Ainsi , en vertu de l’article 149 bis 6 de cette ordonnance , est puni d’une peine de réclusion de 10 à 20 ans et d’une amende de 1.000.000 DA à 2.000.000 DA : « Quiconque, dans l'intention de porter atteinte à leur honneur, à leur délicatesse ou au respect qui leur est dû, outrage dans l'exercice de sa fonction ou à l'occasion de cet exercice, un professionnel de la santé , un fonctionnaire ou un personnel des structures et établissements de santé, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d'objet quelconque, soit par écrit ou dessin » et ce dans la mesure où cet acte est perpétré avec deux personnes ou plus , ou en exécution d’un plan concerté ou par le port ou l’usage d’arme fut-elle une arme blanche. En pratique, si deux personnes se trouvant dans un établissement de santé et que suite à un malentendu, insultent ou manquent de respect à un professionnel de santé où à un agent de l’établissement de santé , et quant bien même aucun acte de violence ou de destruction n’ai été perpétré , ces personnes peuvent être poursuivies et condamnées au visa de cet article 149 bis 6 . S’agissant d’une peine de réclusion de 10 à 20 ans, ils seront traduits non pas devant un tribunal correctionnel mais devant un tribunal criminel.
Les peines prévues par la nouvelle ordonnance sont modulées en fonction de la gravité des actes commis contres les professionnels de santé. Si l’auteur des propos diffamatoires,offenssant ou injurieux a agit seul , la peine encourue est de 2 à 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de de 200.000 DA à 500.000 DA. Si des violences physiques sans effusion de sang ou des actes de menace ou d’intimidation ont été commis, la peine sera de 2 à 8 ans d’emprisonnement et l’amende de 200.000 DA à 800.000 DA.La peine est portée à 12 ans d’emprisonnement et l'amende de 500.000 DA à 1.200.000 DA s’il ya effusion de sang , blessure, maladie ou si l’acte a été prémédité ou commis avec préméditation ou port d’arme. Elle sera de 20 ans si une arme même blanche a été utilisée dans les violences , ou si l’acte de violence a entrainé une mutilation .
La nouvelle ordonnance sanctionne sévèrement les dégradations des biens meubles et immeubles des structures de santé. Est puni d'un emprisonnement de 2 à 5 ans et d'une amende de 200.000 DA à 500.000 DA, quiconque dégrade les biens mobiliers ou immobiliers des structures et établissements de santé. Si l’atteinte à la structure de santé par dégradation des biens mobiliers ou immobiliers a entrainé l’arrêt total ou partiel de cette structure, la peine encourue est l’emprisonnement de 3 à 10 ans et l’amende de 300.000 DA à 1.000.000 DA. Toute incursion dans une structure de santé par violence est punie d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 60.000 DA à 300.000 DA. lorsque l'intrusion par violence concerne des lieux dont l'accès est réglementé à l’instar par exemple du service dédié aux malades du covid 19 ,La peine encourue est l'emprisonnement de 2 ans à 5 ans et l'amende de 200.000 DA à 500.000 DA.
Pour contenir la prolifération des informations et des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux fustigeant la mauvaise prise en charge des malades du covid19 et la situation déplorable des structures de santé , la nouvelle ordonnance a prévu là aussi des sanctions d’une extrême sévérité .Ainsi, est puni d'un emprisonnement de 2 à 5 ans et d'une amende de 200.000 DA à 500.000 DA, quiconque enregistre des communications ou conversations, capture ou publie, sur un site ou un réseau électronique ou sur les réseaux sociaux ou par tout autre moyen, des photos, des vidéos, des nouvelles ou des informations dans l'intention de porter préjudice ou atteinte au professionnalisme ou à l'intégrité morale d'un professionnel de santé pendant ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. . Ces peines sont portées au double ( 10 ans d’emprisonnement et 1.000.000 DA d’amende), si les images, vidéos, nouvelles ou informations sont manipulées de manière calomnieuse ou capturées discrètement ou dans des endroits non ouverts au public à l'intérieur de la structure ou de l'établissement de santé, ou si elles ont été sorties de leur contexte.
Si les actes sus- mentionnés sont commis durant les périodes de confinement sanitaire ou d'une catastrophe naturelle,biologique ou technologique ou de toute autre calamité , ou encore dans l'intention de nuire à la crédibilité et au professionnalisme des structures et établissements de santé ,la peine encourue est l'emprisonnement de 5 à 15 ans et une amende de 500.000 DA à 1.500.000 DA.
La nouvelle ordonnance a même créé ex - nihilo des peines complémentaires dont on se demande si elles sont conformes à la Constitution , surtout que cette ordonnance a été élaborée et promulguée par le Président de la République en application de l’article 142 de la Constitution qui autorise ce dernier à légiférer durant les vacances parlementaires mais seulement « sur des questions urgentes » ,alors que cette condition peut être discutée et remise en cause en cas d’exception de constitutionnalité , du fait que les infractions qui y sont consignées peuvent déjà être poursuivies et sanctionnées en vertu des dispositions pénales déjà en vigueur ce qui annihile la condition d’urgence .
En cas de condamnation ,l’auteur des infractions prévues par l’ordonnance du 30 juillet 2020 peut être privé de l'utilisation de tout réseau électronique, système d'information ou de tout moyen de technologies de l'information et de la communication pour une période de 3 ans, à compter de la date d'expiration de la peine initiale, de la libération du condamné ou de la date où le jugement est devenu définitif pour le condamné non détenu .Il est aussi procédé à la confiscation des instruments, programmes et moyens utilisés dans la commission d'une ou de plusieurs des infractions prévues par cette ordonnance et à la fermeture du site ou du compte électronique utilisé dans la commission de l'infraction ou à l'interdiction de l'accès à ce site et à la fermeture des locaux ou lieux d'exploitation dans le cas où le propriétaire a eu connaissance de l'infraction.Ces peines complémentaires extrêmes notamment pour les actes commis par voie électronique via les réseaux sociaux qui vise, on l’aurait compris la diffusion de vidéos dénonçant la mauvaise prise en charge des malades dans les établissements de santé , ne sont pas justifiées et en tout état de cause sont disproportionnées et portent atteintes à certains droits garantis par la Constitutions surtout que ces peines sont applicables à toutes les infractions sans distinction .
Plus que les lourdes peines et les peines complémentaires y afférentes prévues pour des infractions somme toute banales pour celles ne mettant pas en cause l’intégrité physique des victimes , c’est aussi le régime auquel sont soumis ces peines qui laisse dubitatif. L’article 148 bis 7 de l’ordonnance dispose que les peines prévues à l’article 149 bis 1 , c’est à dire les actes de violences entrainant effusion de sang, blessure ou maladie ou qui ont eu lieu avec préméditation, guet-apens ou port sont incompressible dans une limite définie par le même texte.La peine incompressible est celle qui doit être purgée par le condamné sans aucun espoir de réaménagement , en l’occurrence il ne peut bénéficier ni de la grâce ni de la libération conditionnelle .Ainsi si l’auteur de l’infraction est condamné à la peine maximum de 12 ans d’emprisonnement pour agression sur un professionnel de santé , la peine incompressible sera de 8 ans d’emprisonnent qu’il devra purger sans aucun espoir d’être libéré. Ce dispositif est paradoxalement plus sévère que celui prévu pour les actes de terrorisme puisque en cette matière seule la moitié de la peine et non les deux tires est incompressible .
On peut s’interroger sur la pertinence et l’intérêt de cette sévérité excessive dans la répression d’actes qui sont en grande partie commis dans des circonstances particulières , et qui plus est sont largement et suffisamment sanctionnés par les anciennes dispositions du code pénale .En contradiction avec la politique pénale prônée par les autorités judiciaires qui favorise la prévention et la réinsertion au détriment de la répression, les nouvelles dispositions apparaissent comme une réponse à des événements ponctuels suscités par une crise sanitaire sans précédent qui aurait dû avoir une réponse autre que pénale. Il est incontestable que les actes de violence physique ou morale commis dans les établissements de santé durant cette crise su covid19 ne sont pas le fait de criminels ou de délinquants endurcis , mais sont souvent le fait de personnes fragilisées par la maladie d’un parent ou d’un proche , ce qui peut provoquer des réactions brutales et incontrôlées .Aussi c’est à juste titre que des médecins trouvent improductive la pénalisation excessive des actes dont ils peuvent être victimes dans l’exercice de leur fonction, et en appellent à un travail de rétablissement de la confiance entre les professionnels de la santé et les citoyens, au lieu de recourir encore et toujours aux vieilles recettes de la répression pénale qui n’ont jamais abouti aux résultats escomptés en terme de prévention de la délinquance sous toutes ses formes.
Par BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour
brahimimohamed54@gmail.com