Les référés en matière de passation des marchés publics : Référé précontractuel et référé contractuel

mohamed brahimi Par Le 07/12/2025

Marches publicc

L’une des actions les plus essentielles de l’activité administrative est la passation des marchés publics et autres  contrats administratifs qui traduit le processus par lequel les personnes publiques choisissent leurs cocontractants  .Ce processus est encadré actuellement  en ce qui concerne spécifiquement  les marchés publics par la loi n° 23-12 du 05 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics , ainsi que par le décret exécutif n° 21-219 du 20 mai 2021 portant approbation  des clauses administratives générales applicables  aux marchés publics des travaux.Basée sur des principes fondamentaux tels que la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement entre les candidats et la transparence des démarches, la passation des marchés publics vise à garantir une concurrence équitable et une gestion optimale des fonds publics.

Ces principes généraux ont été expressément énoncés dans la loi n° 23-12 du 05 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics. Ces principes  se retrouvent à l’article 5 de cette loi  qui dispose  que dans le souci  d’assurer l’efficacité des marchés publics  et le bon emploi des fonds publics, la passation des marchés publics obéit aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.  Ainsi l’évaluation des candidatures doit se fonder sur de critères non discriminatoires en relation avec l’objet du marché et proportionnels à son étendue ( art. 43).Une section entière de cette loi a été réservée à la  transparence des procédures ( art.  46 à 48 ) .En application de l’article 46 , le recours à la publicité est obligatoire et  s’effectue dans le bulletin  officiel des marchés de l’opérateur public (BOMOP) et par voie de presse écrite et de presse électronique .En application du même texte , le recours à la publicité doit être effectué  également  au niveau du portail électronique des marchés publics  pour les modes de passation . 

 

Le dossier d’appel d’offres, mis à la disposition des soumissionnaires doit contenir  les renseignements et les documents nécessaires leur permettant de présenter des offres acceptables (art. 47 ).Le choix de l’offre doit s’appuyer sur des éléments objectifs détaillés dans l’article 53 qui  dispose :« Le service  contractant doit s’appuyer, pour choisir l’offre économiquement la plus avantageuse, soit sur plusieurs critères , soit sur le critère du meilleur rapport qualité /prix, lorsque l’objet du marché le permet ». En outre , et en vertu du même texte ,  les critères de choix du cocontractant et leur poids respectif doivent être liés à l’objet du marché et non discriminatoires et être obligatoirement mentionnés dans le cahier des charges de l’appel à la concurrence , et le   système d’évaluation des offres techniques doit être en adéquation avec la nature, la complexité et l’importance de chaque projet. Enfin il est strictement interdit au service contractant de négocier sous quelque forme que ce soit avec les soumissionnaires dans la procédure d’appel d’offres sauf exception prévue par la loi.

Il est à signaler que les principes fondamentaux applicables aux marchés publics ont été réitérés dans la loi n° 06-01du 20 février 2006 relative à la prévention  et à la lutte contre la corruption qui dispose en son article 9 que les procédures applicables en matière de marchés publics doivent être  fondées sur la transparence, la concurrence loyale et des critères objectifs , et à  ce titre  elles contiennent notamment : la diffusion d'informations concernant les procédures de passation de marchés publics, l'établissement préalable des conditions de participation et de sélection , des critères objectifs et précis pour la prise des décisions concernant la passation des marchés publics  et l'exercice de toute voie de recours en cas de non-respect des règles de passation des marchés publics. Signalons aussi que les dispositions de la loi n° 08-12 du 25 juin 2008 modifiant et complétant l'ordonnance n° 03-03 du 19 juillet 2003 relative  la concurrence s’appliquent  aux marchés publics à partir de la publication de l’avis d’appel d’offres jusqu’à l’attribution définitive du marché et ce en application de l’article 2 de cette loi.

Le service  contractant  doit donc veiller lors de la passation d’un marché public au respect scrupuleux des lois et règlements régissant la passation des marchés publics, et veiller   à ce que les candidats  à la soumission soient traités en toute égalité et transparence. Il  peut arriver  que pour une raison ou une autre  , le service contractant s’écarte de ces  règles ,par exemple  en  favorisant un candidat  au détriment d’un autre ou en introduisant dans le marché public ou le contrat administratif des clauses non conformes à la réglementation ou affectant sa substance , ce qui peut entrainer l’invalidation ou l’annulation du marché ou de certaines de ses clauses .Dans cette situation le candidat évincé , au cas où sa réclamation est rejetée  n’aura d’autres choix que de saisir la justice pour faire valoir ses droits. S’agissant d’un contentieux portant sur un marché public ou un contrat administratif conclu  avec une personne publique ( l'État, une collectivité  locale ,  un établissement public régi par le droit public , un établissement public  ou une entreprise publique économique agissant en qualité de maître d’ouvrage délégué chargé de cette mission par l’Etat ou par les collectivités locales , un  établissement public soumis aux règles commerciales  pour la réalisation d’une opération financée directement, en totalité ou en partie, sur le budget de l’Etat ou sur le budget des collectivités locales )  un tel litige  relève du tribunal administratif. Parmi les tribunaux administratifs  repartis sur le territoire national , c’est le tribunal du lieu de passation du marché public  ou de son exécution qui est territorialement compétent , et ce conformément à l’article  804-3 du code de procédure civile et administrative ( CPCA).

Le candidat évincé , c’est à dire l’entreprise  qui n’a pas remporté le marché public ou le contrat administratif , ou dont l’offre a été rejetée  peut saisir le tribunal administratif soit avant la signature du marché public ou du contrat  soit après leur signature. Il a à sa disposition plusieurs recours juridictionnels. Il peut d’abords exercer  un recours contentieux de pleine juridiction devant le tribunal administratif statuant au fond suivant  la procédure normale. Cette action permettra aux concurrents évincés de contester directement la validité du marché public ou du contrat administratif . Ce recours peut  aussi être exercé comme dans toute action en justice  par un tiers qui n’a pas candidaté mais justifiant d’un intérêt lésé par le marché public ou le contrat administratif et qui peut exciper d’un préjudice direct et certain. Le but de cette action est  de faire annuler le marché public ou le contrat administratif ou certaines de  leurs  clauses , ou encore de demander une indemnisation  pour le préjudice subi. Notons que cette possibilité  reconnue  à d’autres  entreprises   que celles  ayant  présentés une candidature  n’a pas encore été validée par une décision du Conseil d’Etat algérien ,et ce alors même que cette haute juridiction  est réticente comme nous le verrons à  prononcer  l’annulation pur et simple d’un marché public.    

A coté de ce recours de pleine juridiction porté devant le tribunal administratif en sa formation collégiale , les articles 946 et 947 du code de procédure civile et administrative ont prévu deux procédures spécifiques  qui visent  à sanctionner les manquements aux obligations de publicité et de mise en  concurrence auxquelles est soumise  la passation  des marché publics et autres contrats administratifs .Il s’git pour le  premier du référé précontractuel (CPCA, art. 946-3 )  qui s’exerce avant la signature et la conclusion du marché public ou du contrat administratif , et pour le deuxième du référé  contractuel  (CPCA, art. 946-1) qui peut être   introduit après la signature et la conclusion du marché public ou du contrat administratif.

L’avantage de ces deux procédures spéciales ( Référé précontractuel et référé  contractuel )  est qu’elles relèvent du tribunal administratif  siégeant comme juge des référés. Il s’agit là d’une  procédure d’urgence , rapide et dont les décisions  sont exécutoires immédiatement nonobstant appel. On voit ici l’avantage des ces deux référés par rapport à la procédure de droit commun. Il est vrai aussi qu’une action au fond tendant à l’annulation ou à la modification d’un marché public ou d’un contrat administratif  , et alors même que cette procédure  débouche sur une décision  susceptible d’appel qui est suspensif, ce qui on s’en doute prend beaucoup de temps pour qu’elle soit exécutoire, il n’en demeure pas moins qu’il est possible au requérant dans cette action au fond  d’introduire en parallèle un référé-suspension prévu par l’article 919 du code de procédure civile et administrative à l’effet de  suspendre provisoirement la signature du marché public ou du contrat administratif litigieux ou certaines de leurs clauses  jusqu’ au prononcé sur cette action au fond . Il est indéniable qu’il est dans l’intérêt du concurrent évincé de la conclusion d’un marché public ou d’un contrat administratif d’opter pour la saisine du juge du référé  précontractuel ou contractuel  quand  il s’agit de contester la validité du marché public ou du contrat administratif pour cause de manquement aux obligations  de publicité et de mise en  concurrence.   

Qu’il s’agisse du référé précontractuel ou du référé contractuel, ces deux procédures s’appliquent indistinctement aux contrats administratifs et aux marchés publics (CPCA,art.946-1).Les marchés publics constituent une catégorie particulière de contrat administratif , alors que tous les contrats administratifs ne sont pas  des marchés publics. Le terme « contrats administratifs » visé à l’article 946 du code de procédure civile et administrative recouvre donc une gamme plus large de contrats passés par l’administration pour les besoins d’intérêt général. Si dans un marché public le cocontractant est rémunéré directement par le service contractant,  dans le contrat administratif la rémunération  peut provenir des recettes d’exploitation  du service ( délégation de service public , concession d’exploitation ,  contrat d’occupation du domaine public, contrat de partenariat…).

Nous examinerons  successivement ces deux procédures de référé .Le législateur algérien n’a pa cru utile de prévoir un dispositif législatif propre à ce genre de référé  comme c’est le cas dans certaines législations étrangères. Seuls deux articles succincts (CPCA, art. 946 et 947)  traitent de ce genre de référé. Aussi c’est la jurisprudence et la doctrine qui ont le comblé le vide juridique en cette matière.

1-LE REFERE PRECONTRACTUEL

1-1- Compétence et recevabilité

En application de l’articla 946 alinéa 1 du code de procédure civile et administrative , le tribunal administratif  peut être saisi par requête en cas de manquement  aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise les passations de contrats  administratifs et des marchés publics. Le même article dispose dans son alinéa 3 que le juge administratif  peut être saisi avant la conclusion du contrat. L’article donne compétence au «  tribunal administratif » sans autre précision. Mais sachant que  l’intitulé du chapitre 5 dont relève  l’article 946 est   «  Du référé en matière de passation des contrats et marchés » , il est évident que le juge compétent n’est  pas le tribunal administratif en sa formation collégiale mais la compétence est dévolue au président de ce tribunal  siégeant en tant que juge des référés. Cette ambigüité dans la formulation  du texte de loi est due au fait qu’avant la modification du code de procédure civile et administrative , c’était  la formation collégiale  du tribunal administratif qui était compétence pour statuer sur les actions en référé et ce en application de l’ancien article 917 qui disposait : «  Il est statué en matière de référé par la formation collégiale chargée de statuer sur l’action au fond » .Suite à la modification  du code de procédure civile et administrative  intervenue en 2022  en vertu de la loi n° 22-13 du 12 juillet 2022  , c’est désormais le président du tribunal administratif qui est compétent en matière de référé. Lors de l’élaboration et de la présentation  du projet de loi portant modification du code de procédure civile et administrative ,  l’article 919 qui traitait  du référé en matière de passation des contrats et marchés  aurait dû être modifié pour être en adéquation avec le nouvel article 917 et ce en remplaçant l’expression «  le tribunal administratif «  par  l’expression «  le président du   tribunal administratif . Ce genre de référé  qui par ailleurs oblige le  président du tribunal administratif    saisi  à statuer  sur la demande dans un bref délai de 20 jours à compter de sa saisine ,  est donc un recours contentieux d'urgence qui permet au juge de veiller au respect des règles de publicité et de mise en concurrence avant la signature d'un marché public ou d’un contrat administratif ce qui empêchera la conclusion d’un contrat illégal.    

Le référé précontractuel est soumis à certaines conditions de recevabilité qui sont au nombre de trois : Elles ont trait  au contrat administratif  objet du recours , à l’auteur de l’action et  enfin à l’exigence d’intenter cette action avant la conclusion  du contrat.

Il doit d’abord s’agir d’un marché public ou d’un contrat administratif au sens de l’article 2 de la loi  n° 22-13  du 12 juillet 2022 qui donne la définition suivante : « Les marchés publics sont des contrats écrits conclus, à titre onéreux, par l’acheteur public appelé  service contractant  avec un ou plusieurs opérateurs économiques appelés  partenaires cocontractants,  pour répondre à des besoins du service contractant en matière de travaux, de fournitures, de services et d’études ». Le   marché public ou le  contrat  administratif doit être conclu  par un  acheteur public  c’est  à dire suivant l’article 9 de la même loi par   l’Etat , les collectivités locales , les établissements publics régis par le droit public, les  établissements publics et les entreprises publiques économiques agissant en qualité de maître d’ouvrage délégué  chargés de cette mission par l’Etat ou par les collectivités locales  et les  établissements publics  soumis aux règles commerciales pour la réalisation d’une opération financée directement, en totalité ou en partie, sur le budget de l’Etat ou sur le budget des collectivités locales.

Les marchés publics et les contrats souscrits par ces personnes morales  sont donc justiciables du référé précontractuel  ,mais en application de l’article 109 de la  loi  n° 22-13  du 12 juillet 2022  ,  les marchés publics relatifs à l’acquisition et à la réalisation des moyens et des infrastructures liés à la sécurité et à la défense nationale  sont  régis par un autre dispositif réglementaire pris sur proposition du ministre de la défense nationale ,et leur contrôle    relève des commissions instituées auprès du ministre de la défense nationale  qui fixe leur composition et leur fonctionnement. Le juge du référé précontractuel n’est donc pas compétent pour statuer sur les litiges engageant des contrats ou marchés d’acquisition et de  réalisation des moyens et des infrastructures liés à la sécurité et à la défense nationale. Par exception ,et en application du même article  109 , le pouvoir du juge du référé précontractuel peut s’exercer   s’il s’agit de contrats autres que ceux  relatifs  à l’acquisition ou à la   réalisation des moyens et des infrastructures liés à la sécurité et à la défense nationale sous réserve de la prise en compte des spécificités auxquelles  est soumis  l’appel d’offre   telles que prévues à l’article 109 alinéa 1 tirets 1 à 4 qui dispose :  «  Les marchés publics relevant du ministère de la défense nationale ne sont pas obligatoirement soumis aux dispositions de la présente loi, en matière : - d'ouverture des plis en séance publique ; - de la publication ou de la communication des informations et des documents prévus à l’article 95 de la présente loi, nécessitant la préservation des intérêts de la défense nationale et de la sécurité de l'Etat ; - de la mise à disposition des candidats et des soumissionnaires, par voie électronique, des documents d’appel à la concurrence, prévus à l’article 107 de la présente loi ; - de la soumission des marchés publics au contrôle de la régularité des procédures de passation et d’attribution, exercé par le Conseil national des marchés publics  ».

 Le référé précontractuel doit être introduit soit par la personne candidate  à l’attribution d’un marché public , soit par l’autorité administrative compétente. En vertu de l’article  946 alinéa  2 du code de procédure civile et administrative ,  les personnes habilitées  à agir sont celles  qui ont intérêt  à conclure le marché et qui sont susceptibles d’être lésées  par  un  manquement aux obligations de publicité ou de mise en concurrence     , ainsi  que le représentant de l’Etat  dans la wilaya  dans le cas où le contrat  est conclu ou  doit être conclu par  une collectivité locale  ou un établissement public local.

Un candidat  qui a été écarté  de la soumission  à  un moment quelconque de  procédure  de passation d’un  marché ou d’un contrat  sera donc recevable à introduire un référé précontractuel. La jurisprudence considère  que le référé précontractuel est admis  même s’il s’agit d’attribution de lots  dès lors que ceux-ci  constituent des entités distinctes dans la procédure d’allotissement , et par  conséquent  le candidat évincé peut demander  la mise en conformité  de la procédure pour les lots visés. En outre le référé précontractuel  est recevable même s’il a été introduit par un candidat potentiel ,c’est à dire  par  une entreprise  qui n’a pas  été mise en situation  de présenter  une offre  pour cause de  la violation  des obligations de publicité  et de mise en concurrence .Pour être recevable , il suffit  au  candidat potentiel  évincé de prouver que son entreprise  est spécialisée dans le domaine visé par  le marché entaché d’irrégularités.

Pour être recevable le référé précontractuel doit être introduit  avant la signature du  marché  ou du contrat contesté  sinon l’action sera déclaré irrecevable par le juge . Dans l’hypothèse où le contrat  a été signé alors que le  référé précontractuel est toujours pendant  devant le juge  ,  ce dernier    prononcera  un non- lieu à statuer .Le risque  quand une action en référé précontractuel est engagée est que  les  parties au contrat contesté , et dans le but de faire obstacle à une décision défavorable , s’empressent de signer ce contrat avant que le juge ne rende sa décision , ce qui obligera ce dernier à prendre acte de cette nouvelle situation qui rend le référé précontractuel sans objet et par suite rendra une ordonnance de non-lieu à statuer  . La loi a  bien prévu  un dispositif qui éviterait le recours à cette manœuvre  dilatoire  puisque l’article 946 dernier alinéa du code de procédure civile et administrative  dispose  que le juge   peut dès qu’il est saisi d’un référé précontractuel  , ordonner à ce que la signature de  contrat soit différée jusqu’au terme  de la procédure et pour  une durée maximum de 20 jours . Ce dispositif  a  en vérité un effet limité puisque , d’une part il  suppose que le contrat n’a pas encore été signé   , et d’autre part il n’est pas automatique et est laissé à la seule l’appréciation du juge qui peut ne pas ordonner cette suspension de la signature  , et ce contrairement à certaines législations étrangères où la saisine du juge précontractuel  a un effet suspensif automatique  qui dure jusqu’à la notification  à l’auteur du manquement de  l’ordonnance du juge du référé précontractuel  ce qui met fin à la course à la signature.

Il n’y a pas   de délai pour introduire un référé précontractuel, la seule condition étant d’engager ce recours avant la signature du marché public ou du contrat.  Pour éviter que le juge du référé  précontractuel  ne prononce le non- lieu à statuer au cas où    le contrat a été signé alors qu’il n’a pas encore rendu sa décision ,  est  que le requérant verse  devant le même juge et dans la même instance de nouvelles conclusions en référé contractuel en lieu et place du référé précontractuel. En jurisprudence comparée on parle de « recours contractuel rattaché à un recours précontractuel « .

Dans un arrêt de principe rendu par le Conseil d’Etat français (CE,10 novembre 2010 , n° 340944 ), cette haute juridiction   a précisé les contours du principe et  des conditions  de recevabilité d’un référé contractuel adossé à un référé précontractuel .Il a jugé que le demandeur qui a fait usage du référé précontractuel peut former un référé contractuel  si le pouvoir adjudicateur ne s’est pas conformé à la décision du juge du référé précontractuel de suspendre  la signature du contrat , ou encore si le requérant  ignorait que son offre a été rejeté quand il a saisi le juge précontractuel  ,ou qu’il n’a été informé de la signature du contrat qu’après cette saisine par le mémoire en réponse versé par le  pouvoir adjudicateur.

Pour que le juge du référé précontractuel rende une décision favorable au candidat évincé, ce dernier doit d’abord prouver un manquement du service adjudicateur  à une obligation  de publicité  ou de mise en concurrence, et  que ce manquement  a eu pour effet de l’évincer et de favoriser  un concurrent. Seuls ces manquements à l’exclusion de tout autre moyen ou vice de procédure dans la passation du marché public sont susceptibles d’être pris en compte dans la décision du juge. Ainsi constituent des moyens opérants suivant la jurisprudence ,  la violations des obligations relatives  à la  publicité  ( passation d’un marché public  ou d’un contrat  administratif en l’absence de  toute publicité , publicité insuffisante ou non conforme ,caractère incomplet des informations  dans l’avis d’appel d’offre ),  les vices inhérents à  l’information des    candidats ( rupture d’égalité entre les candidats devant l’information ,  non respect de la durée de publication  prévue par les textes , défaut de mention des caractéristiques essentielles  du marché public ou du contrat administratif et  non diffusion  des documents nécessaires à la formation de la soumission , défaut  de notification des motifs  de rejet d’une candidature ou d’une offre ) , les   vices inhérents à l’objet du  marché public  ou du contrat  administratif  ( objet   imprécis  , définition de l’objet    ayant pour effet de rompre l’égalité entre les candidats , critère de sélection des candidats sans rapport avec le  marché public  ou le contrat  administratif ). Constituent également  des moyens opérants entrainant  le bien fondé d’une demande  en référé précontractuel ,   le défaut de communication  des critères de sélection  des offres et leur pondération ou hiérarchisation,  la non indication   des  documents ou renseignements au vu desquels  l’acheteur public entend opérer la sélection des candidatures, l’irrégularité  du motif  d’exclusion  ou d’admission  d’un candidat  à l’attribution d’un contrat ou d’un marché , la violation   du principe d’égalité dans la remise des offres , l’irrégularité de la composante de la   commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres et le défaut d’impartialité  du service contractant.

 1-2- jugement du référé précontractuel

Le juge du référé précontractuel est saisi par une requête écrite  signée par le requérant ou son avocat déposée et enregistrée au greffe du tribunal administratif sous un numéro d’ordre. Cette requête  contiendra  l’objet de la demande ainsi que les mentions  prévues à article  15 du code de procédure civile et administrative (CPCA, art. 815 et 816) . La requête  doit  être signifiée par le requérant à la personne publique concernée  par  voie d’huissier. S’agissant d’un référé , un délai bref est donnée par le tribunal au défendeur pour fournir son mémoire en réponse .En pratique  le  greffier chargé de l’enregistrement  de la requête introductive d’instance  appose sur la copie de celle-ci  la date où sera appelée l’affaire .A cette date , le défendeur fournira à l’audience son mémoire en réponse ou ses observations  auxquels sont joints éventuellement  ses pièces qui seront remis sur le champ au demandeur qui pourra répliquer si le juge l’y autorise, sinon l’affaire sera mise en délibérée après que les parties aient présenté s’ils le souhaitent leurs observations orales à l’appui de leurs observations écrites.

En application de l'article 917 du  code de procédure civile et administrative , il est statué en matière de référé au niveau du tribunal administratif par son président qui siège seul en présence du greffier et du commissaire d’Etat. Par contre devant le  tribunal administratif d’appel   , il est statué sur l’appel  de l’ordonnance du juge du référé précontractuel  par une formation collégiale comprenant 3 magistrats au moins sous la présidence de son président (  CPCA,art.900 bis 5 bis et 917 ) . En cas de pourvoi en cassation contre  l’arrêt rendu par  le  tribunal administratif d’appel , le Conseil d’Etat statuera sur ce pourvoi   par une  formation collégiale  comprenant au  moins  3 membres    (  CPCA,art. 917 et art. 34 de la loi organique n° 98-01 du 30 mai 1998 relative a l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat). Le président du tribunal administratif doit rendre sa décision dans un délai maximum de 20 jours à compter de sa saisine (CPCA,art. 947) . il peut avant de rendre sa décision définitive décider  par ordonnance avant dire droit  la désignation d’un expert qui l’éclairera sur certains points du dossier. Il peut toujours rejeter la demande du requérant par ordonnance sans  instruction préalable , par exemple en cas de désistement pur et  simple , ou au cas où la demande est devenue sans objet  car le marché public ou le contrat administratif a déjà été  signé et conclu avec  un autre candidat. Les ordonnances de référé étant exécutoires par provision conformément à l’article 303-1 du code de  procédure civile et administrative, l’appel de l’ordonnance rendue sur un référé précontractuel n’est pas suspensif .

Le référé  précontractuel constitue un référé au fond au sens où d’une part  il confère au juge des pouvoirs étendus qui peuvent égaler  ceux du juge  du fond, et  d’autre part l’autorise  à  ordonner  certaines mesures définitives . le Conseil d’Etat français a jugé que les pouvoirs reconnus au juge du référé précontractuel  sont ceux d’un juge  « de pleine juridiction » c’est à dire d’un juge du principal qui  se prononce au fond (CE, 29 juillet 1998 , n° 177952 ). En  application de l’article 946-4 de code de procédure civile et administrative , le juge des référés peut ordonner  à l’auteur du manquement  de se conformer à ses obligations  et déterminer les délais dans lesquels  l’auteur   du manquement doit  s’exécuter , et il peut même décider  en application  du même article de suspendre la signature du marché public ou du contrat administratif  jusqu’au terme de la procédure mais seulement pour une durée de 20 jours.

Pour autant , le juge du référé précontractuel peut-il sanctionner le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence par l’annulation totale ou partielle de la procédure de passation du marché public ?  La loi est muette sur cette question. Le code de justice administratif  français qui contient des dispositions similaires aux article  946 et 947 du code de procédure civile  contient un alinéa  (  CJA, art. L 551-2 )  dispose  expressément que :  «  le juge  peut en outre annuler les décisions qui se rapportent  à  la passation  du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent les obligations de publicité et de mise en concurrence». Le  Conseil d’Etat français a ainsi annulé  la procédure de passation d’un marché public relatif à l'implantation et l'entretien d'abribus et de panneaux d'affichage, et ce au motif qu’en vertu du  règlement de la consultation  établi par le pouvoir adjudicateur ,les candidats étaient autorisés à présenter des « services annexes »   alors   que les  prestations complémentaires ainsi demandées ne faisaient l'objet d'aucune description précise , ce qui constitue un manquement  aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE,15 décembre 2008, n° 310380).

Dans  un autre arrêt daté du 17 novembre 2006 , n° 290712 , le Conseil d’Etat français  a jugé que s'il est loisible à l'acheteur public d'exiger la détention  par les candidats à l'attribution d'un marché public  de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence  lorsqu'elle a pour effet de restreindre l'accès au marché à des entreprises  doit être objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser. Par conséquent le pouvoir adjudicateur méconnaît les obligations de mise en concurrence auxquelles est soumise  la passation d'un marché, s'il impose un niveau de capacité financière aux candidats au marché, alors qu'il n'a fourni aucun élément établissant que le niveau d'exigence est rendu nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser.

Le  Conseil d’Etat français a aussi  jugé  ( CE,8 août 2008,n° 307143) que les tranches conditionnelles adossées à la tranche ferme du marché public doivent être suffisamment précises , et  par conséquent l’absence de précision suffisante des exigences relatives au contenu de la prestation objet de la tranche conditionnelle constitue une méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de ses obligations de publicité et de mise en concurrence , et justifie à lui seul l'annulation de la procédure de passation du marché  avec injonction  de  conclure un marché de même objet et  de reprendre l'intégralité de la procédure de passation du marché litigieux en respectant ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Cette jurisprudence peut être  transposée en droit algérien  puisque l’article 30 de la loi n° 23-12 du 5 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics  autorise le recours aux marchés comportant   une ou plusieurs tranches conditionnelles.

Par jugement daté du 3 décembre 2015 n° 1509913, le tribunal administratif  français de Cergy-Pontoise , statuant sur  un référé précontractuel  a  annulé   la procédure de passation d’un marché public relatif à la fourniture et à la mise en place d’une solution de verbalisation électronique avec injonction au pouvoir  adjudicateur de reprendre la procédure dans son intégralité si elle entend la poursuivre , et ce en considérant   que le fait pour un pouvoir adjudicateur  de renvoyer à un catalogue des prix fournisseur sans préciser dans les documents de la consultation la nature et l’étendue des prestations attendues dans le cadre de ce catalogue , ne met pas les candidats à même de présenter une offre en connaissance de cause des besoins du pouvoir adjudicateur à satisfaire, alors que ceux- ci doivent être définis au préalable conformément à l’article 5 du code des marchés publics. Cet article 5 du code des marchés publics  français qui a constitué  la base juridique de cette jurisprudence a son équivalent dans le code des marchés publics  algérien   puisque l’article  16  de la loi n° 23-12 du   5 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics   dispose  que :  «  les  besoins du service contractant sont préalablement déterminés avant le lancement de toute procédure de passation de marchés publics -  La nature et l’étendue des besoins du service contractant doivent être établies avec précision  par référence à des spécifications techniques détaillées établies sur la base de normes et/ou de performances ou d’exigences fonctionnelles à atteindre ».

  

Le code de procédure civile et administrative algérien n’ayant pas prévu une disposition analogue à l’article L 551-2 du code de justice administratif  français qui confère au juge du référé précontractuel le pouvoir d’annuler  totalement ou partiellement la procédure de passation du marché public, il revient au Conseil d’Etat algérien de faire œuvre de jurisprudence en clarifiant  cette question ,   sachant que cette haute  juridiction a rendu un arrêt daté du 6 février 2014 n° 78670 statuant sur la  contestation d’une décision d’annulation d’une attribution  provisoire d’un marché public qui incidemment a jugé que les  litiges portant sur les marchés publics relèvent  du plein contentieux car étant des différends nés d’un contrat et de son exécution et n’ont aucun rapport  avec les actions en annulation des décisions administratives , et qu’ainsi  la décision d’attribution provisoire d’un marché public ou de sa résiliation  n’est pas une décision  administrative ,  et qu’en tout état de cause il est du pouvoir de  l’administration de décider de l’annulation de l’attribution provisoire ou définitive. Au vu de cette jurisprudence du Conseil d’Etat  , et eu égard à la volonté  du législateur algérien qui transparait de la rédaction des articles 946 et 947 du code de procédure civile et administrative , la balance  pencherait plutôt  pour la limitation du pouvoir du juge du référé précontractuel au seul  prononcé de décisions d’injonction de mise en conformité  et de suspension  des décisions  se rapportant à la passation du contrat à l’exclusion de la possibilité d’annuler totalement ou partiellement la procédure de passation.

Le candidat évincé peut toujours saisir dans les formes ordinaires  le tribunal administratif siégeant en formation collégiale comme juge du fond ,d’un recours  contre la décision d’attribution d’un marché public. Dans cette action au fond ou de plein contentieux, le candidat évincé  peut  demander au tribunal  l’invalidation du marché public ou du contrat administratif  aussi bien pour les même motifs que ceux prévus pour le référé précontractuel c’est à dire la violation des règles de publicité ou  de mise  en concurrence , que pour toute autre irrégularité ayant entaché la conclusion du contrat. Selon la gravité de l’irrégularité , le tribunal administratif peut  prononcer  l’annulation ou la résiliation du contrat  ou de  certaines  de ses   clauses ,ou encore modifier  ses clauses voire accorder une indemnisation , comme il peut autoriser la poursuite de  la conclusion  du contrat  tout en enjoignant au pouvoir adjudicateur de prendre certaines mesures .Il est évident que dans  genre de recours , le jugement ne sera rendu qu’après un long délai qui sera encore plus long en cas d’appel et d’ici là le marché public  serait déjà signé et même exécuté.  Pour éviter une telle situation , l’article 919-1 du code de procédure civile et administrative  permet d’introduire un référé-suspension dont l’objet sera de demander à ce que le pouvoir adjudicateur suspende la signature ou l’exécution du marché public jusqu’à ce que l’action au fond soit définitivement jugée.   

En tout état de cause , le juge du référé précontractuel peut toujours assortir son injonction d’une astreinte ( CPCA,art.  946-5) . La condamnation à l’astreinte  qui est  indépendante des dommages et intérêts est liquidée par le même juge du référé qui  l’a prononcé , sauf si la personne publique  condamnée à l’astreinte démontre  que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’ordonnance  ne lui est pas imputable ou  est due à une cause étrangère (CPCA,art.  305  ).  

Les injonctions qui peuvent être ordonnées par le juge du référé précontractuel   sont variées et se résument  aux mesures suivantes :

- Communiquer au candidat évincé les motifs du rejet  de son offre .

- Soumettre la candidature du requérant à un réexamen par la commission d’ouverture des  plis et d’évaluation des offres.

- Admettre une candidature si le juge estime qu’il n’y avait aucun motif sérieux du rejet par le pouvoir adjudicateur  de cette candidature.

- Ordonner au pouvoir adjudicateur de reprendre la passation du marché public  dans le respect des règles de publicité  et de mise en concurrence  en lui fixant un délai  à cette fin.

-En application de l’article 946-5 du code de procédure civile et administrative  et si le requérant le demande , enjoindre au pouvoir adjudicateur de différer la signature  du contrat jusqu’au terme de la procédure mais seulement pour une durée de 20 jours,  ce qui permettra de suspendre l’exécution  de toute décision  en rapport avec la passation du marché public. Dans ce cas , le juge rendra deux ordonnances distinctes , la première enjoindra au pouvoir adjudicateur de différer la signature du marché public , la deuxième ordonnance statuera sur l’objet de la demande.

Par contre , s’agissant d’un référé,  le président du tribunal adminsutat ne peut condamner le pouvoir adjudicateur à des dommages et intérêts au profit du candidat évincé , ni s’opposer  à la décision de l’autorité adjudicatrice de renoncer à passer le marché public notamment pour  un motif d’intérêt général  ou pour éviter les risques juridiques  liés à cette  contestation.

L’ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel est exécutoire nonobstant appel  c’est-à-dire qu’elle est immédiatement exécutoire , et les dirigeants du  service contractant qui refusent l’exécution  de cette ordonnance engageront leur responsabilité personnelle  et s’exposeront  même à des poursuites pénales pour  délit de passation d’un marché public  en violation des dispositions législatives et règlementaires et encourront une peine   d’emprisonnement   en vertu l’article 26 de la loi n° 06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention  et à la lutte contre la corruption.       

 1-1-3- voies de recours

 1-1-3-1-  L’appel

En application de l’article 937 du code de procédure civile et administrative, les ordonnances du juge du référé  précontractuel sont redues en  premier ressort , et  sont  donc susceptibles d’appel. Le délai d’appel est suivant  le même article  de  15 jours qui court à compter de la signification ou de  la notification de l’ordonnance  .Ce délai court aussi pour  celui qui a demandé la signification de l’ordonnance (CPCA,art. 950-4). L’appel est porté devant le tribunal administratif d’appel (CPCA,art.   900 bis et 937  ).Contrairement à la procédure devant le tribunal administratif  où les parties sont dispensés  du ministère d’avocat  , la constitution d’un avocat est obligatoire devant le tribunal administratif d’appel et ce sous peine d’irrecevabilité de la requête d’appel (  CPCA,art.  900 bis 1 al.2 ).

Par l’effet dévolutif  attaché à l’appel, le tribunal administratif d’appel  peut soit confirmer l’ordonnance du premier juge qui a débouté le requérant ou qui a fait droits à sa demande , soi la modifier  ,  soit en atténuer ou supprimer   les mesures ordonnées  par l’ordonnance attaquée .

L’appel n’est pas suspensif de l’exécution car l’ordonnance de référé  est exécutoire par provision et ce en application de l’article 303 du code de procédure civile et administrative .

1-1-3-2- L’opposition

En application de l’article 953 du code de procédure civile et administrative  modifié par la loi   n° 22-13 du  12 juillet 2022 , les ordonnances  et arrêts  par défaut  rendus par les tribunaux administratifs et  les tribunaux administratifs d’appel sont susceptibles d'opposition.  L’opposition doit être formée dans le délai de 15 jours à dater de  la signification de l’ordonnance du juge du référé précontractuel (CPCA,art. 954-2).Ce délai est porté à 1 mois si l’opposition est formée contre l’arrêt du  tribunal administratif d’appel (CPCA,art. 954-1).

Contrairement à l’appel qui ne suspend pas l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge des référés , l’article 955 du code de procédure civile et administrative dispose expressément que  l’opposition est suspensive d’exécution à moins qu’il en soit autrement ordonné. .

 

1-1-3-3-  le pourvoi en cassation

 

 

L’arrêt du tribunal administratif d’appel statuant sur le l’appel formé contre l’ordonnance du juge du référé précontractuel  peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil  d’Etat (CPCA,art. 901) .Ce pourvoi n’est recevable que si la demande initiale telle que présentée devant les  premiers juges du fond a conservé son objet à la date de l’enregistrement du pourvoi ou de son examen.  Si entre-temps le marché public a été signé ou que  le pouvoir  adjudicateur a renoncé à passer le  marché , le Conseil d’Etat rendra un arrêt  de non-lieu à statuer.  Le juge de cassation ne contrôle  pas  les appréciations portées par  les  juges du fond  qui sont souveraines , mais comme en matière de pourvoi en cassation devant la Cour suprême , seules  la violation des exigences  procédurales par les premiers juges  , les erreurs de droit  ou la dénaturation  des pièces du dossier sont susceptibles  de  faire censurer l’arrêt attaqué .

Le Conseil d’Etat  peut soit  rendre une décision de rejet  du pourvoi , soit une décision d’annulation de l’arrêt attaqué  .En cas d’annulation de l’arrêt du tribunal  administratif d’appel , le dossier est normalement renvoyé  soit devant le même tribunal administratif d’appel  autrement composé , soit devant un autre tribunal administratif d’appel (CPCA,art. 959 et  364-1 ) .Mais le  Conseil d’Etat peut aussi casser l’arrêt  objet du pourvoi sans renvoi   lorsque sa décision  en droit  ne laisse rien à juger  (CPCA,art. 959 et  365-1)   ou encore  casser sans renvoi  et  statuer  au fond,  mais seulement  lorsque les faits  tels qu’ils ont été souverainement constatés par les juges du fond  lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée ( CPCA, art. 959 et  365-2 ) .Par contre s’il s’agit d’un troisième pourvoi en cassation , le Conseil d’Etat n’a pas le choix  et doit  statuer en fait et en droit c’est-à-dire statuer  comme juge du fond (CPCA, art.959 et   374-4).

1-1-3-4- La tierce opposition

L’ordonnance rendue  par le juge du  référé  précontractuel  et  l’arrêt rendu sur appel de cette ordonnance  par tribunal  administratif d’appel sont-ils susceptibles d’un recours en tierce opposition ? L’article 960 du code de procédure civile et administrative modifié par la loi  n°  22-13 du  12 juillet 2022 autorise la tierce opposition  contre « un arrêt ou une ordonnance  qui a  tranché le fond du litige » .Sachant comme nous l’avons exposé que  le référé  précontractuel  étant un référé au fond   au sens où d’une part  il confère au juge des pouvoirs étendus qui peuvent égaler  ceux du juge  du fond , et  d’autre part l’autorise  à  ordonner  certaines mesures définitives , nous pensons que  l’ordonnance  rendue  sur un référé précontractuel et contrairement  aux autres référés qui ordonnent des mesures provisoires,  est susceptible du recours en tierce opposition .Ce recours est  formé en principe contre l’ordonnance rendue par  le juge du référé précontractuel du tribunal administratif  ,  mais si cette ordonnance a été frappée d’appel  c’est l’arrêt rendu sur cet appel  qu’il faut attaquer.  

Le recours en tierce opposition  peut être exercé  par toute personne  qui a intérêt et qui n’a été ni partie ni représentée  à  l’ordonnance ou à l’arrêt  attaqué (  CPCA,art. 381). L’entreprise qui s’estime  lésée  dans ses droits , notamment  l’entreprise  à laquelle devait être attribuée  le contrat dont la passation  a été suspendu , peut donc introduire ce recours en tierce opposition . La tierce opposition qui  vise à réformer ou  à rétracter l’ordonnance ou  l’arrêt statuant sur l’appel  ,   qui doit être portée devant  la même juridiction qui a rendu l’ordonnance ou  l’arrêt attaqué  , reste ouverte pendant 15 ans à compter de la date  de l’ordonnance  ou de l’arrêt , mais  s’il ya eu notification aux tiers c’est à dire à l’entreprise à laquelle devait être  attribuée le contrat  dont la passation a été suspendue ,  le délai de recours en tierce opposition est seulement de 2 mois à compter de cette signification ( CPCA,art.  960 ,  961 , 384 et 385,  ).Il sera à nouveau statué dans la nouvelle instance en tierce  opposition    en fait et en droit ( CPCA, art. 960-2   )

 2 -  LE REFERE CONTRACTUEL

Le référé contractuel relève du même texte de loi que le référé précontractuel (  CPCA, art. 946  ). Il vise lui aussi à sanctionner  le  manquement aux obligations  de publicité et de mise en concurrence  auxquelles est soumise  la passation des marchés publics ou  des contrats administratifs , mais a posteriori c’est à dire  après la signature du contrat ( CPCA,art 946-1). Le recours est introduit  ici aussi devant le tribunal  administratif du lieu  de passation du marché public  ou de son exécution siégeant en formation de juge des référés qui est le président du tribunal administratif  ou celui qu’il délègue (CPCA,art  804-3  )  .

2- 1- Cadre juridique du référé contractuel

Le référé contractuel est régi par l’article 946  du code de procédure civile et administrative  et ne peut être utilisé qu'après la signature du marché public ou du contrat administratif au cas où  le référé précontractuel n'est plus possible. L’entreprise  requérante  doit prouver un intérêt à agir et démontrer avoir été lésée par un manquement grave aux règles de transparence notamment celles relatives aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquels est soumise  la passation des   marchés publics. . S’agissant d’un référé , le juge ne peut pas accorder une indemnisation  à l’entreprise  requérante  , et doit se limiter à ordonner les mesures prévues à l’article 946 du code de procédure civile et administrative

Le candidat évincé peut- il former  un  référé contractuel   s’il  avait   pu former un référé précontractuel  au moment où le marché public n’avait pas été encore signé ?  Certaines législations  interdisent le recours au référé contractuel si le requérant  a pu introduire  un référé précontractuel et ne l’a pas exercé .Ainsi en est-il en droit français ( CJA ,art. L 551-14  ). En Algérie,  les dispositions de l’article 946  du code de procédure civile et administrative suggèrent par contre qu’il est possible d’agir par voie de référé contractuel quant bien même il a été possible  à l’entreprise évincé    d’exercer un référé précontractuel. L’article 946 alinéa 3 du code de procédure civile et administrative dispose que : «  le tribunal administrait peut être saisi  avant la conclusion du contrat » ,ce qui sous-entend  que le candidat évincé  a le choix entre les deux procédures.   

Dans l’hypothèse  où , alors que l’instance en  référé précontractuel est pendante devant le juge , l’entité adjudicatrice a procédé à la signature  du marché public  , l’entreprise évincée  peut-elle former un référé contractuel dans cette même instance  en versant un nouveau mémoire en ce  sens ? La loi est muette sur ce point,  mais la jurisprudence comparée le permet si le candidat évincé ignorait  le rejet de son offre  ou n’était pas au courant de la  signature du  marché  par suite d’un manquement du pouvoir adjudicateur. Nous pensons que rien n’interdit au juge algérien saisi d’un référé précontractuel d’autoriser l’entreprise  requérante à modifier en cours d’instance sa demande initiale par une nouvelle demande en  référé contractuel si les conditions sus- mentionnées sont réunies. Cette démarche  procédurale sera en conformité avec les principes  du procès équitable , d’une bonne administration de la justice et de célérité dans la prise de décision.

2- 2- Jugement  du référé contractuel

 Les règles de procédure applicables au référé précontractuel sus- exposées  sont les mêmes que celles applicables au référé contractuel.  Les pouvoir du juge du référé contractuel  en cas de  manquement d’une  personne  publique    aux obligations  de publicité et de mise en concurrence qui s’imposent  lors de la passation d’un marché public déjà conclu et signé sont ceux reconnus au  juge du  référé précontractuel.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

 

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