Sous l’ancien code de procédure civile , la solution diffère suivant qu’on se place du point de vue de la jurisprudence de la Cour suprême ou celle du Conseil d’Etat.Pour la première juridiction c’est le juge des référés du tribunal administratif qui est compétent pour juger les difficultés d’exécution que soulève l’exécution d’un jugement prononcé par une juridiction administrative .Elle a motivé cette position par l’article 171 bis de l’ancien code de procédure civile.Quant au Conseil d’Etat il a pris une position contraire puisqu’ il reconnaît au seul juge des référés du tribunal de droit commun le pouvoir de juger les actions en difficultés d’exécution.
Le nouveau code de procédure civile et administrative ( CPCA) a mis un terme à cette polémique puisque l’article 600 stipule expressément que les jugements des tribunaux administratives et les arrêts du Conseil d’Etat constituent des titres exécutoires sachant que les difficultés susceptibles d’apparaître lors de l’exécution de ces titres exécutoires relèvent de la compétence du président du tribunal de droit commun siégeant en tant que juge des référés et ce conformément à l’article 631 du même code.
Apparemment tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui par l’arrêt du 15/01/2015 a jugé que les difficultés d’exécution d’un jugement administratif relève de la compétence du tribunal qui a rendu cette décision c'est-à-dire le juge des référés du tribunal administtarif.Les faits tels qu’ils ressortent de cet arrêt sont les suivants : le bénéficiaire d’une ordonnance de référé datée du 09/09/2013 prononcée par le tribunal administratif de Bouira ayant ordonné l’expulsion des domaines d’un terrain litigieux a mis cette décision en exécution par devant un huissier de justice.Au cours des opérations d’exécution l’huissier de justice constata que le terrain est occupé par des tiers ce qui le poussa à établir un procès-verbal de difficulté exécution et renvoya le demandeur de l'exécution à se pourvoir devant la juridiction compétente pour régler l’incident.Le bénéficiaire de l’ordonnance de référé porta la difficulté d’exécution devant le juge des référés du tribunal administratif de Bouira mais ce dernier le débouta au motif que la demande touche au fond et ne relève pas de la compétence du juge des réféfés .Suite à l’appel de cette dernière ordonnance de référé , le Conseil d’Etat rendit l’arrêt du du 15 /01/2015 qui annula l’ordonnance dont appel et confirma la compétence du juge des référésdu tribunal administratif de Bouira .
Cette jurisprudence du Conseil d’Etat qui reconnaît au seul juge administratif compétence pour statuer sur les difficultés d’exécution des jugements prononcés par les juridictions administratives est-elle conforme aux nouvelles règles établies par le nouveau code de procédure civile et administrative notamment l’article 600 ? Nous pensons que non.
La première raison tient au fait que cet article 600 du CPCA a inclu expressément les jugement et arrêts des juridictions administratives susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée dans la définition des titres exécutoires .Aussi toute difficulté que pourrait rencontrer l’exécution de ces jugements doit être réglée dans le cadre de la procédure prévue pour tout titre exécutoire en l’occurrence l’application de la procédure de l’article 631 du même code qui reconnaît au seul président du tribunal de droit commun la compétence de trancher ce genre de litiges.Cette solution est d’autant plus logique que l’action en règlement des difficultés d’exécution d’un jugement administratif n’a pas pour but de modifier ce qui a été jugé mais simplement de sursoier provisoirement à la poursuite des opérations d’exécution dans l’attente de juger le fond du droit par la juridiction compétente.
La décision du Conseil d’Etat vise expressément l’article 633 du CPCA pour motiver l’annulation de l’ordonnance du tribunal administratif qui s’est déclaré incompétent alors que cet article pose le principe de la compétence du président du tribunal siégeant en tant que juge des référés ce qui sous entend qu’il s’agit bien du tribunal de droit commun sachant que devant le tribunal administratif le juge des référés n’est pas le président de cette juridiction mais la formation collégiale et ce en vertu de l’article 917 du CPCA.En visant le « président du tribunal » le législateur entend confier au juge du droit commun et non au au juge administratif le pouvoir de trancher les difficultés d’exécution.
On pourrait penser que le Conseil d’Etat a considéré que l’article 804 alinéa 8 du CPCA permet la consolidation de son interpetation puisqu’il en fait mention dans sa décision.A l’instar de plusieurs dispositions contenues dans le CPCA qui font polémique,cet article 804 énonce effectivement qu’en matière de difficulté d’exécution d’une décision rendue par la juridiction administrative, la compétence échoit au lieu du tribunal qui a rendu la décision.On l’aura compris, cette disposition traite de la compétence territoriale et c’est exactement le cas quisque cet article est inséré dans la section 2 intitulé « de la compétence territoriale ».
Si la volonté du législateur était de confier au juge administratif le jugement des difficultés d’exécution il l’aurait fait par une disposition expresse similaire à celle de l’article 631 du CPCA.En outre l’interprétation de l’article 804 en tant qu’il donne compétence au juge administratif de statuer sur les difficultés d’exécution poserait problème s’agissant des difficultés d’exécution d’un arrêt du Conseil d’Etat puisque cet article pose la règle de la compétence territoriale du « lieu du tribunal qui a rendu la décision ».L’article parle du « tribunal » sans mentionner le Conseil d’Etat.Peut-on supposer que dans cette hypothèse,c’est le Conseil d’Etat qui est compétent pour trancher la difficulté d’exécution de l’un de ses arrêts ? Cette solution n’est pas envisageable en l’absence d’une disposition expresse.Ce qui nous fait revenir au texte applicable en cette matière c’est à dire l’article 631 accouplé à l’article 600 qui donnent compétence au juge du droit commun.
En outre,le raisonnement juridique de cette décision du Conseil d’Etat a été malmené et perd de sa pertinence au vu des motifs ayant débouché sur la censure de l’ordonnance de référé qui lui a été déférée et le renvoi de l’affaire devant le même tribunal administratif pour y être jugée à nouveau .Tout d’abord le dispositif de cette décision est on ne peut plus ambiguë puisqu’ll « annule l’ordonnance de référé dont appel et statuant à nouveau déclare le tribunal administratif de Bouira compétent pour juger de la demande » sans autre précision.Il s’agit en fait d’une annulation avec renvoi devant le même tribunal pour que l’affaire soit jugé à nouveau.En outre , cette décision comporte une contradiction qui serait lourdement sanctionnée s’il s’agissait d’une décision émanant d’une juridiction inférieure.
La décision du Conseil d’Etat ayant pris soin de relever que l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Bouira dont appel ayant été rendue sur une action en difficulté d’exécution c'est-à-dire par une ordonnance qui n’est susceptible d’aucune voie de recours conformément à l’article 633 du CPCA ce qui est vrai, la solution juridique logique aurait été que le Conseil d’Etat prononce l’irrecevabilité de l’appel mais au contraire il jugea que l’appel est recevable ce qui constitue bien sûr contradictoire et une violation de l’article 633 du CPCA.
Maitre M.BRAHIMI
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