la fausseté  , il est rendu un  jugement  en  faveur  de ce  demandeur. Il ne  fait aucun doute  que ce  justiciable  a trompé  le juge  en recourant   au  mensonge et  à  des  moyens  frauduleux , aussi  ce  jugement perd  son  inviolabilité   au  sens  qu’il peut être  remis  en  cause  ou  tout  au  moins  peut faire  l’objet  d’une  action  pénale  de ce  chef.

La victime de ces  manoeuvres  frauduleuse  qui a  vu  son  adversaire  obtenir un  jugement  définitif  susceptible d’exécution  forcée  ,  pourra  tout  d’abord  introduire  un  recours  en   rétractation  .Il pourra  s’il  ramène  la  preuve  de  la véracité des  manœuvres  frauduleuses  qui  ont provoqué  ce  jugement  , le faire  annuler. Le  problème  est  que les  conditions  de recevabilité  d’un  tel recours  sont  limitativement  fixées par  la  loi. En  vertu de  l’article  392  du  code  de  procédure  civile  et   administrative , le recours  en rétractation    n’est ouvert  que dans  les 2 cas  suivants :

-S’il  a été jugé sur des témoignages ou des pièces reconnus ou judiciairement déclarés faux depuis le jugement, l’arrêt ou l’ordonnance passé en force de chose jugée.

-Si depuis le jugement, l’arrêt ou l’ordonnance passé en force de chose jugée il a été recouvré des pièces décisives qui étaient retenues volontairement par une partie.

Certaines manœuvres   qui tendent à  tromper  le  juge  et  obtenir  un  jugement   contre son adversaire  ,  bien  qu’elles  peuvent être qualifiées de frauduleuses  ,  ne  sont  pas   constitutives du  faux  , aussi  la jurisprudence  comparée  sanctionne  en  tant que délit  ce comportement  sous  la qualification d’ «   escroquerie  au  jugement ».C’est  cette  même  jurisprudence qui  a fixé  les contours  et  les  éléments  constitutifs    de cette infraction  en  la réprimant sur  la  base  de  la  disposition  du  code  pénal qui punit  l’escroquerie.

L’article  372  du  code  pénal  dispose : « Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, ou pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou de tout autre  événement chimérique, se fait remettre ou délivrer, ou tente de se faire remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou  moyens, escroque ou tente d’escroquer la totalité ou une partie de la fortune d’autrui est puni d’un emprisonnement d’un (1) an au moins et de cinq (5) ans au plus, et d’une amende de cinq cents (500) à vingt mille (20.000) DA ».

Sur  la base  de  cette  disposition  , le jugement étant  un titre  exécutoire  qui  créé  une  obligation ou une décharge  , la jurisprudence  comparée  sanctionne le fait de tromper la religion  du juge  pour obtenir  un  jugement en défaveur de  son adversaire  portant  ainsi  atteinte  à  la fortune et  au patrimoine  de  ce  dernier  . La  Cour  suprême  n’a  pas  encore  à  ma connaissance rendu  des arrêts publiés  sur  la question  , ce qui signifie  que les  justiciables victimes  de tels agissements  méconnaissent   ce  mécanisme  pénal de remise en  cause  des jugements et  ne  saisissent pas  ou saisissent  rarement  le juge  pénal de ce  chef  d’infraction  .Aussi  c’est la  jurisprudence  de  Cour  de cassation  française  qui a   fixé  les  contours de cette  infraction  spéciale  sachant  que  la disposition pénale  sur  laquelle  est assise cette  jurisprudence est  l’article  313-1  du  code  pénal français  qui  punit  l’escroquerie qui  est  l’équivalent  de  l’article 372 du  code  pénal  algérien.

La condition  première  pour  que  le délit d’escroquerie  au  jugement  soit  établi  est qu’il  y  ait  un mensonge  destiné  à tromper le juge  afin d’obtenir  un  jugement  favorable  au  détriment  de  la partie adverse. Mais  cet élément n’est  pas  suffisant en  lui-même , car  le mensonge  seul  ne  peut  occulter le droit d’ester  en  justice. Il  doit  être  suivi  de  manœuvres  frauduleuses,  c’est à dire  d’un  fait extérieur ou  d’un   agissement  quel  qu’il soit  destiné  à  y faire  ajouter  foi . Ensuite  il faudrait  prouver  l’intention  coupable de  l’auteur  de  la manœuvre frauduleuse  , en  l’occurrence  démontrer que  ce  dernier  a  à  dessein    tromper  le juge  pour obtenir  le  jugement  en sa faveur .Il s’agira donc de  prouver  la mauvaise foi

Peuvent  constituer  par  exemple  le délit  d’escroquerie au jugement , la production  dans une instance en divorce  de documents  attestant  faussement  la situation  financière ou sociale de  l’époux dans  le   but de  minorer les pensions  alimentaires  attribuées à  l’épouse,  la condamnation  du locataire  au paiement d’arriérés de loyer  au  propriétaire  qui  a  dissimulé   le fait  que   le  contrat  de  location a  été résilié  et  le  local  loué  à  une  autre  personne .Relèvent aussi de  la prévention  d’escroquerie  au  jugement  , la production  dans une  instance  d’un jugement  établissant  la réalité d’une  créance  alors que  ce  jugement a  été annulé en  appel,  la  production  par  l’employeur d’un faux  contrat de  travail  à  durée déterminée  afin d’éviter  le  versement  d’indemnités  pour licenciement  abusif ,  la production d’une  fausse  facture   pour  justifier une créance, la production de  fausses  attestations  ou de faux témoignages,  la  production de  documents  périmés n’ayant  plus  aucun  effet  juridique,

La  mise  en  mouvement  de  l’action  pénale   pour  le  délit d’escroquerie  au  jugement intervient  soit  par  un  dépôt  de  plainte  au  commissariat  de  police  ou à la  brigade  de  gendarmerie,soit   auprès  du  procureur  de  la république ,soit  par  dépôt  de  plainte auprès du juge  d’instruction avec  constitution de partie civile. En  pratique  la  plainte  vise   en  même temps  le délit   d’escroquerie  au  jugement  et   les  infractions  de faux   et  usage  de  faux .A  l’instar de  tous  les  délits ,le  délit d’escroquerie  au  jugement  se prescrit  par  3  années  conformément à  l’article  8 du  code  de  procédure  pénale.La  jurisprudence fixe  le point de  départ  de  cette  prescription à compter  du jour où la décision obtenue frauduleusement est devenue exécutoire et non au moment où le jugement est mis à exécution.

Par Mohamed  BRAHIMI

Avocat à  la  cour  de  Bouira

brahimimohamed54@gmail.com