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Les conditions de morcellement des terres agricoles

mohamed brahimi Par Le 02/11/2021

Terre agricole 2

Par ignorance de la législation régissant la préservation des terres agricoles notamment en matière d’actions en justice tendant au morcellement ou au partage des biens en indivision constitués de terres ou d’exploitation agricoles, la règle tant pour les juges que pour les avocats était que ce genre de propriété foncière  relève quant à leur partage entre le indivisaires du droit commun en l’occurrence des dispositions du code civil dans ses articles 722 à  742. Jusqu’à  récemment les juridictions statuaient  sur ce genre de litige en désignant systématiquement un expert à qui est confié la mission de proposer  un projet de partage  entre les indivisaires quant bien même il s’agirait d’une terre agricole ou d’une exploitation agricole.La seule condition exigée des justiciables ou de leurs avocats par la juridiction est d’exciper  d’un titre de propriété du bien foncier en indivision objet de la demande de morcellement ou de partage , ou s’il s’agit  d’une succession la présentation en sus du titre de propriété de la frédha.

A l’instar de ce qui est en vigueur dans d’autres pays, le foncier agricole a de tout temps fait l’objet en Algérie d’une attention particulière notamment en ce qui concerne la préservation de leur vocation agricole .Ce souci de protection des terres agricoles est d’autant plus justifié que l’Algérie manque cruellement de terres cultivables . Le foncier agricole est encadré principalement par la  loi  n° 90-25 du 18 novembre 1990  relative à l’orientation foncière ,  la loi n° 08-16 du 03 aout 2008 portant orientation agricole, la loi n° 10-03 du 15 août 2010 fixant les conditions et les modalités d’exploitation  des terres agricoles du domaine privé de l’Etat, le décret exécutif n° 97-490 du 20 décembre 1997 fixant les condition de morcellement des terres agricoles et le décret exécutif n° 96-87 du 24 février 1996 portant création de l’office national des terres agricoles.

Récemment des justiciables et leur avocats ont été surpris de voir leur demande en partage d’une succession constituée d’une terre agricole rejetée au motif que la loi  pose certaines conditions au morcellement du foncier agricole qui ne sont pas réunies dans le dossier concerné. Cette jurisprudence  désormais constante  a été d’autant plus mal comprise par les avocats que ces juridictions ont débouté les demandeurs en partage alors même qu’un jugement ayant ordonné un expert pour proposer un projet de partage a été préalablement rendu.

Il est indéniable qu’une action en justice dont l’objet est le partage entre indivisaires d’une terre agricole est , contrairement aux autres propriétés foncières,  soumise à certaines conditions pour qu’elle soit fondée.Ce genre d’actions judicaires diffèrent dans ses conditions  de celles tendant par exemple au partagé d’un terrain urbanisé ou urbanisable .Dans le souci de préserver la vocation  agricole des propriétés foncières et d’assurer la continuité de l’exploitation agricole ,  l’article 55 de la loi n° 90-25 du l8 novembre 1990 modifiée et complétée portant orientation foncière  dispose que les mutations foncières sur les terres agricoles  ne doivent pas porter préjudice  à la viabilité de l’exploitation agricole ni aboutir à un changement  de la vocation agricole  des terres ni constituer des exploitations dont la taille peut aller à l’encontre des normes et programmes d’orientation foncière. L’article 56 de la même loi sanctionne de nullité toute transaction opérée en violation de cet article 55.Concernant spécifiquement le morcellement des terres agricoles y compris le morcellement  intervenu sur décision de justice, un décret exécutif  définit les conditions et modalité de ce morcellement. Il s’agit du décret exécutif n° 97-490 du 20 décembre 1997.

Dans l’hypothèse où un tribunal est saisie d’une demande en partage d’une terre ou d’une exploitation agricole en indivision ce qui implique u morcellement  , le juge doit préalablement vérifier si ce partage répond aux prescriptions du décret susmentionné, et dans le cas contraire la demande est rejetée.En application de décret du 20 décembre 1997, le morcellement d’une terre agricole suite à un partage ordonné par le tribunal doit respecter les limites  de la superficie  de l’exploitation agricole  de référence .En vertu de ce décret sont considérées comme superficies de l’exploitation agricole de référence , les superficies qui sont définies suivant le tableau suivant :

ZONES

MODE DE CONDUITE

VARIANTE

SYSTEME DE CULTURE

SUPERFICIE DE REFERENCE EN HA

A

Irrigué

1

2

3

Maraichage

Maraichage/arboriculture

Arboriculture

1,5

4

7

Terres irriguées des autres zones A,B,C,D,M

sec

1

2

3

Maraichage / grades cultures

Grandes cultures/fourrages

Cultures industrielles/grandes cultures

9

7

10

B

sec

1

Grandes cultures/fourrage

Légumes secs

20

C

sec

1

2

Grandes cultures/fourrage

Jachère

Légumes secs/grandes cultures

Jachères

18

D

sec

1

Grandes cultures/maraichages

10

O

irrigué

1

2

3

Grandes cultures

Phoéniculture/intensive

Phoéniculture/grandes cultures

3

1

3,5

M

sec

1

2

Grandes cultures/fourrages

Arboriculture rustique

10

11

 

Au sens de l’article 4 de la loi n° 90-25 du l8 novembre 1990  , constitue une terre agricole ou à vocation agricole toute terre qui, par l'intervention de l'homme, permet une production annuelle ou pluriannuelle à l'usage de la consommation humaine, animale ou industrielle, directement ou après transformation. Quant aux zones visées dans ce tableau elles son déterminées par l’article 80 de la loi n° 88-33 du 31 décembre  1988 portant loi de finances  pour l’année 1989 comme suit :

-zone A.- elle regroupe les terres de plaine situées dans les régions littorales et sublittorales  bénéficiant d’une pluviométrie supérieure à 600 mm.

-Zone B.- elle regroupe les terres de plaine bénéficiant d’une pluviométrie comprise entre 540 mm et 600 mm.

-Zone C.- elle regroupe les terres de plaine bénéficiant d’une pluviométrie comprise entre 350 mm et 450 mm.

-Zone D.- elle regroupe toutes les terres agricoles bénéficiant d’une pluviométrie inferieure à 350 mm ainsi que celles situées en montagne.

-Zone O.- zones constituées des terres sahariennes. Constitue une  terre saharienne au sens de l’article 18  de loi  n° 90-25 du 18 novembre 1990   toute terre située au dessous  de l’isohyète 100 mm c’est-à-dire une terre située dans le désert.

Le décret précise que sont considérées comme terres de plaine celles dont la pente est inferieure à 12,5%.Quant aux zones de montagnes , ce sont toutes les terres se trouvant sur le territoires de certaines communes visées en annexe du décret décret exécutif n° 97-490 du 20 décembre 1997 fixant les condition de morcellement des terres agricoles.

Ainsi en application de la législation en vigueur, une action en justice  tendant au partage d’une terre de culture maraichère  en indivision irriguée , située dans une région littorale et d’une superficie de 10 hectare peut être accepté et partagé entre les indivisaires si  ce partage aboutit  à la constitution de lots dont la superficie  de chaque lot est supérieure ou égal à 1,5 hectare .Par contre si chaque lot revenant à chacun des indivisaires est inferieur à cette superficie, la demande en partage est rejetée.

Cette législation ne s’impose pas seulement aux juges et aux parties à une instance en partage du foncier agricole, mais elle s’impose aussi aux notaires qui doivent préalablement à la rédaction de tout acte de partage à l’amiable ou à toute mutation ou opération de morcellement  portant sur une terre agricole vérifier la conformité de l’acte à instrumenter avec les dispositions des textes  susmentionnés et ce sous peine  de voir leur responsabilité personnelle engagée. Cette exigence s’impose aussi aux conservateurs fonciers. Cette responsabilité est expressément énoncée par l’artiche 7 du décret exécutif n° 97-490 du 20 décembre 1997.

Reste la problématique du devenir de la terre agricole ou de l’exploitation agricole en indivision au cas ou  son morcellement est impossible au regard de la législation en vigueur. Les indivisaires sont-ils tenus de rester indéfiniment en indivision alors même qu’une mésentente existe entre eux,  et le tribunal saisi est-il obligé d’ordonner le maintien du foncier agricole en indivision si une mésentente entre les paruies subsistent ?En vérité il y a un vide juridique en la matière notamment en ce qui concerne le régime successoral des terres ou exploitations agricoles. En droit comparé , la loi belge du 29 aout 1988 par exemple  prévoit «  un droit de reprise » qui permet à l’héritier d’une succession  constituée  d’une exploitation agricole  de reprendre sur soulte ( en contrepartie d’une indemnisation à verser aux autres héritiers) cette exploitation.Il en est de même en droit  français où  l’article 831 et suivants du code civil a prévu le régime de «  l’attribution préférentielle » qui consiste à la remise intégrale de l’exploitation agricole au profit d’un  coindivisaire contre paiement d’une soulte dont le montant  sera fixé par le juge ( ou par le notaire en cas partage amiable) sur la rapport d’un expert.

Rien de tel n’est prévu en droit algérien. S’il apparait au juge que la demande en partage ou en morcellement  d’une terre agricole ne répond pas aux prescriptions de la la loi, il se contente de débouter le demandeur .Ce dernier et les autres indivisaires seront obligés de rester indéfiniment en indivision même s’ils sont en désaccord, sauf à demander la vente du bien foncier à l’amiable ou par voie de justice . Pour  éviter le maintien forcé en indivision s’il apparait postérieurement au cours d’instance que le partage ou le morcellement est impossible  ,  les indivisaires ou l’un d’entre eux peut  présenter au tribunal saisi de la demande en partage une demande subsidiaire en vente du bien litigieux par voie de justice conformément à  l’article 722 du code civil et des articles 786 et suivants du code de procédure civile et administrative relatifs au régime de la vente des biens immobiliers dans l’indivision. Dans cette dernière hypothèse le tribunal doit veiller à ce que la vente ne déroge pas aux prescriptions des textes susmentionnés relatifs au morcellement des terres agricoles. Au cas où les indivisaires  d’une exploitation agricole procèdent à la vente, au partage ou au morcellement de cette exploitation en violation des textes susmentionnés, la loi a prévu des mécanismes qui d’une part tendent à considérer  comme nulle et non avenu toute mutation illégale , et d’autre part permettent à l’Etat  d’exercer son droit de péremption.  

BRAHIMI Mohamed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com