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L’interdiction de sortie du territoire national (ISTN) : Formes et conditions

mohamed brahimi Par Le 01/12/2018

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Des procédures judiciaires  très médiatisées  mettant en cause des journalistes , des blogueurs et même des officiers supérieurs de l’armée  ont  créé une polémique sur  la délicate question de l’interdiction  de sortie  du territoire national ( la fameuse ISTN)  .Ainsi le journaliste et rédacteur en chef  d’Algérie Part , Abdou Semmar , s’est  plaint d’avoir été soumis à cette interdiction  de sortie du territoire national  par décision du procureur de la République d’Alger  sans qu’il en soit informé au préalable .Pour les avocats du journaliste , cette décision du parquet  n’est pas conforme à la loi .Qu’en est-il exactement au regard des lois régissant cette mesure exceptionnelle ?

Il est évident que l’ISTN  porte atteinte aux droits fondamentaux  du citoyen , aussi  le recours à cette mesure doit être exceptionnel et  ne doit pas  être ordonnée à la légère. Tout d’abord la liberté  de circuler librement y compris la liberté  d’entrée et de sortir du territoire national est un droit fondamental garanti par l'article 55 alinéa 2 de la Constitution qui dispose  : «  Le droit d’entrée et de sortie du territoire national est garanti ».En outre ce droit fondamental est aussi garanti par les conventions internationales et régionales ratifiées par l’Algérie notamment  par la Déclaration universelle des droits de l’homme ( article 13-2) , le Pacte international des droits de l’homme ( article 12-2) et la Charte africaine des droits de l’homme ( article 12).La convention internationale étant supérieure à la loi  conformément à l’article  150 de la Constitution , le droit d’entrée et de sortie du territoire nationale est un droit qui doit être exercé en toute liberté et sans entraves sachant  que tout acte arbitraire ou attentatoire à la liberté individuelle est une infraction  punie de la réclusion   criminelle par l’aticle 107 du code pénal  .Pour autant ni la Constitution  ni les conventions  internationales  ne prohibent  d’une façon absolue l’interdiction   de sortie du territoire national.Il peut en effet exister des situations particulières  où l’interdiction à un citoyen de quitter le territoire national  est  nécessaire pour  des considération de sécurité  ou d’ordre public, notamment  pour éviter la fuite d’une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit.

S’il est permis aux pouvoirs publics de déroger au principe de la liberté de circuler dans et hors le territoire national , c’est à la seule condition  d’encadrer l’interdiction de sortie du territoire national dans des limites strictes et bien définies afin d’éviter tout abus . Aussi cette interdiction   est encadré autant par la Constitution elle-même que  par  le  loi.

En vertu de l’article 55 de la Constitution ,la restriction au droit d’entrée et de sortie du territoire national  ne peut être ordonnée que pour une «  durée déterminée et par une décision motivée de l’autorité judicaire ». Cette disposition constitutionnelle  est complétée et précisée dans les modalités de son application  par  le nouvel article 36 bis1 de l'ordonnance n° 15-02 du 23/07/2015 modifiant et complétant  le code de procédure pénale  qui dispose que : « Le procureur de la République peut, pour les nécessités de l’enquête, sur rapport motivé de l’officier de police judiciaire, ordonner l’interdiction de sortie du territoire national de toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices faisant  présumer sa probable implication dans un crime ou un délit ; l’interdiction de sortie du territoire national, prise conformément aux dispositions de l’alinéa précédent, prend effet pour une durée de trois (3) mois renouvelable une seule fois ;Toutefois, lorsqu’il s’agit des infractions de terrorisme ou de corruption, l’interdiction peut être renouvelée jusqu’à clôture de l’enquête ; La levée de l’interdiction de sortie du territoire national est ordonnée dans les mêmes formes ».

En application de ces dispositions , et contrairement aux pratiques antérieures où l’ISTN relevait du pouvoir discrétionnaire des différents services de sécurité civils ou militaires , c’est désormais à la seule  justice en la personne du procureur  de la République  qu’échoit la pouvoir d’ordonner  l’ISTN.Cette nouvelle règle est sans conteste un pas  considérable dans le renforcement des libertés individuelles mais encore faut-il  que les magistrats du parquets mais aussi  les magistrats instructeurs  l’appliquent dans le strict respect de la loi.

Par la combinaison de l’article 55 de la Constitution  et  de l’article 36 bis 1 du code de procédure pénale , la mesure d’interdiction de sortie du territoire national  ordonnée  par le procureur  la République  doit remplir les conditions suivantes :

1- La personne visée par l’ISTN  est sous  l’effet  d’une  enquête  diligentée par  les services de sécurité.

2- Le rapport de l’officier de police judiciaire sollicitant du  procureur de la République la mise sous ISTN  de la personne sous enquête doit être motivé.

3- Il doit exister contre la  personne objet de l’ISTN des indices faisant présumer sa probable implication dans un crime ou un délit. 

4- l’ISTN doit être ordonnée pour une période ne dépassant pas trois mois mais qui peut être  renouvelée  une  seule fois pour la même période  sauf  s’il s’agit  d’une infraction de terrorisme ou de corruption où le renouvellement est possible jusqu’à  la clôture de l’enquête.

Concernant l’affaire du journaliste Abdou Semmar, il est fait état d’un procès-verbal de notification  émanant du parquet  de Dar El Beida en date du 29/11/2018  confirmant qu’il est l’objet d’une mesure d’ ISTN en date du 08 novembre 2018  ordonnée  par  le tribunal  de Sidi M’hammed.Ce procès-verbal ne mentionne pas si cette mesure d’ISPN a été ordonné par le procureur de la République en vertu de l’article 36 bis 1 du code de procédure pénale ou par le juge d’instruction en vertu de l’article 125 bis 1 du même code .Mais en tout état de cause qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre magistrat , la décision d’ISTN  qui doit être une décision écrite et motivée  aurait du être  être notifiée à la personne concernée.

Le non respect des formes prévues par les dispositions constitutionnelles et législatives sus-indiquées  entraine la nullité de la décision de l’ISTN.S’il s’agit d’une ordonnance du  juge d’instruction  faisant injonction au prévenu de ne pas quitter le territoire national, il revient à la chambre d’accusation de censurer cette décision en l’annulant s’il  l a juge non-conforme à la loi .Mais quid  de l’ISTN ordonnée  par le procureur de la République en application de l’article 36 bis 1 ? Aucun recours n’est prévu par la loi .Ce vide juridique est d’autant incompréhensible qu’il s’agit d’une décision portant atteinte à un principe constitutionnel  pouvant entraîner de graves préjudices à la personne interdite de sortie du territoire national.L’interdit  de sortie du territoire national  peut toujours demander la levée de cette interdiction au procureur de la République qui l’a ordonné  et ce en application de l’article 35-4  du code de procédure pénale . En cas de refus de rapporter la mesure d’ISTA , il  y a  la possibilité de saisir le  chef hiérarchique du procureur de la République auteur de la mesure d’interdiction en l’occurrence le procureur général , et en dernier recours il faudra  attendre l’expiration du délai de 3mois pour que cette  interdiction soit  levée de plein droit.

Le constituant et le législateur  ayant eu pour souci la protection des libertés individuelles en encadrant  judiciairement  l’ISTN , il faudrait pour  conforter cette protection permettre un recours contre les décisions des  procureurs de la République  interdisant à un citoyen de quitter le territoire national ,sinon à quoi bon imposer des conditions à la délivrance d’une ISTN si aucun contrôle hiérarchique  sur la légalité de telles décisions  n’est exigé.

Par Maitre M.BRAHIMI

Avocat à la cour

brahimimohamed54@gmail.com