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La valeur juridique des actes portant mutation d’immeubles ou de droits immobiliers dressés avant l’indépendance

mohamed brahimi Par Le 23/10/2022

Notaire 4

Très souvent dans des instances portées devant les juridictions algériennes  soulevant des questions de propriété foncière , les justiciables excipent d’anciens actes dressés avant l’indépendance  pour prouver la propriété d’un immeuble ou d’un droit immobilier litigieux. Ces  actes ont -ils une valeur juridique devant les tribunaux  au sens où ils peuvent constituer une preuve en matière immobilière au même titre que les actes établis conformément à la législation actuelle  c’est  à dire les actes dressés devant notaire enregistrés et publiés à la conservation foncière ? La question a fait l’objet de controverses aussi biens doctrinales que jurisprudentielles. La jurisprudence nationale a peiné pour asseoir une solution définitive et unifiée. Après des hésitations , la Cour suprême a tranché en reconnaissant à ces actes une valeur et une force probante sous certaines conditions.

La difficulté soulevée par la nature des actes dressés avant l’indépendance est que ces actes alors même qu’ils portent sur un bien immeuble ou un droit immobilier  sont soit  dressés sous forme d’actes sous seing privé c’est à dire signés seulement par les parties sans l’intervention d’un représentant de la fonction publiqeue ( notaire ou autres) , soit  dressés  par des autorités publiques  de l’époque  qui n’existent plus tels les Cadi-juges- notaires , les Bach-Adel des anciennes mahakmas  judiciaires ou encore par des notaires de plein exercice de l’époque. 

 

Depuis la promulgation de l'ordonnance n° 70-90 du 15 décembre 1970 portant organisation du notariat et beaucoup plus depuis la promulgation  de l’ordonnance  n° 75-58 du 29 septembre 1975 portant du code civil , le transfert de propriété d’un bien ou d’un droit immobilier ne peut intervenir qu’en vertu d’un acte notarié enregistré et publié à la conservation foncière .Tout acte translatif de propriété  dressé  en violation de cette rège est frappé de nullité absolue. La jurisprudence de la Cour suprême est constante sur cette question ( Cour suprême , chambre civile ,  07/07/1982  , dossier n° 25699, Bulletin des magistrats , année 1982 , n° spécial  , page 171 ; Cour suprême , chambre foncière ,  11/02/2016  , dossier n° 967151, Revue de la Cour suprême, année 2016, n° 1  , page 70 ).

Quid des actes portant mutation  d’immeubles ou de droits immobilier  dressés avant le 15 décembre 1970  ? sont-ils frappés de nullité s’ils ont été dressés sous signature privée  ou dressés par les autorités publiques  des anciennes mahakmas   ?Les actes  dressés avant l’indépendance  étaient régis par la législation française et cette législation a été reconduite après l’indépendance jusqu’à nouvel ordre  sauf   dans ses disposition contraires  à la souveraineté nationale et ce en application de la loi n° 62-157 du 31 décembre 1962.

la position des juridictions inférieures nationales sur la question de la valeur juridique de ces actes quand ils sont  excipés dans des actions immobilière ou foncières introduites après le 15 décembre 1970  était hésitante et contradictoire . Certaines juridictions  refusaient  de reconnaitre à de tels actes une force probante et les rejetaient au motif que leurs détenteurs aurait dû actualiser ces actes pour les rendre conformes à la nouvelle législation et à la nouvelle situation des immeubles concernés. Par contre d’autres juridictions acceptaient ces actes au motif qu’au moment de leur rédaction, ils étaient conforme à la loi qui leur était alors applicable et qu’en tout état de cause la nouvelle législation  nationale (l’ordonnance n° 70-90 du 15 décembre 1970   portant organisation du notariat et l’ordonnance  n° 75-58 du 29 septembre 1975 portant du code civil ) qui assujettit les actes de mutation immobilière à la forme authentique  n’a pas d’effet rétroactif . Il a fallu l’intervention de la Cour suprême pour stabiliser la jurisprudence sur cette question.

Désormais à la lumière de la jurisprudence constante aussi bien de Cour suprême que du Conseil d’Etat  , les actes  portant mutation d’immeubles  ou de droits immobiliers dressés avant  le 15 décembre 1970  y compris ceux dressés  avant l’indépendance devant  le Cadi-juge- notaire , le Bach-Adel des anciennes mahakmas  judiciaires ou encore devant  des notaires de plein exercice sont des actes ayant valeur d’actes officiels et constituent une preuve suffisante en matière immobilière.

Ainsi  la cour suprême a jugé que l’acte portant mutation d’un immeuble daté  du 24  février 1942  a  été dressé  par un cadi- juge-notaire de la mahakma de Kherrata  et  qu’il est de sa jurisprudence constante que les actes dressés  par les cadis-juges- notaires des  mahakmas  sont des actes officiels  ( Cour suprême , chambre foncière ,  25/02/2004, dossier n° 264528, Revue judiciaire ,année 2004, n° 1,p.235) ,  que ces actes  acquiert le caractère  d’actes officiels établis par  des agents publics ( Cour suprême ,chambre administrative ,  03/06/1989 , dossier n° 40097, Revue judiciaire ,année 1992, n° 1,p.119), et qu’ayant été dressés par un cadi-juge-notaire , l’acte de saisie du 16 avril 1943 portant  transfert de propriété  du terrain acquiert le caractère  d’acte officiel  ( Cour suprême ,chambre foncière ,17/12/2008, dossier n° 487496, Revue de la Cour suprême  ,année 2008, n° 2,p.285.).

Concernant les actes sous seing privés translatifs de la propriété immobilière dressés avant l’indépendance et avant le promulgation de  l’ordonnance n° 70-90 du 15 décembre 1970  portant organisation du notariat , ils ont une valeur juridique  , font foi  et acquièrent force probante quant bien même ils n’ont pas été  enregistrés. C’est ce qu’a jugé la Cour suprême à propos  de  ventes immobilières  intervenues  en 1959 , 1963 et 1968  et ce au motif qu’à ces dates  la   législation en vigueur  autorisait la vente d’immeubles par acte sous seing privé et qu’en tout état de cause ces actes se suffisent à eux-mêmes et ne requièrent  ni enregistrement ni publication  (  Cour suprême , chambre foncière ,   09/06/1982, dossier n° 24573, Bulletin des magistrats  année 1982, n° spécial ,p.147 ;  Cour suprême , chambre foncière , 14/04/20, dossier n° 614074 ,  Revue de la Cour suprême,  année 2012, n° 1,p.163. ). Par contre les actes sous seing privés dressés après le 15 décembre 1970  et portant mutation  d’immeubles ou de droits immobiliers sont des actes frappés de nullité absolue ( Cour suprême, chambre civile , 07/07/1982, dossier n° 25699  ,  Revue des magistrats ,  année 1982, n° spécial ,p.171; Cour suprême , chambre foncière , 19/03/2003 ,dossier n° 246799 , Revue judiciaire ,année 2004, n° 1,p.209 ).

Si donc les anciens actes dressés avant l’indépendance portant mutation d’un immeuble ou d’un droit immobilier  conservent toujours leur valeur juridique et leur force probante devant les tribunaux , et par conséquent  ils peuvent être excipés devant les juges si  la propriété des détenteurs de ces actes est remise en cause par un tiers , il n’en demeure pas moins qu’il est préférable d’actualiser ces actes afin qu’ils acquièrent force probante absolue .A cette fin , ces actes peuvent constituer un socle suffisant pour  requérir l’ouverture d’une enquête foncière en vue de la délivrance d’un titre de propriété par les services de la conservation foncière dans le cadre de la loi n° 07-02 du 27 février 2007 portant institution d'une procédure de constatation du droit de propriété immobilière et de délivrance de titres de propriété par voie d'enquête foncière si l’immeuble est situé dans une région non encore cadastrée , ou s’il s’agit d’un immeuble déjà soumis aux opérations du cadastre il faudrait requérir son immatriculation et la délivrance du livret foncier dans le cadre de l'ordonnance n° 75-74 du 12 novembre 1975 portant établissement du cadastre général et institution du livre foncier .

BRAHIMI Mohamed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com