Intitulée « Loi organique n° 25-13 du 3 août 2025 modifiant et complétant la loi organique n° 98-03 du 3 juin 1998 relative aux compétences, à l’organisation et au fonctionnement du tribunal des conflits» , cette loi organique est entrée en vigueur après sa publication au journal officiel n° 53 du 10 août 2025. Elle modifie substantiellement l’organisation et les attributions du Tribunal des conflits ainsi que les modalités de sa saisine.
Le Tribunal des conflits est saisi comme précédemment par requête du requérant , mais en application du nouvel article 19 de loi organique du 3 août 2025, il peut être saisi par voie électronique. Cette saisine par voie électronique modifiera positivement les délais de traitement des conflits puisqu’elle simplifie et accélère le dépôt des requêtes ce qui permettra d’éviter les délais liés aux démarches physiques et à l’enregistrement manuel au greffe. Cette dématérialisation facilitera en outre la gestion et le suivi des dossiers, ce qui contribuera à une meilleure organisation interne et à la réduction des temps d’attente pour l’enrôlement et la convocation aux audiences.Le nouvel article 19 dispose dans un deuxième alinéa que le requérant qui saisit le Tribunal des conflits doit impérativement préciser le conflit de compétence qu'il entend soumettre à la juridiction pour délimiter la question de compétence et permettre son règlement. Si cette exigence améliorera la délimitation et la précision des questions traitées et évite les saisines abusives , elle aura pour conséquence le rejet de tout recours introduit sans précision du conflit de compétence qui est soumis au Tribunal des conflits.
La saisine du Tribunal des conflits par les parties intervient en cas de conflit de compétence lorsque deux juridictions ,l’une de l’ordre judiciaire ,l’autre de l’ordre administratif ,se sont déclarées soit compétentes soit incompétentes pour juger un même litige , sachant que la notion de « même litige » s’ entend du litige entre les mêmes parties agissant en la même qualité dans les deux instances et que la demande est fondée sur la même cause et la question posée au juge est identique .Cette règle prévue par l’article 16 de la loi organique de 1998 n’a pas été modifiée par la nouvelle loi organique de 2025 . Par contre , les modalités de saisine du Tribunal des conflits par une juridiction de l’ordre judiciaire ou administratif saisie d’un litige ont été modifiées par la nouvelle loi organique dans un but de clarification et de précision.
Comme c’était le cas auparavant , et conformément à l’article 18 alinéas 1 et 2 de la loi organique de 1998 , si dans une instance, le juge saisi constate qu'une juridiction s'est déjà déclarée compétente ou incompétente ,et que sa propre décision entraînerait une contrariété de décisions de justice de deux ordres différents, il doit renvoyer, par décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. Il est alors sursis à toute procédure jusqu'à la décision du Tribunal des conflits. Dans le cas de renvoi, une expédition de la décision prononçant le renvoi est adressée par le greffier de la juridiction saisie au Tribunal des conflits accompagnée de l'ensemble des pièces de la procédure, dans un délai d'un mois à compter du prononcé de ladite décision. La nouvelle loi organique de 2025 a complété cet article 18 par deux alinéas (alinéas 3 et 4) en vertu desquels a été précisée et clarifiée la procédure de règlement du conflit de compétence par le Tribunal des conflits. Ainsi, si le Tribunal des conflits estime que la juridiction qui a prononcé le renvoi n'est pas compétente pour connaître de l'action ou de l'exception ayant donné lieu à ce renvoi, il déclare nuls et non avenus, sauf la décision de renvoi elle-même, l'ensemble des jugements et actes de procédure auxquels cette action ou exception a donné lieu devant la juridiction qui a prononcé le renvoi, ainsi que toute autre juridiction du même ordre. Par contre si le Tribunal des conflits estime que la juridiction de l'autre ordre de juridiction a rendu à tort, sur le même litige ou la même exception, entre les mêmes parties, un jugement d'incompétence, il déclare nul et non avenu le jugement qui a décliné à tort sa compétence et renvoie l'examen du litige ou de l'exception à cette juridiction.
Les décisions du Tribunal des conflits s’imposent tant aux magistrats de l’ordre administratif qu’aux magistrats de l’ordre judiciaire , et ne sont susceptibles d’aucun recours et sont donc des décisions définitives et irrévocables ( article 32-1) . Comme toute décision de justice , la décision du Tribunal des conflits peut être entachée d’une erreur matérielle c’est-à-dire essentiellement les erreurs de plume, de transcription ou d’omission ayant un caractère purement matériel .Il peut aussi arriver que le sens ou la portée d’une décision du Tribunal des conflits suscite une difficulté de compréhension ou d’interprétation. La loi organique modificative du 3 août 2025 a expressément prévu des voies de recours spécifiques pour remédier à ces situations. En application des nouveaux alinéas 2 et 3 de l’article 32 , les décisions du Tribunal des conflits peuvent faire l'objet d'un recours en interprétation ou en rectification d'erreur matérielle. Et s’il s’agit d’erreurs purement matérielles affectant la décisions ,par exemple une faute de frappe dans un nom propre d’une partie , d’une date erronée dans l’année ou le mois ou encore d’une erreur dans la désignation d’un lieu , il n’ya pas lieu à saisine du tribunal des conflits en sa formation ordinaire pour statuer sur la demande de rectification, mais compétence est dévolue au Président du Tribunal des conflit qui rendra une ordonnance de rectification ce qui fera gagner du temps et des frais au justiciable.
L’autre volet de la reforme introduite par la loi organique de 2025 concerne l’organisation du Tribunal des conflits et le rôle du commissaire d’Etat. Alors que la loi organique de 1998 ne contient aucune disposition précisant les attributions du commissaire d’Etat à l’exception de la mention que « le conseiller-rapporteur établit un rapport écrit qu’il dépose au greffe pour être transmis au commissaire d’Etat » ( article 22) , la loi organique de 2025 a introduit un nouvel article ( article 22 bis ) qui élargit les attributions du commissaire d’Etat qui devient un acteur clé dans le processus de la prise de décision .Ainsi le commissaire d'Etat doit présenter un rapport écrit, dans un délai d'un mois de la communication du rapport du conseiller rapporteur. Ce rapport doit comporter un exposé des faits et de la procédure et faire état de la question à juger par le Tribunal des conflits et refléter l'opinion du commissaire d'Etat, sur toute question exposée et solutions proposées quant à son règlement. Ce rapport du commissaire d’Etat , qui est présenté et lu à l'audience publique , est conclu par des demandes précises. En outre, le commissaire d'Etat expose ses observations orales lors de l'audience. Les conclusions du commissaire d’Etat , qui ne participe pas au délibéré et au vote, n’ont qu’une portée consultative et ne lient pas les juges qui restent souverains dans leur délibération et décision finale.
Il apparait clairement que le législateur à travers la reforme du rôle du commissaire d’Etat a voulu assigner à ce haut magistrat un rôle technique , scientifique et doctrinal au sens où ce magistrat qui se cantonnait dans un rôle d’observateur neutre ,est tenu dorénavant de formuler des conclusions qui exposent les faits et les règles de droit applicables et de proposer une solution juridique au juge ce qui aura un poids considérable dans l’évolution de la jurisprudence du Tribunal des conflits. Incidemment ce nouveau rôle dévolu au commissaire d’Etat fait de ce haut magistrat le garant de son indépendance puisque désormais il formule ses conclusions en toute indépendance de manière impartiale en reflétant une appréciation personnelle de la solution la plus conforme au droit et à la jurisprudence. C’est pour ces raisons que , comme nous le verrons , la Cour constitutionnelle et à l’occasion de sa saisine pour statuer sur la conformité de cette loi organique à la Constitution a émis des réserves quant à l’appellation « commissaire d’Etat » qui par ailleurs est utilisé pour le Conseil d’Etat. Cette appellation « commissaire d’Etat » est source d’ambigüité quant à l’indépendance de cette fonction et son rattachement à l’Etat c’est à dire au gouvernement, ce qui serait incompatible avec le droit à un procès équitable garanti par la Constitution. Etant un magistrat indépendant qui n’est pas rattaché au gouvernement mais rattaché à une juridiction, il aurait été plus judicieux comme l’a souligné le Conseil constitutionnel de changer l’appellation « commissaire d'Etat » par une appellation plus à même de mieux refléter l’indépendance et le rôle de cette fonction au sein du Tribunal des conflits comme par exemple « rapporteur public » ou " magistrat rapporteur " utilisée dans certains pays.
La composition du Tribunal des conflits a été élargi à 9 membres au lieu de 7 précédemment , mais il peut valablement délibérer en présence de 5 membres ( article 12) .La loi organique de 2025 impose la présence au délibéré de 5 membres « au moins » ce qui sous-entend que la formation de jugement peut statuer par une formation composée de plus de 5 membres , donc une formation qui peut être composée d’un nombre pair ( par exemple 6 ou 8 membres ) ce qui peut entrainer un risque d’égalité des voix lors des délibérations. Dans ce cas où il y a égalité des voix , la voix du président est prépondérante (article 28).
Les modalités de désignation des magistrats du tribunal des conflits , de son Président et du commissaire d’Etat ont été légèrement modifiées par la loi organique modificative de 2025. Le Président du Tribunal des conflits est nommé par le Président de la République, pour une durée de cinq années, par alternance parmi les magistrats de la Cour suprême et ceux du Conseil d'Etat, sur proposition du président du bureau permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature, après avis conforme de ce dernier et consultation du Président du Conseil d’Etat pour les magistrats du Conseil d’Etat ( article 7). Quant aux magistrats du Tribunal des conflits , ils sont nommés, pour une durée de cinq années, par le Président de la République, de moitié parmi les magistrats de la Cour suprême et de moitié parmi les magistrats du Conseil d'Etat, sur proposition du président du bureau permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature, après avis conforme de ce dernier et consultation du Président du Conseil d’Etat pour les magistrats du Conseil d’Etat ( article 8). Quant au commissaire d’Etat, il est nommé par le Président de la République, pour une durée de cinq années, par alternance entre les magistrats de la Cour suprême et les magistrats du Conseil d'Etat, sur proposition du président du bureau permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature, après avis conforme de ce dernier et consultation du Président du Conseil d’Etat pour les magistrats du Conseil d’Etat ( article 9).
Ces modalités de nomination des magistrats du Tribunal des conflits peut susciter des questionnement quant à la pertinence d’attribuer dans ce domaine un rôle décisionnel au bureau permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature . Si les magistrats du Tribunal des conflits sont nommés par le Président de la République par décret , les dispositions des articles 7 , 8 et 9 de la loi organique de 2025 disposent que cette nomination doit être précédée de « l’avis conforme du président du bureau permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature » et ce alors même que le Président du Conseil d’Etat est seulement « consulté » pour ce qui est de la nomination de la moitié des magistrats relevant de sa juridiction , ce qui sous-entend que le Président de la République ne peut nommer les magistrats du Tribunal des conflits y compris son Président sans l’approbation du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il est à signaler aussi que les mêmes textes ne prévoient aucune consultation du Président de la Cour suprême pour les magistrats relevant de l’ordre judiciaire ordinaire. Reconnaitre au Conseil Supérieur de la Magistrature un pouvoir de nomination des magistrats du Tribunal des conflits est d’autant plus problématique que les articles 180 et 181 de la Constitution ne confèrent à cet organe chargé de garantir l’indépendance des magistrats que des prérogatives décisionnelles et consultatives en matière de gestion de la carrière des magistrats. Cette situation anachronique n’a pas échappé à la Cour constitutionnelle quand elle a statué sur la conformité de cette loi organique à la Constitution .
En effet et comme l’y oblige l’article 190 de la Constitution , le Président de la République a saisi la Cour constitutionnelle pour se prononcer sur la conformité de la loi organique modificative de 2025 à la Constitution. La Cour constitutionnelle a rendu sa décision le 14 juillet 2025 et a été publié sur le même numéro journal officiel ( Journal officiel n° 53 du 10 août 2025 - Décision n° 01/D.C.C./C.C./25).
La Cour constitutionnelle a rendu une décision qui , sans prononcer l’anticonstitutionnalité des disposition de la loi organique de 2025 , elle a par contre émis des réserves à l’égard de ses articles 7,8 et 9 .Ainsi elle fait d’abord remarquer que le principe d’unité des lois organiques relatives à la magistrature exige que l’organisation d’un organe de nature constitutionnelle tel que le Conseil Supérieur de la Magistrature soit prévue dans une seule et même loi organique, de manière cohérente et intégrée, sans que ses dispositions ne soient fragmentées ou réparties entre différentes lois organiques à l’instar de loi organique objet de la saisine ce qui sous-entend que le législateur aurait dû insérer ces dispositions dans la loi organique portant statut de la magistrature et non pas dans la loi organique relative au Tribunal des conflits. Ensuite elle relève que les modalités de nomination des magistrats telles que prévues dans cette loi organique et quant bien même elles sont conformes à la Constitution tant que la décision finale demeure entre les mains du Président de la République , il n’en demeure pas moins que l’exigence de « l’avis conforme » du président du bureau permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature avant toute nomination est de nature à constituer un obstacle à la clarté de la procédure, d'autant plus que l'ordre des interventions n'est pas suffisamment détaillé dans le texte et nuit à la compréhension immédiate de la procédure.
Concernant la fonction du commissaire d’Etat prévue par l’article 9 de la loi organique de 2025 ,la Cour constitutionnelle releva que cette loi organique a omis de définir ses attribution au sein du Tribunal des conflits , ce qui ouvre la voie à de multiples interprétations portant ainsi atteinte au principe de sécurité juridique expressément consacré au 15ème paragraphe du préambule de la Constitution, et réaffirmé à l’article 34 (alinéa 4) qui impose la clarté et l’intelligibilité des règles juridiques.En outre elle fait remarquer que l’appellation « commissaire d’Etat » aussi bien pour le Tribunal des conflits que pour le Conseil d’Etat, et ce alors même que ce sont deux juridictions indépendantes tant sur le plan fonctionnel qu’organisationnel sans lien organique entre elles , constitue une source d’ambiguïté et une dualité injustifiée dans la description fonctionnelle .
Malgré ces remarques pertinentes, la Cour constitutionnelle a rendu une décision déclarant la conformité à la Constitution de toutes les dispositions de la loi organique modificative n° 25-13 du 3 août 2025 y compris celles critiquées , mais sous condition de la prise en compte des réserves émises à l’égard des articles 7, 8 et 9.Elle a en outre décidé que L’expression « collectivités publiques» contenue dans l’article 20 (alinéa in fine) est remplacée par l’expression « collectivités territoriales de l’Etat ».S’agissant seulement de réserves et non pas de non-conformité , la loi organique de 2025 restera donc en vigueur dans toutes ses dispositions et ne sera pas modifiée ,mais dorénavant , et sachant que les réserves émises par la Cour constitutionnelle font partie intégrante de la décision de cette Cour et s’imposent à toutes les autorités (Gouvernement, Parlement, juridictions , administrations) , les articles 7,8 et 9 doivent être appliqués selon l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle dans sa décision.
Pour terminer cet article par une touche de légèreté, signalons que la traduction en langue française de la loi organique du 3 août 2025 telle que publiée dans la version en langue française du journal officiel , comporte une faute d’orthographe qui pourrait vexer le Président du Tribunal des conflits. En effet et alors qu’aussi bien les plus hautes juridictions tant de l’ordre judiciaire qu’administratif ainsi que leurs présidents respectifs sont transcrits dans leur orthographe exacte c’est à dire avec une majuscule (Cour suprême , Conseil d’Etat , Président de la Cour Suprême , Président Conseil d’Etat ) , le Tribunal des conflits et son président sont orthographiés en lettres minuscule ( tribunal des conflits , président du tribunal des conflits ). Ces hautes juridictions étant des juridictions uniques dont la compétence s’étend à tout le pays ,elles sont soumises dans leur orthographe à la règle selon laquelle lorsque un nom commun sert à designer une institution qui possède une identité particulière , unique , à compétence nationale , on a affaire à un nom propre : on met alors la majuscule et cette majuscule se porte sur le nom et pas sur sur l’adjectif ou substantif qui suit ce nom .Le Tribunal des conflits étant une juridiction unique et à compétence nationale , le premier nom du libellé ainsi que son président doivent s’écrire en majuscule (Tribunal des conflits , Président du Tribunal des conflits ). Bien que la Cour constitutionnelle n’a été officiellement saisie que de la version originale de la loi organique du 3 août 2025 c’est à dire celle libellée en langue arabe, et que la version de cette loi organique en langue française n’est qu’une traduction sans valeur juridique et a une simple valeur informative bien que publiée dans le journal officiel , cette erreur d’orthographe devrait être portée à la connaissance de l’autorité qui a traduit le texte pour correction et mise en conformité.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com