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Le port du masque de protection est-il obligatoire pour le conducteur d’un véhicule ?

mohamed brahimi Par Le 04/06/2020

 Image chauffeur

Une vive polémique a récemment éclatée à la suite de  l’interprétation donnée aux dispositions du décret exécutif n° 20-127 du  20 mai 2020 modifiant et complétant le décret exécutif n° 20-70 du 24 mars 2020 fixant des mesures complémentaires de prévention et de lutte contre la propagation du covid-19.Il s’agit de l’extension de la mesure du port de masque de protection par les conducteurs et passagers d’un véhicule.

 

L’article 13 bis du  décret exécutif du 20 mai 2020 est ainsi rédigé : «   Est considéré également comme mesure de prévention obligatoire, le port d'un masque de protection. Le masque de protection doit être porté par toutes personnes et en toutes circonstances, sur la voie et les lieux publics, sur les lieux de travail ainsi que dans tous les espaces ouverts ou fermés recevant le public, notamment les institutions et administrations publiques, les services publics, les établissements de prestations de services et les lieux de commerce ». D’autre part l’article 13 ter du même décret exécutif énonce : «Tout administration, établissement recevant le public, ainsi que toute personne assurant une activité de commerce ou de prestation de services, sous quelque forme que ce soit, sont tenus d'observer et de faire respecter l'obligation du port de masque de protection, par tous moyens, y compris en faisant appel à la force publique ».Certains automobilistes ont été surpris d’être interpellés  par des agents  de la circulation routière qui leur ont notifié l’obligation du port du masque de protection   alors qu’ils étaient à l’intérieur de leurs véhicules .Pour le simple citoyen cette obligation est incompréhensible et difficilement acceptable notamment quand le conducteur est seul dans son véhicule. Cette incompréhension a été d’autant plus grande quand on leur a fait comprendre que ce comportement peut être sanctionné par une lourde peine de prison en sus de l’amende. Qu’en est-il exactement de la légalité de la sanction encourue pour  non respect du port de masque par le conducteur d’un véhicule   ?Le défaut de port de masque dans ce cas précis  constitue-il une infraction , et entre-il dans la le domaine d’application du décret exécutif du 20 mai 2020 ?

Dans une intervention  dans un média public , le procureur général de la cour d’Alger a été catégorique : le port du masque de protection par le conducteur d’un véhicule même particulier est obligatoire et est passible d’une peine d’amende  voire d’une peine d’emprisonnement au cas où ce comportement sera qualifié par le juge de «  mise en danger de la vie  d’autrui» .Le décret exécutif  ne mentionnant pas expressément l’obligation du port du masque par les conducteurs de véhicules  , le procureur général  a étayé  son argumentaire par le fait que ce décret sanctionne  sans distinction le défaut de port de masque dans tout lieu public , et tout véhicule  qui se trouve sur la voie publique doit par conséquent être considéré comme un lieu public et relève donc des dispositions  de ce décret.

Ce raisonnement du magistrat de la cour d’Alger est  tout sauf un raisonnement juridique. La problématique de la qualification du véhicule comme  étant un lieu public ou au contraire un lieu privé a fait l’objet d’un riche débat aussi bien en doctrine qu’en jurisprudence. Cette qualification a une grande importance quant à la nature des poursuites qui peuvent être engagées quand une loi sanctionne un comportement au regard du lieu où il  été perpétré , un lieu public ou un lieu privé. La question s’est posée à l’occasion d’infractions d’atteinte à la vie privée  notamment la captation de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. Cette infraction ne sanctionnant que la prise d’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé  par exemple dans son domicile ,alors que la prise d’image d’une personne se trouvant dans un lieu public est tolérée, la justice a eu à statuer  sur  des cas d’espèce où la victime d’une prise d’image sans son consentement , se trouvait non pas dans la rue ou dans un espace ouvert , mais dans sa voiture.Il fallait dès lors répondre à la question de savoir si la voiture est un lieu privé ou un lieu public.

Si le véhicule est considéré comme un lieu privé, l’auteur de la prise d’image est pénalement sanctionné au titre du délit d’atteinte à la vie privée d’autrui prévu par l’article 303 bis du code pénal. Mais si le véhicule  est considéré comme un lieu public, il n’y a pas d’infraction , et seule une action civile peut être envisagée au titre de l’article 47 du code civil.

Pour l’obligation du port de masque dans un véhicule , le raisonnement doit être inversé. Si le véhicule est considéré comme un lieu privé , l’infraction  de non respect du port de masque par le conducteur n’est pas constitué du moment que le décret exécutif  n’impose cette mesure que lorsque la personne se trouve dans une voie ou un lieu public ou encore dans un espace ouvert ou fermé recevant le public .Par contre si le véhicule est considéré comme  un lieu public, il ya effectivement contravention aux dispositions dudit décret.

Il est indéniable que le fait qu’une voiture roule ou se trouve sur la voie publique   ne peut être interprété au sens que ses passagers occupe  un espace public. En droit  l’espace public est celui constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.Quant aux véhicules  qui empruntent  les voies publiques  ils sont considérés comme des lieux privés .A l’occasion de procès mettant en cause des prévenus poursuivis pour atteinte à la vie privé d’autrui , la jurisprudence définit le lieu privé comme étant «  l’endroit qui n’est accessible à personne, sauf autorisation de celui qui l’occupe à titre privatif de manière permanente ou temporaire ».Le véhicule entre dans cette définition.

Légalement, et du moment que le  véhicule n’est pas un lieu public, les dispositions de décret exécutif du  20 mai 2020 ne peuvent en aucun cas  être appliquées aux personnes  se trouvant dans un véhicule immobile ou en mouvement. Ceci est d’autant plus vrai qu’en matière pénale , la loi doit être restrictivement interprétée sans possibilité de l’étendre  à des situations ou comportement non expressément spécifiés. Cette règle de l’interprétation restrictive de la loi pénale  doit être appliquée et respectée avec beaucoup plus de rigueur  du fait que  les sanctions encourues en cas de non respect du port de masque sont d’une exceptionnelle sévérité si le conducteur avait des passagers à bord. La peine   peut alors atteindre 5 années d’emprisonnement et 500 000 dinars d’amende si le juge décide d’appliquer  le nouvel article 290 bis du code pénal qui punit la mise en danger de la vie   d’autrui.

Il est vrai que le non port du masque de protection dans un véhicule  notamment quand le conducteur n’est pas seul mais accompagné d’autres passagers , peut être vecteur de propagation du covid -19 .Aussi il est souhaitable et même nécessaire  que cette question du port de masque dans les véhicules soit réglementée comme c’est le cas   dans certains pays.Aussi au lieu de conseiller  aux magistrats appelés à juger de tels comportements de faire de « la   gymnastique juridique » ( entendre faire une application souple de la loi pénale pour les cas de non respect du port de masque  par les automobilistes) comme l’a suggéré le procureur général  en réponse à l’inquiétude de l’interviewer effaré par la sévérité des sanctions pénales encourues par le simple fait de ne pas mettre un masque de protection , il aurait été plus  judicieux de promulguer un texte réglementaire  imposant expressément le port du masque tant au conducteur qu’aux passagers d’un véhicule qui sera étendu à tous les moyens de  transports.

Par BRAHIMI Mohamed

Avocat