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La Cour des comptes décortique le système public marchand : un constat saisissant sur la gestion de l’économie

mohamed brahimi Par Le 04/12/2022

Cour des comptes

La Cour des comptes vient d’adopter son  rapport annuel  pour l’année 2022 .Publié récemment sur son site internet , ce volumineux rapport  rend public les principaux résultats des travaux d'investigation qu’elle a réalisés  en exécution de son programme de contrôle pour l’année 2020. Il comprend 14  notes qui mettent   en exergue les constatations, les observations et les appréciations les plus significatives portant sur les conditions de gestion des ressources, moyens matériels et fonds publics par les entités contrôlées. Il comprend en outre les recommandations que la Cour des comptes estime devoir formuler ainsi que les réponses des responsables représentants légaux et autorités de tutelle concernés auxquels les notes d'insertion avaient été communiquées

A l’instar de ses anciens rapports, la Cour des comptes a eu à exercer principalement son contrôle  sur l’administration de l’Etat , des collectivités locales  et des  établissements et entreprises publics. Comme d’habitude elle a mis en exergue les lacunes dont certaines mettent en cause la gestion chaotique des  entités administratives ou économiques publiques .Ainsi elle a mis  en évidence la faible performance des entités contrôlées au regard des moyens financiers consentis par l’Etat pour assurer leur fonctionnement. Elle fait remarquer que les dysfonctionnements et les insuffisances caractérisant leur organisation et leur mode de gestion constituent de véritables handicaps quant à la réalisation de leurs missions statutaires. Les entités contrôlées sont la Caisse de solidarité et de garantie des collectivités locales relevant du ministère de l’intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire, de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz  relevant du ministère de l’énergie et des mines , de l’Agence nationale des déchets relevant du ministère de l’environnement,- et du Centre national de la formation et de l’enseignement professionnels à distance  relevant ministère de la formation et de l’enseignement professionnels .

 

 

 

Pour la première fois  et certainement au vu  de la persistance  des faiblesses de l’économie  nationale  qui peine à démarrer malgré des financements publics sans précédents dont ont bénéficiées les différentes entités administratives  et économiques, la Cour des comptes  s’est penchée sans aucun a priori ni concession sur la faible performance du  secteur public marchand  ( SPM). Il s’git ici de l’ensemble des fonds publics investis par l’Etat dans le secteur économique  à travers les entreprises publiques économiques  ( EPE) constituées  en application  de l’ordonnance n°01-04 du 20 août 2001  et de  sociétés commerciales dans lesquelles l’Etat ou toute autre personne morale de droit public  détient directement ou indirectement la majorité du capital social sachant qu’en vertu de l’article 3 de la même ordonnance les fonds publics investis  par l’Etat ou toute autre personne morale de droit  public sont constitués  sous forme de parts sociales, d’actions, certificats d’investissements, titres participatifs ou toutes autres valeurs mobilière . le SPM  ne couvre en conséquence que  les  valeurs mobilières détenues directement ou indirectement sous la forme juridique d’EPE, en excluant de son champ  et les participations minoritaires détenues  par l’Etat ou toute autre personne morale de droit public sur des entreprises autres que les EPE  et  la part sociale de l’Etat ou apport de l’Etat  détenu  dans les autres entités de droit public  notamment les entreprises publiques à caractère industriel et commercial ( EPIC)  qui bénéficient  d’une dotation initiale  de l’Etat  .

Alors que les deux entités EPE et EPIC activent  dans le domaine économique et  commercial  et sont soumises au droit commercial  et à la tenue d’une  comptabilité commerciale ,   la Cour des comptes  s’est interrogée  à juste titre sur la pertinence de distinguer  entre ces deux formes juridiques (EPIC /EPE) et les raisons pour lesquelles les EPIC ont été écartées du champ de définition du secteur public marchand. Il est évident que cette dichotomie juridique  ajoute une complication au système économique nationale .

D’emblée  la Cour des comptes fait le constat alarmant que les objectifs assignés aux différents dispositifs de gestion et de supervision du SPM mis en place  par l’Etat à travers l’institution d’organes chargés d’exercer le droit de propriété ou de gérer le portefeuille d’actions et de placements n’ont pas été pleinement atteint. En adéquation avec les  observations des différents observateurs qui n’ont cessé d’attirer l’attention  des pouvoirs publics sur les effets néfastes  du manque d’informations viables sur les différents indicateurs économiques , la Cour des comptes  constate d’une part que  la  circulation de l’information économique et financière sur le SPM  est faible et qu’au demeurant elle n’est pas exhaustive et n’est pas communiquée à son principal organe de gestion stratégique et de supervision à savoir le Conseil des participations de l’Etat  , et que d’autre part  le SPM dont la consistance et l’étendue ne sont pas déterminées d’une manière exhaustive et officielle présente de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat à travers les assainissements financiers qui ont atteint  pour la   période allant de 2003 au premier trimestre 2019   le montant astronomique de  1 903 Mrds de DA sans compter  le financement via les crédits bancaires à un taux bonifié  qui ont atteint au 31 mars 2020 le montant non moins astronomique de  1 3972 Mrds de DA. .Plus grave, la Cour des comptes a eu du mal à exercer pleinement son contrôle en raison de l’absence  d’une liste exhaustive officielle des EPE ou de leur matrice ainsi que d’une banque de données économiques et financières  centralisée  sur le SPM , ce qui a  l’a incité à   innover en  reconstituant  le SPM à partir des textes le régissant en vue de déterminer l’étendue et la consistance des fonds publics investis dans le SPM et d’en apprécier certains de ses indicateurs.

Les contrôles effectués par les magistrats de la Cour des comptes ont révélé que le SPM présente, à l’exception d’un nombre très réduit de groupes à savoir SONATRACH (Energie), SAIDAL (Pharmacie), GICA (Matériaux de construction) COSIDER (Construction), SERPORT (Transport) MADAR (Agro-industrie), de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat. Ainsi, les assainissements financiers  à titre d’annulation des créances du Trésor, de rachat des dettes et de gel du découvert, se sont élevés, à titre d’exemple, pour la  période allant de 2003 au premier trimestre 2019  à 1 903 Mrds de DA ,   alors que les plans de modernisation et de développement des groupes publics  financés par des crédits bancaires à un taux bonifié  ont atteint au 31 mars 2020 un montant global de 1397  Mrds de DA.

le SPM se caractériserait  aussi  par une rentabilité très basse, une valeur ajoutée peu contributive à la formation du produit intérieur brut  , un surendettement des entreprises publiques économiques  et une faible rémunération des capitaux investis par l’Etat. Cette  situation traduit selon la Cour des comptes  l’inefficacité des dispositifs  successifs  de gestion et de supervision du SPM .Ces observations pertinentes  rejoignent et confortent  ceux parmi les économistes les plus avertis préconisent   depuis longtemps  l’arrêt des  assainissements  successifs et inopérants   de certaines entreprises publiques moribondes qui  ne vivent que des aides publiques sans création d’aucune richesse .

Les entreprises publiques économiques  sont connues pour la pléthore de leur personnel ce qui explique entre autres leur faible performance en matière de rentabilité et d’efficacité. Dans ce domaine , le rapport de la Cour des comptes  constate sans surprise  que les charges de personnels  constituent la dépense d’exploitation la plus importante dans le SPM qui a employé en 2017 et 2018, respectivement  un effectif de 597 655 et  607 9064 pour un montant de 706 Mrds de DA et 754 Mrds de DA (sans les banques et les assurances et les EPE des EPIC et EPST). Elles ont absorbé  durant ces deux exercices  en moyenne respectivement 50 et 52% de la valeur ajoutée de l’ensemble des groupes sans le secteur de l’énergie. Plus grave  , pour certains groupes tels que SNVI, GRCN, GATMA, IMETAL et ACS ce taux a même dépassé les seuils de 86% en 2017 et 100% en 2018.  La faiblesse du SPM  est aussi illustrée par la rémunération quasi  nulle des capitaux investis par l’Etat. Ainsi les capitaux propres investis dans les groupes et EPE hors Sonatrach et hors banques et assurances  s’élevant à 3 168 Mrds de DA n’ont procuré   en 2018  à l’Etat que 18 Mrds de DA  soit un taux de rémunération de… 0,57%. S’y  ajoute un  surendettement abyssale de l’ensemble des EPE ( à l’exception de SONATRACH, SONELGAZ et Algérie télécom  ) qui represente 187% des capitaux propres de ces groupes  ce qui met ces EPE dans une situation de quasi faillite.

La Cour des comptes a par ailleurs mis le doigt sur l’un des aspects  les plus anachroniques et les plus  aberrants de la gestion administrative de l’économie. Sans détour elle constate  que la gestion actuelle des EPE ne permettra jamais le développement du SPM  du moment que  l’apport de l’Etat au titre des participations  détenues sur ces EPE  n’a jamais été  matérialisé  par l’émission d’actions en contre partie du capital social libéré  qui accordent à l’Etat le droit de réclamer ses dividendes et pour assurer la traçabilité de l’opération et ce conformément au code de commerce  . Elle   constate en outre  ce qui encore plus aberrant que ces actions n’ont jamais été émises  ni au profit du Trésor  ni au profit des EPIC ayant créé des EPE  , et que c’est cette non matérialisation des capitaux marchants de l’Etat qui fait que ces capitaux sont  suivis par la  direction générale du Trésor  au lieu de la direction générale du domaine national  alors que d’autre part la comptabilisation  des placements au titre des actions de l’Etat par le Trésor  ne permet pas le développement du SPM à travers la bourse des valeurs à l’instar de toute économie de marché.

La Cour des comptes a eu aussi à évaluer  les résultats  des plans de développement des EPE décidés  par les pouvoirs publics  visant la modernisation des EPE et leur réhabilitation grâce à des plans de développement à financer par des crédits bancaires bonifiés. Elle a constaté que  cet ambitieux programme  de développement a connu des difficultés dans sa réalisation dues au  fait que  certaines entreprises publiques  n’étaient pas prêtes à  concrétiser un tel programme , et se  sont retrouver avec des surinvestissements ou bien avec des équipements de haute technologie sans disposer de la qualification pour les faire fonctionner d’où la sous exploitation de leurs capacité ce qui en fin de comptes   a mis ces entreprises   dans l’incapacité  à rembourser les crédits obtenus.

Ce rapport de la Cour des comptes , s’il a bien appréhendé la situation délétère et inquiétante des entreprise publiques économiques  qui au lieu de créer  de la richesse  , appauvrissent  et ralentissent le développement économique et  sociale de la nation , il est évident qu’a supposer   même que les pouvoirs publics  appliquent  sans restrictions les recommandations émises dans ce rapport , les effets sur l’économie ne seront  que superficielles  et ce tant que l’Algérie persiste dans  son hésitation à adhérer pleinement à l’organisation mondiale du commerce et se complait dans son rôle de simple observateur au sein de cette institution . Il est vain de croire qu’on peut atteindre un développement économique et  avoir des entreprises viables créatrices de richesses sans intégrer le système  commercial international .Aucun pays n’a pu accéder à un développement économique soutenu et a atteint un taux de croissance appréciable sans qu’il soit membre de l’OMC  dont les pays membres représentent 98 % du commerce mondial .La Chine communiste  qui avait une économie  exsangue et sous développée  n’est devenue une superpuissance économique qu’après avoir adhéré à l’OMC en 2001 puis en  est devenue un acteur  prépondérant.

Maitre BRAHIMI Mohamed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com