C’est là la procédure normale que doit suivre l’enregistrement et l’instruction d’un pourvoi en cassation en matière pénale devant la Cour suprême. Dans un souci d’efficacité , et pour éviter les pourvois en cassation abusifs qui ne sont formés que pour gagner du temps , la loi a prévu un mécanisme qui permet de rejeter les pourvois manifestement irrecevables ,et ce sans examen du fond car entachés d’une irrégularité ou d’un vice de forme. Ainsi et en application de l’article 518 du code de procédure pénale modifié par l’ordonnance n° 15-02 du 23 juillet 2015 : « lorsque l’examen de l’affaire révèle une nullité, une irrecevabilité, ou une déchéance flagrante du pourvoi, le président de la chambre, après avis du ministère public, déclare le pourvoi irrecevable ».Il y a lieu ici dores et déjà de relever le terme « flagrant » utilisé dans le texte. La loi ici , si elle autorise le rejet des pourvois en cassation même pour une irrégularité ou un vice de forme sans examen du fond , ce qui est soit une entorse au principe constitutionnel du procès équitable et au droit à un recours effectif , elle a pris soin d’exiger que cette irrégularité ou ce vice de forme soit « flagrant» c’est à dire entaché d’une gravité exceptionnelle , en l’occurrence une irrégularité substantielle ou d’ordre public ,et ce alors même que cette disposition ni aucune autre disposition ne précise si l’ordonnance ainsi rendue par le président de la chambre doit être motivée ou non . Nous reviendront sur cet aspect qui a échappé aux concepteurs de ladite directive et qui a fait réagir l’Union nationales des ordres des avocats.
La méthode de travail telle qu’expliquée par la directive de la Cour suprême qui devait initialement entrer en vigueur à compter du mois de septembre 2024 consiste pour le conseiller rapporteur à déterminer si l'affaire dont l’instruction lui a été confiée figure bien parmi les 63 cas d’irrecevabilités ou de déchéances mentionnées dans la liste jointe à cette directive , puis à l'enregistrer dans la plateforme numérique. Par contre si le conseiller rapporteur juge que le cas d’irrecevabilité détecté nécessite une délibération de la section dont il relève, il doit obtenir l’approbation du président de la section avant son enregistrement sur la plateforme. Après que le ministère public ait présenté ses conclusions , le greffier procède à l’impression de l'ordonnance de rejet du pourvoi qui sera signé par le président de la section. Quant aux autres cas d'irrecevabilités du pourvoi non mentionnés dans la liste, il y sera statué dans les formes ordinaires mais la directive impose la notification de l’arrêt de rejet du pourvoi au président de chambre à l’effet de l’intégrer dans la plateforme numérique.
L’application de cette directive a eu immédiatement pour effet une augmentation exponentielle des décisions d’irrecevabilité des pourvois en cassation qui ont atteint selon le président de l’Union nationales des ordres des avocat le chiffre faramineux de 60 % de rejet pour vice de forme ayant entaché le mémoire de pourvoi . Avant cette directive, la Cour suprême ne rendait pratiquement jamais des ordonnances de rejet des pourvois , mais rendaient des arrêts motivés quant bien même il s’agissait d’un rejet pour vice de forme. En outre la loi algérienne à l’instar des législations étrangères fait une distinction entre les irrégularités de forme et les irrégularités substantielles ou d’ordre public . Seules les dernières entrainent la nullité de l’acte, alors que les irrégularités de forme n’entrainent cet effet que si d’une part cette irrégularité a été opposée par la partie adverse , et que d’autre part cette dernier prouve le grief qui lui est causé. Avec cette directive certains vices de pure forme tels que l’indication de la qualité de la partie au pourvoi ( prévenu, partie civile …) , le défaut de mention du domicile ou de la profession , le défaut de signature de la requête de pourvoi , la non opposition du timbre d’avocat ou encore la mention dans le procès-verbal de notification du mémoire de pourvoi du délai de 60 jours au lieu de 30 jours pour le dépôt du mémoire en réponse ont été considérés comme des vices d’ordre public non susceptibles de régularisation ,et de ce fait entrainent le rejet automatique du pourvoi par ordonnance générée par la plateforme numérique .
Ce durcissement de cas d’irrecevabilités du mémoire de pourvoi et leur extension à des cas de pure forme a donc fait réagir l’Union national des ordres des avocats qui a sollicité un débat sur cette question , ce que la présidence de la Cour suprême accepta volontiers .Une rencontre entre l’Ordre des avocats et les hauts magistrats de la Cour suprême a été tenue le 4 janvier 2025 où il a été convenu de l’installation d’une commission mixte permanente composée de la Cour suprême et de l’Union nationale des ordres des avocats chargée entre autres de réviser et d’enrichir dans les meilleurs délais la directive du 1er septembre 2024 , l’organisation de rencontres de coordination entre les deux organes, l’ouverture d’un recours en rectification des ordonnances et arrêts susceptibles de contenir des erreurs d’appréciation , et enfin l’accord sur la nécessité de proposer des recommandations conjointes pour la révision des dispositions relatives au pourvoi en cassation dans le code de procédure pénale.
Il est évident que l’initiative engagée par la Cour suprême pour désengorger le rôle de la chambre des délits et des contraventions est une initiative louable en elle- même , sachant que le nombre faramineux des pourvois en cassation fait que certains dossiers ne sont jugés que plusieurs années après l’enregistrement du pourvoi. En outre il est de notoriété publique qu’un grand nombre de pourvois en cassation en matière pénale sont des recours de complaisance dont le seul but est de gagner du temps et ne sont basés sur aucun moyen de cassation sérieux ou opérant.
Tous les systèmes judiciaires de par le monde ont instauré des procédures à même de juguler le flot des pourvois en cassation et d’en limiter la recevabilité , et ce par l’instauration un système de filtrage qui diffère d’un pays à l’autre . Ainsi des Cours suprêmes étrangères ont développé des approches différentes allant du système d’admission du pourvoi ( Cour de cassation française ) au système de permission préalable ( Cour suprême américaine) en passant par le tri interne ( Cour suprême allemande).Tous ces systèmes tentent de concilier la nécessité de contenir le flot incessant des pourvois en cassation , avec la préservation de la légitimité de l’institution et de pédagogie dans les décisions de rejet pour vice de forme.
La meilleure voie pour assurer un filtrage des pourvois en cassation sans porter atteinte au principe de l’accès au juge et à un procès équitable , serait l’instauration d’un filtrage transparent où les critères de recevabilités seraient clairement énoncés et les décisions de rejet du pourvoi suffisamment motivés. C’est apparemment le but de la directive de la Cour suprême du 1er septembre 2024 qui dans un esprit de transparence a fixé 63 cas d’irrecevabilités entrainant le rejet automatique du pourvoi en cassation.
Ce qui est reproché à cette directive par la corporation des avocats , ce n’est pas tant la directive elle-même, bien qu’ici encore on peut discuter sur le recours à une directive pour fixer définitivement des cas d’irrecevabilités du mémoire de cassation au lieu de laisser le juge statuer sur la question au regard de la jurisprudence constante de la Cour suprême elle-même sans recourir à un outil automatisé , mais ce qui pose problème est l’incursion dans cette liste de quelques cas d’irrecevabilités pour vice de forme alors que ces vices n’ont jamais été auparavant considérés par la Cour suprême comme vices ou irrégularités entrainant d’office la non recevabilité d’un pourvoi.
La Cour suprême elle-même a de tout temps fait une distinction d’une part entre vice de forme et vice de fond, et d’autre part entre la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme et la nullité d’un acte de procédure pour vice de fond. Cette distinction faite par la Cour suprême a été constante et trouve sa base légale dans les articles 60 à 66 du code de procéder civile et administrative , des dispositions qui il faut le signaler s’appliquent aussi bien aux matières civiles qu’aux matières pénales quant à l’interprétation de certaines procédures que le code de procédure pénale n’a pas suffisamment traités , notamment la question des nullités de forme qui entachent les requêtes et mémoires présentés à l’appui des différentes voies de recours y compris le mémoire de pourvoi en cassation.
La quasi totalité des causes d’irrecevabilités visées dans la directive de la Cour suprême sont effectivement des irrecevabilités soutenues par une jurisprudence constante de cette même Cour , et sont dues à des irrégularités d’ordre public qui ont entaché le mémoire de pourvoi. Elles entrainent le rejet du pourvoi et ne sont pas régularisables . Il s’agit notamment des irrecevabilités suivantes : Décision non susceptible de pourvoi , dépôt du mémoire hors délai, , défaut de qualité ou d’intérêt pour agir , absence de moyens de cassation ou moyens irrecevables, pourvoi manifestement non fondé sur un moyen sérieux.
Par contre pour certaines causes d’irrecevabilités visées par la directive de la Cour suprême , il est incontestable comme l’a rappelé le Président de l’Union nationale des ordres des avocat qu’ils ne peuvent en aucun cas constituer une cause d’irrecevabilité d’ordre public qui peut être soulevée d’office par le juge suprême par simple ordonnance sans espoir de régularisation , et ceci au regard de la jurisprudence constante de la Cour suprême elle-même qui a toujours pris soin d’éviter de rejeter des pourvois au seul motif qu’il est entaché d’un vice de forme .Il s’agit notamment des cas d’erreurs dans les modalités notification , de l’omission de certaines mentions dans le mémoire de pourvoi telles que la qualité du demandeur , le domicile ou la profession des parties , le défaut de signature manuscrite de l’avocat ou encore le défaut de paiement de la taxe d’enregistrement du pourvoi
En matière de recevabilité du pourvoi en cassation dans les affaires pénales , la problématique aussi bien en droit algérien qu’en droit comparé réside dans la distinction entre les irrecevabilités qui sont définitives et celles, d'ordre formel, qui peuvent être corrigées, c'est-à-dire régularisées par la partie requérante. Un système juridique qui écarterait un justiciable pour des erreurs de procédure mineures, telles que la non identification du demandeur dans le mémoire de pourvoi( prévenu, partie civile), le défaut de mention de sa profession le défaut de signature par l’avocat ou encore le non-paiement de la taxe d’enregistrement du pourvoi , serait perçu comme une entrave à un procès équitable . Une justice équitable doit concilier le formalisme procédural avec le droit substantiel d'accès à la justice . Cette philosophie a toujours été prônée par toutes les chambres de la Cour suprême y compris la chambre des délits et des contraventions. Il n’y a aucun problème concernant les irrecevabilités de fond qui sont des manquements aux conditions substantielles qui affectent l'existence même du pourvoi en cassation , et la Cour Suprême a l'obligation de les soulever d'office même si les parties ne les ont pas invoqué. Tel est le cas par exemple du non-respect du délai légal pour former le pourvoi , du pourvoi formé contre une décision non susceptible de cassation , d’absence de moyens de cassation ou le défaut de qualité ou d'intérêt pour agir.
Par contre s’il ne s’agit que de vices de forme , la règle est que leur régularisation est possible du moment que le vice ayant entaché le pourvoi en cassation n’a pas causé de préjudice à la partie adverse et que la régularisation est intervenue dans le délai du pourvoi ou celui fixé par la mise en demeure du magistrat rapporteur . La loi et la jurisprudence algériennes ont prévu des mécanismes spécifiques pour permettre aux parties de remédier à ces manquements et de rendre leur recours recevable. L’instauration de ces mécanismes de régularisation est un arbitrage entre la nécessité d'une procédure rapide et efficace face à un nombre élevé de pourvois , et le principe d'effectivité du droit de recours.
Les irrecevabilités du pourvoi en cassation en matière pénale se divisent donc clairement entre les irrecevabilités substantielles qui sont irrémédiables, et les vices de forme qui peuvent être régularisés par la partie requérante. Cette distinction est fondamentale pour la pratique juridique et ne peut échapper au juge suprême. Dans le tableau ci-dessous sont récapitulées les principales irrecevabilités du pourvoi en cassation en matière pénale en fonction de la nature, du fondement et des possibilités de régularisation telle que fixée par la pratique judiciaire nationale et comparée et reprises pour certaines dans la directive de la Cour suprême après concertation avec le Conseil de l’Union nationale des ordres des avocats.
Type d'irrecevabilité
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Nature
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Fondement
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Régularisable
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Mécanisme de régularisation
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Non-respect du délai légal de pourvoi ( 8 jours)
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Irrecevabilité de fond
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Article 498 du Code de procédure pénale
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Non
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Non applicable
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décision non susceptible de pourvoi
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Irrecevabilité de fond
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Articles 495 et 496 du code de procédure
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Non
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Non applicable
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Défaut de qualité ou d'intérêt pour agir
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Irrecevabilité de fond
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Principe général de procédure ( article 13 du code de procédure civile)
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Non
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Non applicable
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Défaut de signature par l'avocat
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Irrecevabilité de forme
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Article 505 du Code de procédure pénal
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Oui
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Mise en demeure du greffe -confirmation par l'avocat dans le délai fixé.
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Non-paiement de la taxe judiciaire
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Irrecevabilité de forme
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Article 506 du Code de procédure pénale
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Oui
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Mise en demeure du greffe - versement de la taxe par l’avocat dans le délai fixé.
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Absence de mention de la qualité du demandeur (prévenu,partie civile)
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Irrecevabilité de forme
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Article 511-1 du Code de procédure pénale
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oui
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Régularisation d’office si cette qualité ressort du corps du mémoire de pourvoi.
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Absence de mention du domicile du défendeur au pourvoi
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Irrecevabilité de forme
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Article 511-2 du Code de procédure pénale
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oui
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Régularisation d’office si le défendeur a déposé son mémoire en réponse
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Absence de mention du domicile du demandeur au pourvoi
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Irrecevabilité de forme
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Article 511-1 du Code de procédure pénale
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oui
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Régularisation d’office - le cabinet de l’avocat constitué vaut domicile élu
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Absence de mention des textes de loi au soutien du pourvoi
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Irrecevabilité de fond
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Article 511-3 du Code de procédure pénale
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Non
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Mais ne peut être cause de rejet du pourvoi par simple ordonnance du président – décision de la chambre par arret motivé
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Indication du ministère public dans le mémoire de pourvoi du prévenu sans préciser sa qualité de défendeur
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Irrecevabilité de forme
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Article 511 du Code de procédure pénale
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Non
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Non applicable
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Le mémoire de pourvoi du prévenu mentionne le procureur général près la Cour suprême en qualité de défendeur au pourvoi au lieu du procureur général de la cour qui a rendu la décision attaquée.
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Irrecevabilité de forme
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Article 511 du Code de procédure pénale
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oui
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Régularisable d’office si le procureur général près la cour suprême a présenté son mémoire en réponse
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Ce qui est reproché à la directive émise par la Cour suprême, c’est l’inclusion dans ladite directive de cas d’irrecevabilités de forme qui doivent dorénavant être soulevées d’office par voie d’ordonnance non contradictoire et sans possibilité de régularisation , et ce alors même que la jurisprudence de la Cour suprême elle-même a toujours autorisé la régularisation des vices de forme et plus encore n’a jamais considéré certaines irrégularités comme ayant un quelconque effet sur la recevabilité du pourvoi en cassation .
Ainsi le défaut de mention de la qualité du demandeur au pourvoi ( prévenu, partie civile ) entraine d’office suivant cette directive l’irrecevabilité du pourvoi en cassation. La règle et la Cour suprême elle-même l’a rappelé à diverses occasions est que l’absence de la mention de la qualité du demandeur dans le mémoire soumis à une juridiction n’entraine pas la nullité de ce mémoire , et par conséquent n’entraine pas le rejet du recours si cette omission d’une part ne porte pas préjudice aux parties adverses et à leur identification, et d’autre part si le corps du mémoire fait clairement apparaître la qualité du demandeur en tant que prévenu. Dans ce cas de figure s’il s’agit d’un mémoire de pourvoi en cassation , la Cour suprême statue sur le fond du pourvoi sans s’attarder sur le défaut de mention de la qualité du demandeur. Cette règle est universelle et la chambre criminelle de la Cour de cassation française par exemple a jugé que lorsque la lecture du mémoire permet sans ambiguïté de constater que le demandeur agit en qualité de prévenu, l’absence de mention expresse dans l’intitulé ou la présentation de ce mémoire n’entraîne pas l’irrecevabilité car ce qui compte, c’est que la Cour puisse identifier sans doute possible qui forme le pourvoi, en quelle qualité il agit et contre quelle décision , et par conséquent si le contenu du mémoire vise expressément la qualité de prévenu (par exemple en contestant la condamnation prononcée contre lui, en se référant à sa défense au procès, etc.), l’omission dans la partie formelle du mémoire ne devrait pas, à elle seule, rendre le pourvoi irrecevable.
Pour les autres vices de forme, il a été convenu lors de la réunion conjointe Cour suprême - Conseil de l’Union nationale des ordres des avocats de reconsidérer certains cas d’irrecevabilités du pourvoi en cassation susceptibles d’être soulevés d’office par voie d’ordonnance digitalisée et d’en supprimer d’autres. Ainsi deux tableaux ont été établis , le premier contient une liste 16 cas d’irrecevabilités qui ont fait l’objet de discutions et de propositions de suppression ou de modification , et le deuxième contient l’ensemble des cas d’irrecevabilités initialement fixés au nombre de 63 avec indication des cas qui feront l’objet de modification , de suppression ou de suspension provisoire .Ainsi , si les irrecevabilités de fond qui ont toujours été considérées par la jurisprudence de la Cour suprême comme des irrégularités substantielles non régularisables ont fait l’unanimité , par contre la mise en application de la procédure de rejet automatisé du pourvoi en cassation en cas d’irrecevabilité de forme du mémoire de cassation ( défaut de mention de la qualité du demandeur , défaut de mention de la qualité du défendeur , procès-verbal de notification du mémoire de cassation indique le délai de 60 jours au lieu de 30 jours pour le dépôt du mémoire en défense , mention du ministère public sans indication de sa qualité de défendeur ) a été différée suivant le communiqué du Conseil de l’Union nationale des ordres des avocats au 4 mai 2025 . Par conséquent les pourvois en cassation irréguliers introduits avant la date du 4 mai 2025 seront déclarés recevables et doivent être examinés suivant la procédure normale en statuant au fond par un arrêt rendu par la section des délits et des contraventions en sa formation collégiale .Par contre les pourvois en cassation formés après la date du 4 mai 2025 seront automatiquement rejetés par voie d’ordonnance du président de section s’ils sont entachés par l’une de ces irrégularités de forme.
Dorénavant il est vital pour les avocats chargés par leurs clients de former un pourvoi en cassation en matière pénale d’être particulièrement attentifs et de bien s’imprégner de la teneur de la directive émise par la Cour suprême afin d’éviter toute erreur ou omission dans la rédaction de leurs mémoires susceptibles d’entrainer le rejet du pourvoi , sachant qu’en cette matière la responsabilité civile professionnelle de l’avocat peut être engagée si une faute grave de négligence est établie et le préjudice allégué par son client caractérisé et c’est précisément le cas si son pourvoi a été déclaré irrecevable ou déchu notamment pour défaut de mentions obligatoires dans le mémoire de cassation , du pourvoi formé hors délai , du pourvoi formé contre une décision non susceptible de pourvoi ou encore absence de moyens de cassation dans le mémoire de pourvoi.
En résumé il est incontestable que si la Cour suprême est en droit de rechercher et d’appliquer des mécanismes automatisés de filtrage des pourvois en cassation à même de réguler le flux important des affaires, ce filtrage doit rester une étape de tri visant à détecter des motifs d’irrecevabilités ou absence de moyens sérieux et sélectionner les pourvois qui justifient un examen approfondi .Le rejet proprement dit d’un pourvoi doit demeurer une décision judiciaire motivée et basée sur la loi et la jurisprudence ,et non une décision rendue directement et uniquement par un logiciel qui ne doit en aucun cas se substituer au juge. Ceci est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’affaires pénales qui mettent en cause la liberté des citoyens. Il serait pour le moins incommodant qu’un prévenu condamné par exemple à une peine de 10 ou 20 ans d’emprisonnement voit son pourvoi en cassation rejeté par une simple ordonnance non contradictoire et non motivée au seul motif que le mémoire de son pourvoi a simplement omis d’indiquer qu’il est prévenu ou n’a pas mentionné sa profession ou son adresse . Rejeter ce pourvoi sans examen des moyens soulevés à cause de l’oubli d’un seul mot « prévenu » dans le mémoire de cassation alors que cette qualité apparait suffisamment et sans ambigüité du corps de ce mémoire , ou au motif que ce mémoire n’indique pas le domicile du demandeur au pourvoi alors même que ce dernier est légalement considéré comme ayant élu domicile en le cabinet son avocat , ou encore que l’avocat a oublié d’apposer sa signature manuscrite sur le mémoire de cassation et ce sans possibilité de régularisation est contraire au droit à un procès équitable.
Le nouveau code de procedure penale qui vient d’entrer en vigueur ce mois d’août 2025 et qui a abrogé l’ancien code de procédure pénale de 1966 devrait avoir des effets sur la directive émise par la Cour suprême et même la rendre caduc. Cette directive avait pour assise juridique l’article 518 de l’ancien code de procédure pénale qui disposait : « lorsque l’examen de l’affaire révèle une nullité, une irrecevabilité , ou une déchéance flagrante du pourvoi, le président de la chambre, après avis du ministère public, déclare le pourvoi irrecevable ». En vertu de cette disposition , au cas où le mémoire de cassation est entaché d’une irrecevabilité flagrante, le président de la chambre doit déclarer le pourvoi irrecevable, quoique là encore comme nous l’avons vu il peut y avoir régularisation si l’irrégularité est de pure forme et n’est pas flagrante.
L’article 676 du nouveau code de procédure pénale de 2025 qui traite de la même question est plus explicite puisqu’il dispose que le président de la chambre ou son suppléant peut déclarer le pourvoi irrecevable par ordonnance, lorsque l’examen de l’affaire révèle manifestement l’existence d’une irrecevabilité ou d’une déchéance. Cette disposition d’une part autorise le président de chambre de rejeter un pourvoi au cas où il relève une irrecevabilité manifeste , et d’autre part lui reconnait un pouvoir d’appréciation puisque le texte utilise le terme« peut ». Le même article 676 liste les cas d’irrecevabilités du pourvoi en cassation qui englobe entre autres les cas visés dans la directive de la Cour suprême. Désormais le rejet d’un pourvoi en cassation au motif de son irrecevabilité ou même de sa déchéance est laissé à l’appréciation du président de chambre qui peut donc décider de l’examen de l’affaire en la forme ordinaire quant bien même il constate une irrégularité de forme non substantielle susceptible de régularisation. En outre, l’article 1 alinéa 6 du nouveau code de procédure pénale dispose expressément que les jugements, arrêts et ordonnances judiciaires doivent être motivés. L’ordonnance rendue par le président de chambre de la Cour suprême déclarant irrecevable un pourvoi en cassation devant être motivée en application de ce texte , il est évident que la directive de la Cour suprême qui crée un mécanisme automatisé de rejet des pourvois en cassation pour cause d’irrecevabilités n’a plus raison d’être puisque les ordonnances de rejet générées automatiquement sans examen effectif du dossier par le président de chambre et sans motivation sont désormais incompatibles avec le nouveau texte.
Mentionnons que cet article 676 du nouveau code de procédure pénale de 2025 dans sa version originale en langue arabe diffère légèrement de la version traduite en langue françaises . La version en langue française a utilisé le mot « peut » alors que ce terme n’apparaît pas dans la version en langue arabe qui dispose que « Le président de la chambre ou son suppléant rend une ordonnance d’irrecevabilité du pourvoi si l’examen de l’affaire révèle manifestement l’existence d’une irrecevabilité » يصدر رئيس الغرفة أمرا بعدم قبول الطعن . Vraisemblablement c’est le texte en langue arabe qui a été mal traduit du texte français. Il est évident qu’au regard des autres dispositions de nouveau code de procédure pénale qui met le procès équitable et le principe de la légalité au cœur de la réforme de la procédure pénale , on ne peut pas imaginer que le législateur algérien ait eu l’intention de priver le justiciable, notamment les condamnés à une lourde peine d’emprisonnement , d’un recours effectif devant la Cour suprême pour une simple irrégularité de forme dans le mémoire de cassation. Aussi il ne fait aucun doute que l’intention du législateur algérien est de reconnaitre à la Cour suprême un pouvoir d’appréciation en matière de rejet des pourvois même en cas d’existence d’un cas d’irrecevabilité ou de déchéance. Aussi il faut interpréter et lire l’article 676 dans sa version en langue arabe dans ce sens.
Maitre BRAHIMI Mohammed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com