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Les irrecevabilités du pourvoi en cassation en matière pénale à la lumière de la directive de la Cour suprême portant filtrage des pourvois.

mohamed brahimi Par Le 07/10/2025

 

Cour supreme

La Cour suprême a émis durant le mois de septembre 2024 une  directive controversée  relative au fonctionnement  de la chambre des délits et des contraventions de la Cour suprême destinée aux magistrats de cette chambre , selon laquelle les pourvois en cassation seront  désormais  filtrés quant à leur recevabilité ou leur admissibilité par le recours à une plateforme numérique .Cette innovation viserait selon ses initiateurs à désengorger la juridiction suprême  qui doit gérer un grand volume de dossiers. Cette plateforme automatise le tri des requêtes en pourvoi en cassation   en vérifiant notamment le respect des conditions de leur  recevabilité en la forme  (mentions  de la requête  ,délais, , identification précise des parties, notification des mémoires etc...).La directive énumère  une liste de 63  cas d’irrecevabilités  ou de déchéances qui seront au fur et à mesure revus à la hausse  et qui entraineront  d’office le rejet du pourvoi  en cassation.

Traditionnellement et en application des article 513 à 518  du code de procédure pénale, la procédure d’examen du pourvoi en cassation  suit le cheminement suivant : après l’enregistrement de la déclaration du pourvoi en cassation au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et le dépôt du mémoire en cassation par le demandeur au pourvoi  , ce  mémoire  est notifié aux autres parties qui doivent à leur tour déposer un mémoire en réponse  dans un délai de 30 jours . Une fois les délais de dépôt des mémoires  de toutes les parties expirés, le greffier   constitue le dossier et le communique au magistrat du ministère public qui le transmet au parquet général de la Cour suprême, avec un inventaire des pièces. Dans les huit jours à compter de la réception du dossier, le procureur général près la Cour suprême le transmet au Premier président de la Cour suprême, lequel saisit le président de la chambre compétente aux fins de désignation d’un magistrat rapporteur. Dès lors ,  le magistrat rapporteur  procède à l’instruction de l’affaire qu’il clôturera par le dépôt de son rapport et de  son ordonnance  de soit-communiqué au ministère public ,qui doit prendre des conclusions écrites dans un délai de 30 jours. L’affaire sera alors inscrite au rôle et une date d’audience sera fixée , laquelle date sera notifiée aux parties.

 

C’est là la procédure normale que doit suivre l’enregistrement et l’instruction d’un pourvoi en cassation en matière pénale devant la Cour suprême. Dans  un souci d’efficacité  , et pour éviter  les pourvois  en cassation abusifs qui ne sont formés que pour gagner du temps ,  la loi a prévu un mécanisme qui permet de rejeter les pourvois manifestement irrecevables ,et ce  sans  examen du fond  car entachés d’une irrégularité ou d’un vice de forme. Ainsi et en application de l’article 518 du code de procédure pénale modifié par l’ordonnance n° 15-02 du  23 juillet 2015 : «  lorsque l’examen de l’affaire révèle une nullité, une  irrecevabilité,  ou une déchéance flagrante du pourvoi, le président de la chambre, après avis du ministère public, déclare  le pourvoi irrecevable ».Il  y a lieu ici dores et déjà de relever le terme «  flagrant  » utilisé dans le texte. La loi ici , si elle autorise le rejet des pourvois en cassation même pour une irrégularité ou un vice de forme sans examen  du fond , ce qui est soit   une entorse au principe constitutionnel du procès équitable  et au droit à un recours effectif , elle a pris soin d’exiger que  cette irrégularité ou ce vice de forme soit «  flagrant»  c’est à dire entaché d’une gravité exceptionnelle , en l’occurrence  une irrégularité substantielle  ou d’ordre public ,et ce alors même que cette disposition  ni aucune autre disposition ne précise si l’ordonnance ainsi rendue par  le président de la chambre doit être motivée ou non . Nous reviendront sur cet aspect  qui a  échappé aux concepteurs de ladite directive et qui a fait réagir  l’Union nationales des ordres des avocats.

La méthode de travail telle qu’expliquée par la directive de la Cour suprême qui devait  initialement entrer en vigueur à compter du mois de septembre 2024 consiste pour le conseiller rapporteur à déterminer si l'affaire dont l’instruction lui a été confiée figure bien parmi les 63 cas d’irrecevabilités  ou de déchéances mentionnées dans la liste jointe à  cette directive  , puis à l'enregistrer dans la plateforme numérique. Par contre  si le conseiller rapporteur juge que le cas d’irrecevabilité détecté  nécessite une délibération de la section dont il relève,  il  doit  obtenir  l’approbation du président de la section  avant son enregistrement sur la plateforme. Après que le ministère public ait présenté ses conclusions ,  le greffier  procède à l’impression de  l'ordonnance de rejet du pourvoi  qui sera signé  par le président de la   section. Quant aux autres cas d'irrecevabilités du pourvoi non mentionnés dans la liste, il y sera statué  dans les formes ordinaires mais la directive impose la notification de l’arrêt  de rejet du pourvoi au président de chambre à l’effet de l’intégrer dans la plateforme numérique.

L’application de cette directive  a eu immédiatement  pour effet une augmentation  exponentielle  des décisions d’irrecevabilité   des pourvois en cassation qui  ont atteint  selon le président  de l’Union nationales des ordres des avocat le chiffre faramineux de  60 % de  rejet pour vice de forme  ayant entaché le mémoire de pourvoi  . Avant cette directive, la Cour suprême  ne rendait pratiquement  jamais  des ordonnances de rejet des pourvois , mais rendaient des arrêts motivés quant bien même il s’agissait d’un rejet pour vice de forme. En outre la loi algérienne à l’instar des législations étrangères fait une distinction entre  les irrégularités de  forme et les irrégularités substantielles ou d’ordre public  . Seules les  dernières entrainent la nullité de l’acte,  alors que les irrégularités de forme  n’entrainent cet effet que si d’une part cette irrégularité a été opposée par la partie adverse , et  que d’autre part  cette dernier prouve  le  grief qui lui est causé.  Avec cette directive certains vices de pure forme   tels que l’indication de  la qualité de la partie au pourvoi ( prévenu, partie civile …) , le défaut de mention du domicile ou de la profession ,  le défaut de signature de la requête de  pourvoi , la non opposition du timbre d’avocat   ou encore  la mention dans le  procès-verbal de notification du mémoire de pourvoi  du délai de 60 jours au lieu de 30 jours pour le dépôt du mémoire en réponse ont été considérés comme des vices d’ordre public  non susceptibles de régularisation ,et de ce fait entrainent le rejet automatique du pourvoi  par ordonnance générée par la plateforme numérique .

Ce durcissement de cas d’irrecevabilités du mémoire de pourvoi  et leur extension  à des cas de pure forme a donc fait réagir l’Union national des ordres des avocats qui  a sollicité  un débat sur cette question , ce que la présidence de la Cour suprême accepta volontiers  .Une rencontre entre l’Ordre des avocats  et les hauts magistrats  de la Cour suprême a été tenue le 4 janvier 2025  où  il a été convenu  de   l’installation d’une commission mixte permanente composée  de   la Cour suprême  et de  l’Union nationale des ordres des avocats  chargée  entre autres de réviser et  d’enrichir  dans les meilleurs délais la  directive du 1er septembre 2024  ,  l’organisation de rencontres de coordination   entre  les deux organes, l’ouverture d’un recours en rectification des ordonnances et arrêts susceptibles de contenir des erreurs d’appréciation , et enfin  l’accord sur la nécessité  de proposer des recommandations  conjointes  pour la révision  des dispositions relatives  au pourvoi en cassation dans le code de procédure pénale.

 Il est évident que l’initiative engagée par la Cour suprême pour  désengorger le rôle de la chambre des délits et des contraventions est une initiative louable en elle- même , sachant que le nombre faramineux des pourvois en cassation fait que certains dossiers ne sont jugés que plusieurs années après l’enregistrement du pourvoi. En outre il est de notoriété publique qu’un grand nombre de  pourvois en cassation en matière pénale  sont des recours de  complaisance dont le seul but est de gagner du temps et ne sont basés sur aucun moyen de cassation sérieux ou opérant.

Tous les systèmes judiciaires de par le monde ont instauré des procédures à même de juguler le flot des pourvois en cassation et d’en limiter la recevabilité , et ce par l’instauration un système de  filtrage qui diffère d’un pays à l’autre . Ainsi des Cours suprêmes étrangères ont développé des approches différentes  allant du système d’admission du pourvoi ( Cour de cassation française ) au système de permission préalable  ( Cour suprême   américaine) en passant par le tri interne (  Cour suprême   allemande).Tous ces systèmes tentent de concilier la nécessité de contenir le flot incessant des pourvois en cassation , avec la préservation de la légitimité de l’institution et de   pédagogie dans les décisions de rejet pour vice de forme.

La meilleure voie pour assurer un filtrage des pourvois en cassation sans porter atteinte au principe de l’accès au juge et à un procès équitable , serait l’instauration d’un filtrage transparent  où les critères de recevabilités seraient clairement énoncés et les décisions de rejet du pourvoi suffisamment motivés. C’est apparemment le but de la  directive  de la Cour suprême du 1er  septembre 2024  qui dans un  esprit  de transparence a fixé  63 cas  d’irrecevabilités entrainant  le rejet  automatique du pourvoi en cassation.

Ce qui est reproché  à cette directive par la corporation  des avocats , ce n’est pas tant la directive  elle-même, bien qu’ici encore on peut discuter sur le recours à une  directive  pour fixer définitivement des  cas d’irrecevabilités du mémoire de cassation au lieu de laisser le juge statuer sur la question au regard de la jurisprudence constante de la Cour suprême elle-même sans recourir à un outil automatisé ,  mais ce qui pose problème est l’incursion dans cette  liste de quelques cas d’irrecevabilités pour vice  de forme  alors que ces vices n’ont jamais été auparavant considérés  par la Cour suprême comme vices ou irrégularités  entrainant d’office la non recevabilité d’un pourvoi.

La Cour suprême elle-même a de tout temps fait une distinction  d’une part entre  vice de forme et  vice de fond, et  d’autre part entre la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme et  la  nullité d’un acte de procédure pour vice de fond. Cette distinction faite par la Cour suprême a été constante  et trouve sa base légale dans  les articles 60 à 66 du code de procéder civile et administrative , des dispositions   qui il faut le signaler s’appliquent  aussi bien aux matières civiles qu’aux matières  pénales  quant à l’interprétation de certaines  procédures que le code  de procédure pénale n’a pas  suffisamment traités , notamment la question des nullités de forme  qui entachent les requêtes et mémoires présentés à l’appui des différentes voies de recours y compris le mémoire de pourvoi en cassation.

La quasi totalité des causes d’irrecevabilités visées dans la directive de la Cour suprême sont effectivement des irrecevabilités soutenues par  une jurisprudence constante   de cette même Cour , et sont dues à des irrégularités  d’ordre public qui ont entaché le mémoire de pourvoi. Elles entrainent  le rejet du pourvoi et ne sont pas régularisables . Il s’agit notamment  des irrecevabilités suivantes : Décision non susceptible de pourvoi , dépôt du mémoire hors délai,  ,  défaut de qualité ou d’intérêt pour agir , absence de moyens de cassation ou moyens irrecevables, pourvoi manifestement non fondé sur un moyen sérieux.  

Par contre  pour certaines causes d’irrecevabilités visées par la directive de la Cour suprême , il est incontestable comme l’a rappelé le Président  de   l’Union nationale  des ordres des avocat qu’ils ne peuvent  en aucun cas constituer  une cause d’irrecevabilité d’ordre public qui peut être soulevée  d’office par le juge suprême par simple ordonnance  sans espoir de régularisation  , et ceci au regard de la jurisprudence constante de la Cour suprême elle-même qui a toujours pris soin d’éviter de rejeter des pourvois  au seul motif  qu’il est entaché d’un vice de forme .Il s’agit notamment des cas  d’erreurs dans les modalités  notification ,  de l’omission de certaines mentions   dans le mémoire de pourvoi  telles que  la qualité du demandeur , le domicile  ou la profession  des parties , le  défaut de  signature manuscrite  de l’avocat  ou encore le défaut de paiement de la taxe d’enregistrement du pourvoi 

En matière de recevabilité du pourvoi en cassation dans les affaires pénales  , la problématique aussi bien  en droit algérien  qu’en droit comparé réside dans la distinction entre les irrecevabilités qui sont définitives et celles, d'ordre formel, qui peuvent être corrigées, c'est-à-dire   régularisées  par la partie requérante. Un système juridique qui écarterait un justiciable pour des erreurs de procédure mineures, telles que la non identification du demandeur dans le mémoire de  pourvoi( prévenu, partie civile), le défaut de mention de sa profession   le défaut de signature par l’avocat  ou encore  le non-paiement de la taxe d’enregistrement du pourvoi , serait perçu comme une entrave  à un procès équitable . Une justice équitable doit concilier le formalisme procédural avec le droit substantiel d'accès à la justice . Cette philosophie a toujours été  prônée par toutes les chambres de la Cour suprême y compris la chambre des délits et des contraventions. Il n’y a aucun problème concernant  les irrecevabilités de fond qui sont des manquements aux conditions substantielles qui affectent l'existence même du pourvoi en cassation ,  et la  Cour Suprême a l'obligation de les soulever d'office même si les parties ne les ont pas  invoqué. Tel est le cas par exemple du    non-respect du délai légal pour former le pourvoi , du pourvoi formé contre une décision non susceptible de cassation , d’absence de moyens de cassation ou  le défaut de qualité ou d'intérêt pour agir.

Par contre s’il ne s’agit que de vices de forme , la règle  est que  leur régularisation est possible du moment que le vice   ayant entaché le pourvoi en cassation n’a pas causé de préjudice à la partie adverse  et que la régularisation est intervenue dans le délai   du pourvoi ou celui fixé par la mise en demeure du magistrat rapporteur .  La loi  et  la jurisprudence algériennes ont prévu  des mécanismes spécifiques pour permettre aux parties de remédier à ces manquements et de rendre leur recours recevable. L’instauration de ces  mécanismes de régularisation est un arbitrage  entre la nécessité d'une procédure rapide et efficace  face à un nombre élevé de pourvois  , et le principe d'effectivité du droit de recours.

Les irrecevabilités du pourvoi en cassation en matière pénale se divisent donc  clairement entre les   irrecevabilités substantielles  qui sont irrémédiables, et les vices de forme  qui peuvent être régularisés par la partie requérante.  Cette  distinction est fondamentale pour la pratique juridique et ne peut échapper  au juge suprême. Dans  le tableau ci-dessous sont  récapitulées  les  principales irrecevabilités du pourvoi en cassation en matière pénale  en fonction  de la nature,  du  fondement et des  possibilités de régularisation telle que fixée  par la pratique judiciaire nationale et comparée et reprises pour certaines dans la directive de la Cour suprême après concertation avec le  Conseil de  l’Union nationale des ordres des avocats.

 

Type d'irrecevabilité

Nature

Fondement

Régularisable

Mécanisme de régularisation

Non-respect du délai légal de pourvoi ( 8 jours)

Irrecevabilité de fond

Article 498   du Code de procédure pénale  

Non

Non applicable

décision non susceptible de pourvoi

Irrecevabilité de fond

Articles 495 et 496 du code de procédure    

Non

 Non applicable

Défaut  de qualité ou d'intérêt pour agir

Irrecevabilité de fond

Principe général de procédure ( article 13 du code de procédure civile)  

Non

Non applicable

Défaut de signature par l'avocat

Irrecevabilité de forme

Article 505 du Code de procédure pénal     

Oui

Mise en demeure du greffe  -confirmation par l'avocat dans le délai fixé.

Non-paiement de la taxe judiciaire

Irrecevabilité de forme

Article 506 du Code de procédure pénale  

Oui

  Mise en demeure du greffe   - versement de la taxe par l’avocat dans le délai fixé.

Absence de mention de la qualité du demandeur (prévenu,partie civile)

 Irrecevabilité de forme

Article  511-1 du Code de procédure pénale  

oui  

Régularisation d’office si cette qualité ressort du corps du mémoire de pourvoi.

Absence de mention du domicile  du défendeur au pourvoi

 Irrecevabilité de forme

Article  511-2 du Code de procédure pénale 

oui 

Régularisation d’office si le défendeur a déposé son mémoire en réponse

Absence de mention du domicile  du demandeur au pourvoi

 Irrecevabilité de forme

Article  511-1 du Code de procédure pénale 

oui 

Régularisation d’office  - le cabinet de  l’avocat constitué vaut domicile élu

Absence de mention des textes de loi au soutien du pourvoi 

 Irrecevabilité de fond

Article 511-3 du Code de procédure pénale 

Non 

Mais ne peut être cause de rejet du pourvoi  par simple ordonnance  du président – décision  de la chambre par arret motivé

Indication  du ministère public dans le mémoire de pourvoi du prévenu   sans préciser  sa qualité de défendeur    

 Irrecevabilité de forme

Article  511 du Code de procédure pénale 

Non

Non applicable

 Le mémoire de pourvoi du prévenu mentionne le procureur général près la Cour suprême  en qualité de défendeur au pourvoi au lieu du procureur général  de la cour qui a rendu la décision attaquée.

 Irrecevabilité de forme

Article  511 du Code de procédure pénale 

oui 

Régularisable d’office si le   procureur général près la cour suprême a présenté son mémoire en réponse

Ce qui est reproché à la directive  émise par la Cour suprême, c’est l’inclusion  dans ladite directive de cas d’irrecevabilités  de forme  qui doivent dorénavant être soulevées d’office  par voie d’ordonnance  non contradictoire et sans possibilité de régularisation , et ce alors même que la jurisprudence de la Cour suprême elle-même a toujours autorisé la régularisation des vices de forme et plus encore  n’a jamais  considéré certaines irrégularités comme ayant un  quelconque effet sur la recevabilité du pourvoi en cassation .

Ainsi le défaut de mention de la qualité du  demandeur au pourvoi  (   prévenu, partie civile ) entraine  d’office suivant cette directive   l’irrecevabilité du pourvoi en cassation. La règle et la Cour suprême elle-même l’a rappelé à diverses occasions est que l’absence de la mention de la qualité du demandeur dans le mémoire soumis  à  une juridiction n’entraine pas la nullité de ce mémoire , et par conséquent   n’entraine pas le rejet du recours  si cette omission d’une part ne porte pas préjudice aux parties adverses et à leur identification,  et d’autre part si   le corps du mémoire fait clairement apparaître la qualité du demandeur en tant que prévenu. Dans ce cas de figure s’il s’agit d’un mémoire de pourvoi en cassation , la Cour suprême statue sur le  fond du pourvoi sans s’attarder sur le défaut de mention de la qualité du demandeur. Cette règle est universelle et la chambre criminelle de la Cour de cassation française par exemple a   jugé que lorsque la lecture du mémoire permet sans ambiguïté de constater que le demandeur agit en qualité de prévenu, l’absence de mention expresse dans l’intitulé ou la présentation de ce mémoire n’entraîne pas l’irrecevabilité car ce qui compte, c’est que la Cour puisse identifier sans doute possible qui forme le pourvoi, en quelle qualité il agit et contre quelle décision , et par conséquent si le contenu du mémoire vise expressément la qualité de prévenu (par exemple en contestant la condamnation prononcée contre lui, en se référant à sa défense au procès, etc.), l’omission dans la partie formelle du mémoire ne devrait pas, à elle seule, rendre le pourvoi irrecevable.

Pour les autres vices de forme, il a été convenu lors de la réunion  conjointe Cour suprême - Conseil de l’Union nationale des ordres des avocats de reconsidérer  certains cas d’irrecevabilités du pourvoi  en cassation susceptibles d’être soulevés d’office par voie d’ordonnance digitalisée  et d’en supprimer d’autres. Ainsi  deux tableaux ont été établis , le premier contient une liste  16  cas  d’irrecevabilités  qui ont fait  l’objet de discutions  et de propositions de suppression ou de modification , et le deuxième contient l’ensemble des cas d’irrecevabilités initialement fixés  au nombre de 63 avec indication  des cas qui feront l’objet de modification  , de suppression  ou de suspension provisoire  .Ainsi , si les irrecevabilités  de fond  qui ont toujours  été considérées par la jurisprudence  de la Cour suprême comme des irrégularités substantielles  non régularisables ont fait  l’unanimité , par contre  la mise en application  de la procédure de rejet automatisé du pourvoi en cassation en cas d’irrecevabilité  de forme  du mémoire de cassation ( défaut de mention de la qualité du demandeur , défaut de mention de la qualité du défendeur ,  procès-verbal de notification du mémoire de cassation  indique  le délai de 60 jours au lieu  de 30 jours pour le dépôt du mémoire en défense  ,  mention du ministère public sans indication de sa qualité de défendeur  ) a été différée suivant le communiqué du Conseil de l’Union nationale des ordres des avocats au 4 mai 2025 . Par conséquent  les pourvois en  cassation irréguliers introduits  avant la date du 4 mai 2025  seront déclarés recevables  et doivent être examinés suivant la procédure normale en  statuant au fond par un arrêt rendu par la section des délits et des contraventions en sa formation collégiale .Par contre les pourvois en cassation formés après la date du 4 mai 2025 seront automatiquement rejetés par voie d’ordonnance du président de section s’ils sont entachés par l’une de ces irrégularités de forme.

Dorénavant il est vital pour les avocats chargés par leurs clients de former un pourvoi en cassation en matière pénale  d’être particulièrement attentifs  et  de bien s’imprégner de la teneur de la directive émise par la Cour suprême afin d’éviter toute erreur ou omission dans la rédaction de leurs  mémoires susceptibles d’entrainer le rejet  du  pourvoi , sachant qu’en cette matière la responsabilité  civile professionnelle  de l’avocat peut être  engagée si   une faute  grave de négligence  est établie et le préjudice allégué par son client caractérisé et c’est précisément le cas si son   pourvoi  a été déclaré irrecevable ou déchu  notamment pour défaut de mentions obligatoires dans le mémoire de cassation ,   du pourvoi formé hors délai ,  du pourvoi formé contre une décision non susceptible de pourvoi  ou encore absence de moyens de cassation dans le mémoire de pourvoi.

En résumé il est incontestable que si la Cour suprême est en droit de rechercher et d’appliquer des mécanismes automatisés de filtrage des pourvois en cassation à même de réguler le flux important  des  affaires, ce filtrage  doit rester une étape de tri visant à  détecter des motifs d’irrecevabilités ou absence de moyens sérieux  et sélectionner les pourvois qui justifient un examen approfondi .Le rejet proprement dit d’un pourvoi  doit demeurer une décision judiciaire motivée  et basée sur la loi et la jurisprudence ,et non une décision rendue directement et uniquement par un logiciel qui ne doit en aucun cas se substituer au juge. Ceci est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’affaires pénales qui mettent en cause  la liberté des citoyens. Il serait pour le moins incommodant qu’un prévenu condamné par exemple à une peine de 10 ou  20 ans d’emprisonnement  voit son pourvoi en cassation rejeté  par une simple ordonnance non contradictoire et non motivée au seul motif que le mémoire de son pourvoi a simplement omis d’indiquer qu’il est prévenu ou n’a pas mentionné sa profession ou  son adresse .  Rejeter ce pourvoi sans examen des moyens soulevés à cause  de l’oubli d’un seul  mot «  prévenu » dans le mémoire de cassation alors que cette qualité apparait  suffisamment et sans ambigüité du corps de ce mémoire ,  ou au motif que  ce  mémoire n’indique pas le domicile du demandeur au pourvoi  alors même que  ce dernier  est  légalement considéré comme ayant élu domicile en le cabinet  son avocat ,  ou encore que  l’avocat a oublié  d’apposer sa signature manuscrite sur le mémoire de cassation et ce sans possibilité de régularisation est contraire au droit à un procès équitable.

Le nouveau  code de procedure penale qui vient  d’entrer en vigueur ce mois d’août  2025   et qui  a abrogé l’ancien   code de procédure pénale de 1966 devrait avoir des effets sur la directive émise  par la Cour suprême et même la rendre caduc. Cette directive avait pour assise juridique l’article  518 de l’ancien code de procédure pénale qui disposait  : «  lorsque l’examen de l’affaire   révèle une nullité, une  irrecevabilité ,  ou une déchéance flagrante du pourvoi, le président de la chambre, après avis du ministère public, déclare  le pourvoi irrecevable ». En vertu de cette disposition ,  au cas où le mémoire de cassation est entaché d’une irrecevabilité flagrante, le   président de la chambre doit déclarer  le pourvoi irrecevable,  quoique là  encore  comme nous l’avons vu il peut  y avoir régularisation si l’irrégularité est de pure forme et n’est pas flagrante.

 L’article 676 du nouveau code de procédure pénale de 2025  qui traite de la même question est plus  explicite  puisqu’il dispose que  le président de la chambre ou son suppléant peut déclarer le pourvoi irrecevable par ordonnance, lorsque l’examen de l’affaire révèle manifestement l’existence d’une irrecevabilité  ou d’une déchéance. Cette disposition d’une part   autorise le président de  chambre de rejeter  un pourvoi  au cas où il relève une irrecevabilité manifeste , et d’autre part lui reconnait un pouvoir d’appréciation puisque le texte utilise le terme«  peut ». Le même article  676 liste les cas d’irrecevabilités du pourvoi  en cassation qui englobe entre autres les cas visés dans la directive de la Cour suprême. Désormais le  rejet  d’un  pourvoi  en cassation au motif de son irrecevabilité ou même de sa déchéance  est laissé à l’appréciation du président de chambre qui peut  donc décider de l’examen de l’affaire en la forme ordinaire quant bien même il constate une irrégularité de forme non substantielle susceptible de régularisation. En outre, l’article 1  alinéa 6 du nouveau code de procédure pénale  dispose expressément que les jugements, arrêts et ordonnances judiciaires doivent être motivés. L’ordonnance   rendue par le  président de chambre de la Cour suprême déclarant irrecevable un pourvoi en cassation devant être  motivée  en application de ce texte , il est évident que la directive de la Cour suprême qui crée un mécanisme automatisé de rejet des pourvois  en cassation pour cause d’irrecevabilités  n’a plus raison d’être puisque les ordonnances de rejet  générées automatiquement sans examen effectif du dossier par le président de chambre et  sans motivation sont désormais incompatibles avec le nouveau texte.  

Mentionnons que  cet article 676 du nouveau code de procédure pénale de 2025  dans sa version originale en langue arabe diffère légèrement de la version traduite en langue françaises . La version en langue française a utilisé le mot «  peut »  alors que ce  terme n’apparaît pas dans la version en langue arabe qui dispose que  « Le président de la chambre ou son suppléant rend une ordonnance d’irrecevabilité du pourvoi si l’examen de l’affaire révèle manifestement  l’existence d’une irrecevabilité » يصدر رئيس الغرفة   أمرا بعدم قبول الطعن  . Vraisemblablement  c’est le texte en langue arabe qui a été mal traduit du texte français. Il est évident qu’au regard des autres dispositions de nouveau code de procédure pénale qui met le procès équitable  et le principe de la légalité au cœur de la réforme   de la procédure pénale , on ne peut pas imaginer  que le législateur algérien ait eu l’intention de priver le justiciable,  notamment les condamnés à une lourde peine d’emprisonnement , d’un recours effectif devant la Cour suprême pour une simple irrégularité de forme dans le mémoire de cassation. Aussi il ne fait aucun doute que l’intention du législateur algérien est de reconnaitre à   la Cour suprême un pouvoir d’appréciation en matière de rejet des pourvois   même en cas d’existence d’un cas d’irrecevabilité ou de déchéance. Aussi il faut interpréter et lire  l’article 676  dans sa version en langue arabe dans ce sens.

Maitre BRAHIMI Mohammed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com