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La portée juridique du serment du président de la République

mohamed brahimi Par Le 23/02/2019

Une vive polémique  juridique et constitutionnelle  s’est invitée à l’entame des premières joutes oratoires des différents candidats à la prochaine élection présidentielle du 08 avril 2019 .Suscitée par l’état de santé du Président  sortant mais non moins candidat à sa propre succession, la question de la prestation de serment du président de la République élu lors de son investiture a fait réagir contradictoirement des hommes de loi et des constitutionnalistes .Pour Farouk Ksentini par exemple , avocat et ancien président  de la Commission nationale des droits de l’homme  , le président de la République élu n’est pas obligé de prononcer l’intégralité  du texte de la prestation de serment.Par contre pour la constitutionnaliste Fatiha Benabou ,le président de la République doit prêter serment en application de l’article 90 de la Constitution. Qu’en est-il,exactement de cette formalité constitutionnelle ?Formalité obligatoire ou formalité facultative ?

En Algérie  la disposition qui évoque la prestation de serment du président de la République lors de son investiture est l’article 89 de la Constitution  : «  Le président de la République prête serment devant le peuple et en présence de toutes les hautes instances de la Nation, dans la semaine qui suit son élection. Il entre en fonction aussitôt après sa prestation de serment. ».L’article 90 de la même Constitution indique les termes de ce serment. L’article 89 de la Constitution  peut  être interpréter de deux manières. On peut considérer que du moment que le texte ne contient pas le  terme «  doit »  ou toute autre expression  impérative , la prestation de serment n’est pas  une formalité obligatoire. Mais si on  considère que le deuxième alinéa du même article 89  dispose  que le président de la République  «  entre en fonction aussitôt après sa prestation de serment »  on pourrait en déduire à contrario que tant que le président de la République n’a pas prêté serment, il ne peut pas entrer en fonction, ce qui en conséquence  rend le serment obligatoire . Sur ce  point  tout le monde est d’accord ,le président de la République  doit prêter serment sinon pourquoi prévoir une disposition constitutionnelle en la matière.Le problème qui se pose et qui divise les protagonistes est la procédure de prestation de serment et ce sur deux points :

1- Le président de la République est-il tenu de prononcer personnellement et dans son intégralité les termes du serment tels qu’indiqués dans l’article 89  de la Constitution ?

2- La procédure de prestation de serment lors de l’investiture oblige t-il  celui que le prête à suivre un cérémonial bien défini ?

Pratiquement  toutes les Constitutions  du monde  ont prévu  un cérémonial  d’investiture du président de la République nouvellement élu et ce cérémonial peut prendre plusieurs formes dont la plus emblématique est la formalité de prestation de serment. Le serment qui vient du latin sacramentum signifie rendre sacré et correspond entre autres à l’engagement  solennel  de bien remplir les devoirs de sa fonction .Aussi  étrange que cela puisse paraître certains pays même les plus démocratiques ne prévoient pas de cérémonial de prestation de serment .En France par exemple , alors que de grandioses cérémonies d’investiture  ont lieu à chaque élection présidentielle , le président de la République  ne prête pas serment  car la Constitution française ne prévoit pas cette  formalité ce qui d’ailleurs fait réagir à chaque investiture des juristes et des politiques français sur cette incongruité de la loi fondamentale de ce pays. Une proposition de loi  constitutionnelle a même été déposée en 2005 par des sénateurs français à l’effet  d’instaurer une prestation de serment pour le président de la République  français mais  cette proposition n’a pas été suivie d’effet.

Le principe de l’obligation de prestation de serment par le  président de la République étant acquis au regard des dispositions des articles 89 et 90 de la Constitution algérienne  ,reste à déterminer si les termes de la  prestation de serment  (92 mots ) doivent être dits en intégralité  par l’investi lui-même  ou ce dernier peut-il se suffire d’un «  je le jure  »  prononcé  à la suite de la lecture des termes du serment par une autre autorité ?Tel est l’avis par exemple de Farouk Ksentini qui a expliqué lors d’une interview que le  président de la République n’est nullement obligé de prononcer lui-même les termes du serment et  que cette charge peut être  transférée au président de la Cour suprême  en présence de l’investi qui prononcera l’expression «  je le jure ».Pour argumenter cette position , il donne l’exemple du serment  que prêtent  les assesseurs des tribunaux criminels ,  les magistrats  et autres auxiliaires de justice.

Il est pour le moins hasardeux de comparer le serment du président de la  République  au serment prêté par  d’autres autorités ou dépositaires d’une charge publique ou privée .Le serment prêté par ces personnes ( magistrats, assesseurs judiciaires,notaires,huissiers de justice ,avocats  et même membres du Conseil constitutionnel ) est  un serment professionnel  alors que le serment du  président de la République est un serment politique.La prestation de serment du président de la République est un engagement solennel et une implication morale ferme de respecter la Constitution et les institutions de la nation. Prêter serment en jurant sur le Coran ou la Bible n’est certes pas une garantie suffisante pour que l’investi  puisse tenir ses promesses , mais dans les pays démocratiques où  la loi constitutionnelle est respectée et appliquée à la lettre , le non respect des engagements pris lors de la prestation de serment peut conduire à une destitution . Aussi pour que le  président de la République puisse rendre des comptes au cas où il ne respecte pas ses engagements, il faudrait bien qu’il prête lui-même ce serment  et non pas déléguer  cette charge à une autre personne fut-elle le président de la Cour suprême ou du Conseil constitutionnel. Même dans les Constitutions  où la prestation de serment du  président de la République est faite devant une autorité telle le président de la Cour suprême ou le président du Conseil constitutionnel, le  président de la République doit  lui-même prononcer le serment.  

Le serment doit obligatoirement être prêté dans les termes indiqués dans la Constitution sans aucune modification  ni rajout ni retrait d’un seul mot. Tel est le vœu nous semble-t-il du constituant algérien .S’il manque un seul mot au serment prêté par l’investi, ce serment est considéré non-conforme à la Constitution et la prestation de serment doit être reprise. Ce cas s’est présenté lors de l’investiture du Président gambien en 2015 .Lors de sa prestation de serment , le Président gambien  a omis  de prononcer l’expression «  et de faire respecter la Constitution » ce qui a fait réagir des hommes de loi et des constitutionnalistes gambiens qui demandèrent  à ce que le Président prête serment à nouveau  conforment aux termes fixés par  constitutionnelle .  Cette demande de reprendre le serment  a été présentée  au motif que le texte du  serment est une formule sacramentelle indivisible et doit être prononcée dans son intégralité  et que par conséquent  la prononciation de ce serment dans son intégralité est une obligation constititionnelle.Alors même que d’autres juristes gambien prônaient la validité du serment prêté quant bien même il a été amputé d’une expression au motif  que rien n’oblige le président de la République à reprendre sa prestation de serment du moment qu’il n’existe aucune obligation légale qui l’exige, le Président gambien et pour éviter toute suspicion quant  à la validité du serment prêté a préféré reprendre  la prestation de serment lors d’une deuxième cérémonie . Il en est de même pour la prestation de serment du Président américain  Barack Obama qui en2009  a fait  une faute sur un mot et pour être conforme avec la Constitution  il dût  reprêter serment à huis clos le lendemain.

En conclusion il est évident qu’aux termes de l’article 89 de la Constitution, le prononcé des termes du serment doit être fait dans son intégralité par  l’investi lui-même et que cette formalité qui est une obligation constitutionnelle ne peut être déléguée à une autre autorité .Aussi soutenir que le président de la République peut  seulement prononcer les seuls mots «  je le jure » après que les termes du serment eussent été prononcés par le président de la Cour suprême ou par une autre autorité est non-conforme à la Constitution surtout que l’article  89 de la Constitution ne dispose nullement que la prestation de serment doit être prononcé par devant ces autorités.

Concernant les modalités formelles de cette prestation de serment, elle diffère suivant les pays.Aux Etats-Unis par exemple, lors de la cérémonie d’investiture, les termes du serment sont prononcés par le Président à la suite de leur prononcé par le président de la Cour suprême. Il est courant dans ce pays que le Président prête serment en posant la main gauche sur la bible et en levant la main droite cela alors que la Constitution américaine  ne prévoit pas l’usage de la bible  et c’est pourquoi  certains Présidents américains ont dérogé à cette règle.Ainsi  le sixième Président  américain a prêté serment sur un livre de droit et le Président Theodore Roosevelt a prêté serment dans la précipitation en 1901 simplement en levant la main droite.Mais contrairement aux déclarations de Farouk Ksentini  tous ont prononcé les termes du serment dans son intégralité.

En Algérie  et lors de l’investiture du Président Bouteflika en 1999, ce dernier   a prêté  serment debout seul face à un pupitre et a lu lui-même les termes du serment la main droite posée sur le Coran .Pour les   autres mandats  c’est une prestation de serment  à l’américaine qui a été choisie puisque  c’est le président de la Cour suprême  qui  officiât la cérémonie de prestation de serment et donna acte de cette prestation  . Ce protocole ( prêter serment devant le président de  Cour suprême  et la main droite posée sur le Coran) n’est pas spécifié  par la Constitution mais  constitue un simple mimétisme de certaines investitures étrangères notamment  l’investiture américaine.

De tout ce qui précède on peut conclure que si la Constitution algérienne permet d’organiser  la cérémonie d’investiture  du président de la République dans les formes que décidera  le Président élu lui-même ou son entourage ( devant un pupitre et seul, devant le président de la Cour suprême ou du Conseil constitutionnel, en posant la main sur le Coran , en levant la main …),  il devra par contre respecter deux impératifs que prévoient les articles 89 et 90 de la Constitution : 1- prêter serment devant le peuple et en présence de toutes les instances de la nation dans la semaine qui suit son élection  2- prêter le serment personnellement et dans son intégralité sans modification ni ajout ou retrait.

Par Maitre Mohamed BRAHIMI

Avocat à la cour