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Le rapport de la Cour des comptes de l’année 2020 : un état des lieux inquiétant et sans concession

mohamed brahimi Par Le 18/07/2021

Cour des comptes

En application des  dispositions de l’article 54 de l’ordonnance n° 95-20 du  17 juillet 1995 modifiée et complétée relative à la Cour des comptes ,et de l’article 66 du décret présidentiel n°95-377 du  20 novembre 1995 fixant le règlement intérieur de la Cour des comptes, le gendarme de la finance publique , la Cour des comptes ,  a rendu son rapport annuel de l’année 2020. Ce volumineux  rapport de plus de 500 pages  et d’une qualité et objectivité irréprochables  à l’instar d’ailleurs des précédents rapports,  expose une sélection d’observations  étonnantes et parfois ahurissantes sur la gestion des entités administratives contrôlées suivies de recommandations  et de mesures concrètes visant à améliorer l’utilisation des fonds publics et l’efficacité des services publics. Divisé en 5 parties,  le rapport  aborde  5 thèmes essentiels : 1-La gestion des opérations d’équipement inscrites au titre du programme sectoriel déconcentré (PSD) du ministère de l’intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire par les wilayas d’Alger, Boumerdes, Tlemcen et Djelfa, 2-  les structures de soutien à la formation et à l’éducation du ministère de l’éducation nationale, 3- Les programmes publics de création et de réhabilitation des zones industrielles et des zones d’activité, 4- Les recettes fiscales des collectivités locales et  les programmes d’équipement  d’assainissement et  de gestion des écoles primaires  dans certaines wilayas, et enfin  5- la gestion de certains établissements et entreprises publics.

Ce rapport de la Cour des comptes d’une objectivité déconcertante par rapport aux divers rapports de complaisance établis par d’autres institutions officielles met en relief   des incohérences  et des pratiques en marge de la loi ,   et relève  le manque de sérieux dans la gestion des différends programmes de développent. Un bémol  pourtant à la pertinences  et à l’intransigeance  de ce rapport: alors que le rapport égrène une multitude de violations de  la loi commises par certains secteurs étatiques dont certaines constituent des infractions pénales allant de la dilapidation des biens publics en passant par la violation des règles de passation de la commande publique , on n’a pas eu vent de poursuites pénales engagées à l’encontre de certains gestionnaires indélicats alors  même que la loi autorise la Cour des comptes à saisir le ministre de la justice aux fins d’engager ces poursuites.

Le contrôle à posteriori par la Cour des comptes de la  gestion des opérations d’équipement inscrites au titre du programme sectoriel déconcentré (PSD) du ministère de l’intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire par les wilayas d’Alger, Boumerdes, Tlemcen et Djelfa a laissé la Cour   dubitative concernant l’efficacité de la mise en œuvre de ce programme. Le contrôle d’un échantillon de 20 opérations d’équipement  d’une autorisation de programme globale de 26 milliards de DA, exécutées par quatre directions de l’administration locale des wilayas d’Alger, Boumerdes, Tlemcen et Djelfa durant la période 2010-2017,a  fait ressortir que la gestion de ces opérations est altérée par de nombreuses lacunes. Selon la Cour  , la programmation des opérations est caractérisée par une maturation insuffisante des projets inscrits en raison notamment d’une faible identification des besoins, des études incomplètes, des changements fréquents des sites d’implantation des projets, entrainant des réévaluations des coûts des projets et des retards dans leur achèvement.  Plus grave encore la Cour relève  un recours abusif au mode de gré à gré dans la passation des marchés, la conclusion d’avenants modifiant substantiellement l’économie du marché et l’allotissement des opérations d’équipement contrairement aux décisions d’individualisation induisant une disparité dans les prix pratiqués.

La Cour a signalé aussi des   changements  intempestifs du maître de l’ouvrage qui  interviennent à la suite de retards constatés dans le lancement des projets, ou en raison de carences dans leur contrôle et leur suivi ce qui a eu pour effet néfaste d’entraver  la bonne conduite des projets et qui a poussé  des  entreprises cocontractantes à se retirer  de l’exécution de certains contrats, ce qui a donné lieu à la relance de la procédure du choix du cocontractant sans manquer de se répercuter sur  les coûts et les délais, ainsi que sur la tenue des dossiers d’inscription et d’exécution de ces opérations d’équipement. La Cour a donné comme exemple  la wilaya d’Alger qui  a procédé au transfert de 81 opérations d’équipement gérées par la direction des équipements publics  à la direction de l’administration locale.

Les vérifications opérées par la Cour  laissent apparaitre l’absence d’une programmation cohérente répondant à des besoins suffisamment identifiés et fixant des objectifs chiffrés, ainsi que des échéanciers de leur réalisation. A titre d’exemple L’opération relative à l’étude, la réalisation et l’équipement du centre national de formation de personnels des collectivités locales de la wilaya de Tlemcen inscrite en 2008, pour une enveloppe  de 230 millions de DA  a connu 12 réévaluations ramenant son montant définitif, à la date du contrôle, à 2,641 milliards de DA.  Une  autre opération relative à la  réalisation et à l’équipement d’une villa d’hôte  dans la wilaya de Tlemcen inscrite en 2009  pour une enveloppe initiale de  200 millions de DA n’a démarré qu’en 2015 avec  un surcoût de 350 millions de DA.Il en est de même pour  L’opération relative à la réalisation d’un office central de lutte contre l’immigration irrégulière inscrite en 2006 qui n’a été finalise qu’en 2017 en raison des changements importants dans l’étude d’exécution ce qui a  entrainé une réévaluation du coût prévisionnel d’environ cinq   fois . 

En matière de commande publique , L’examen par la Cour des conditions de passation des marchés a fait apparaitre le recours excessif au mode de gré à gré   dans les wilayas d’Alger et de Tlemcen ,et ce alors que le  recours au gré à gré dans la passation des marchés est une pratique contraire aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Il est même sanctionné pénalement.  

Les structures de soutien spécialisées dans les différents domaines intéressant le  secteur sensible de l’éducation n’a pas échappé aux critiques  de la Cour des comptes .L’évaluation effectuée auprès de quatre   établissements à savoir, le centre national de la documentation pédagogique (CNDP), le centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de Tamazight (CNPLET), l’institut national de recherche en éducation (INRE) et l’office national de l’enseignement et de la formation à distance (ONEFD) a mis en évidence qu’en dépit des moyens mobilisés, les missions assignées à ces structures sont loin d’être remplies, et ce en raison de nombreux dysfonctionnements et carences liés à l’organisation, la gestion et leur suivi et qui ont affecté grandement leur efficacité. Les principaux facteurs handicapant l’accomplissement des missions de ces structures se résument  d’après la Cour en  l’absence d’un encadrement et d’un suivi rigoureux par la tutelle en vue d’une mise en conformité de leur fonctionnement avec les lois et règlements en vigueur, au défaut de mise en place des instruments de pilotage de ces structures , et à une organisation administrative souffrant de nombreuses carences dont les principales concernent l’absence de règlement intérieur pour la plupart des structures de soutien, le non-respect des organigrammes de certains établissements et le retard dans la création de centres de wilaya pour d’autres. Outre les facteurs suscités, la Cour a relevé des insuffisances dans la gestion des ressources humaines se traduisant par un taux de vacance élevé dans les postes budgétaires, un déficit en encadrement et l’absence d’une politique de formation du personnel, ainsi que des insuffisances dans la gestion des biens et équipements

Concernant  Le Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de Tamazight , la Cour a confirmé ce que nombre de militants de la cause amazigh soupçonnaient , c’est-à-dire un manque de volonté des pouvoirs publics dans la mise en application de la politique de promotion et de développement de la langue et culture amazigh. Ainsi la Cour a constaté que le Centre  peine à se mettre en place   en tant que structure nationale d’étude et de recherche. Les résultats du contrôle ont dévoilé que le Centre ne pouvait pas prendre en charge ses missions en l’absence des départements chargés de la recherche. Ce constat a été relevé lors d’un contrôle précédent, effectué en 2015, se rapportant à la période de 2007 à 2014. En réponse aux constats d’échec fait par la Cour des comptes ,le directeur du Centre a mis en cause les nombreuses contraintes  dont il dit s’être toujours plaint. Ainsi  le statut actuel  du Centre qui est un établissement public à caractère administratif lui interdit le recrutement de chercheurs bien que la recherche soit l’activité principale du Centre ce qui paradoxalement fait que 60% des postes budgétaires sont vacants.    les observations portées dans le  rapport  de la Cour dérivent en majorité de l’absence de moyens légaux pour le recrutement de chercheurs, bien que le centre ait été essentiellement créé pour faire de la recherche scientifique .Le directeur du   Centre  a fait aussi part de son impuissance en informant la Cour  qu’il a  proposé à la  tutelle les procédures nécessaires et adéquates même provisoires et de replâtrage   à entreprendre pour permettre au centre de faire de la recherche mais en vain.

Des observations de même nature ont été faites par  la Cour concernant  L'Institut national de recherche en éducation : Bien qu’ayant été créé en 1996 en tant qu'outil de mise en œuvre de la politique nationale de recherche pédagogique visant à améliorer le rendement de l'institution éducative et de la qualité de l'enseignement dispensé,  cet Institut  et Jusqu’à 2019 n’a pas mis en œuvre les nouvelles missions qui lui ont été assignées en sa qualité d’établissement public à caractère scientifique et technologique.Quant au Centre national des documents pédagogiques   la Cour a constaté un déficit flagrant de production de documents relatifs à l'activité pédagogique qui aurait dû  être  réalisée par les différents services du ministère de l'éducation que le responsable de ce Centre justifie  par la dotation budgétaire qui reste modeste et insignifiante au vu du nombre d’établissements.

La Cour des comptes s’est aussi penchée  sur les programmes publics de création et de réhabilitation des zones industrielles (ZI)  et des zones d’activité(ZA)  . Pour satisfaire la demande des investisseurs en foncier industriel et améliorer l’environnement immédiat de l’entreprise et sa  compétitivité, les pouvoirs publics ont lancé  à partir de l’année 1998  des programmes pour la réhabilitation des zones industrielles et des zones d’activités existantes, et la création de nouvelles zones industrielles . Le contrôle effectué  par la Cour des comptes  fait ressortir qu’en dépit des financements importants et de la facilitation des procédures administratives dont ils ont bénéficié, ces programmes n’ont pas eu les effets attendus. Ainsi Le programme  d’un montant global estimé à juin 2019  à plus de 46 milliards de DA et dont la réalisation a été confiée au ministère en charge de l’industrie n’a été concrétisé que partiellement, traduisant un taux d’exécution financière de 42% seulement . D’après la Cour , L’absence d’une définition de la consistance physique et financière du programme ainsi que la durée de sa réalisation, le défaut des instruments de pilotage ainsi que les insuffisances des procédures et modalités de sa mise en œuvre, ont largement impacté les délais, les coûts et la qualité des travaux et études réalisés.

Concernant le programme de création de 50 nouvelles zones industrielles   dont la réalisation a été confiée en 2011 à l’agence nationale d’intermédiation et de régulation foncière (EPIC-ANIREF), pour un coût global estimé  à plus de 290 milliards  de DA, la Cour a constaté que ce programme n’a  donné lieu à aucune concrétisation de zones industrielles à fin 2018, alors que sa réception est fixée à avril 2018. La Cour a relevé que L’exécution de ce programme a été confrontée également  à l’absence des outils de pilotage et des insuffisances dans l’encadrement et les procédures de sa mise en œuvre qui se sont traduites notamment, par des choix des sites en contradiction avec les critères retenus et une faible maitrise des procédures de leur obtention, des changements fréquents de la procédure de cadrage du programme et un processus de contractualisation des études et des aménagements mal défini.

La fiscalité locale qui a été un des volets soumis au contrôle de la Cour des comptes  fait ressortir des incohérences et  des situations pour le moins absurdes  et surréalistes. Alors que certains  impôts et taxes prévus par la loi  ont été créés au profit  direct ou indirect des  budgets locaux , il est fait état du  faible  rendement de la fiscalité locale des communes contrôlées au regard du gisement fiscal dont elles disposent. Le constat général qui se dégage des vérifications opérées par la Cour est le peu d’intérêt accordé par les responsables locaux à la mobilisation de la fiscalité locale qui relève de leurs prérogatives. Ceci s’est  traduit notamment par l’absence d’un recensement exhaustif et actualisé de leur potentiel fiscal à l’exemple du recensement des affiches et plaques professionnelles, des établissements destinés à accueillir les touristes ou visiteurs, et des salles des fêtes en vue d’une valorisation de l’assiette des taxes y afférentes  , par la tenue tardive des délibérations des assemblées populaires communales pour l’application de certaines taxes ou l’actualisation de leurs tarifs  , et par l’absence de rigueur dans l’application de certaines taxes à l’instar de la taxe sanitaire sur les viandes. En outre la Cour a relevé que  les trésoreries communales en charge du recouvrement des recettes à caractère local  ne sont pas suffisamment dotées en encadrement et en équipement et logiciels informatiques, et outillées en procédures et instruments juridiques, leur permettant d’accomplir les diligences requises et d’assurer,par la même, le meilleur niveau de recouvrement des droits et taxes communaux . Par ailleurs, s’agissant des impôts et taxes locaux gérés par les services fiscaux en collaboration avec les autres services de l’Etat, la Cour a relevé  un manque de coordination et d’échange d’informations entre ces services et les communes, impactant le rendement de certaines taxes, telles que la taxe foncière et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères .

Il est de notoriété publique que la fiscalité notamment la  fiscalité locale est une matière d’une extrême complexité et sa méconnaissance par les APC  explique les insuffisances dans la gestion et le recouvrement de certains droits et taxes communaux  .La  Cour a observé que  la plupart des communes contrôlées se contentent des déclarations effectuées à l’initiative des redevables, sans inciter les redevables récalcitrants à satisfaire leur obligation fiscale vis-à-vis de la collectivité locale.Plus grave encore , la Cour a constaté  que certaines communes ignorent  l’existence même  de certaines taxes instituées à leur seul profit.Ainsi en est-il de la taxe sur les viandes Instituée par les articles 446 à 468 du code des impôts indirects , du droit de fêtes et réjouissances   à caractère familial organisées   sur le territoire de la commune Institué par l'article 105 de l'ordonnance n°65-320 du 31 décembre 1965 portant loi de finances pour 1966,  la taxe spéciale sur les affiches et plaques professionnelles prévues par l'article 56 de la loi 99-11 du 23 décembre 1999 portant loi de finances pour 2000 ,ou  encore les redevances de l’occupation privative du domaine public  institué par la loi n°90-30 du 1er décembre 1990 portant loi domaniale,  

Si la Cour a relevé que des communes ont bien  procédé à l'instauration des tarifs d’occupation privative du domaine public  par voie de délibération, par contre elles ont ignoré les autres  formes d'occupation privative qui donnent lieu au paiement préalable d'une redevance. Il s'agit à titre d’exemple des droits relatifs aux interventions, occupations ou travaux sur la voirie, des droits de place dans les halles et marchés, les étalages des commerçants, les installations de kiosques, marquises, et commerces saisonniers, ainsi que les foires, la pose  de panneaux ou de dispositif publicitaire,au dépôt sur la voie de matériaux, de gravats, et autres objets, pouvant causer une gêne persistante aux usagers.  . A ce constat, la Cour ajoute  que,  par incompétence,  certaines délibérations communales ont précisé  d’une façon détaillée les cas d’occupation privative du domaine public au lieu de prévoir le principe général, ce qui a abouti à l’application restreinte des redevances aux cas prédéfinis, sans tenir compte des cas similaires. Par exemple, pour le droit d'occupation privative de la voirie, les communes précisent dans leurs délibérations qu’il concerne uniquement les terrasses de cafés, ce qui les a conduit à négliger les terrasses occupées par d’autres activités similaires telles que les restaurants, les magasins de glace ou le commerce saisonnier.

La Cour des comptes s’es aussi intéressé  au fonctionnement et la gestion de l’Office de promotion et de gestion immobilière (OPGI) d’Oran . L’appréciation par la Cour de la qualité de gestion de cet office  au titre de la période 2012 à 2017  a fait ressortir une inadéquation entre les objectifs à atteindre, représentant un plan de charges de plus de 63 000 logements à réaliser, auquel s’ajoute la réhabilitation du vieux bâti d’Oran, et les moyens mis en œuvre, notamment  en termes de capacité organisationnelle, et de ressources humaines. L’examen par la Cour de l’organisation de l’office a révélé des faiblesses dans le système de contrôle interne et les outils de pilotage et de suivi se traduisant notamment  par un système d’information inopérant, des structures de suivi et de supervision  insuffisamment organisées et dépourvues de moyens humains, une instabilité dans l’encadrement de l’office qui a touché  en particulier les chefs de département , et l’absence d’une évaluation des contrats de performance des cadres dirigeants.

C’est ainsi que la mise en œuvre des programmes d’habitat confiés à l’OPGI  d’Oran  est caractérisée notamment par  l’absence de maturation des projets induisant des délocalisations, des contentieux préjudiciables et des retards considérables dans leur réalisation , ainsi que des insuffisances dans la passation et l’exécution des marchés , impactant les coûts et les délais de réalisation des projets et rendant la situation financière de l’office vulnérable. Par ailleurs, il a été relevé une faible maîtrise des opérations de réhabilitation et de démolition du vieux bâti  confiées à l’office.

Concernant  la réhabilitation du vieux bâti  de la ville d’Oran   qui constitue un riche patrimoine immobilier et est le témoin  vivant de l’histoire de cette ville, la Cour s’est désolé de constater  qu’une partie de ce patrimoine connait un processus de dégradation et de vieillissement avancé  et que le paysage  de la ville montre des imperfections perceptibles à vue : bâtiments partiellement effondrés, terrains en friche, immeubles en façades ternies et mal entretenues, un manque de cohésion urbaine et architecturale, cours intérieures délaissées ou squattées, des bâtiments menaçant ruines dont les entrées sont placardées.Concernant les cause de La dégradation de ce  vieux bâti  la Cour a montrer du doigt  l’insuffisance des moyens financiers pour couvrir le coût important des travaux, la vétusté du bâti et la typologie de construction dont les procédés classiques datant du 19ème et 20ème siècle ,  et enfin L’absence d’une programmation ou de projection de la réhabilitation, d’entretien et de maintenance d’une façon continue par les différents acteurs et intervenants ; 

Un autre domaine a  été l’objet d’un contrôle par la Cour des comptes : il s’agit du secteur sensible de la santé.La Cour s’est particulièrement intéressée à la gestion du Centre national de pharmacovigilance et de matériovigilance et l’établissement public hospitalier (EPH) «Djilali Rahmouni» d’El Mouradia.

Le Centre national de pharmacovigilance et de matériovigilance (CNPM) est un établissement public à caractère administratif sous la tutelle du ministère de la santé  qui a pour mission la surveillance des réactions secondaires indésirables dûes à l’usage de médicaments mis sur le marché et des incidents ou risques d’incidents résultant de l’utilisation de dispositifs médicaux , et la réalisation de toute étude ou travaux concernant la sécurité d’emploi des médicaments et des dispositifs médicaux. Le contrôle effectué par la Cour des comptes portant sur la gestion des moyens humains et financiers du Centre au titre de la période 2014 à 2018, ainsi que le niveau de prise en charge des missions qui lui sont dévolues, a révélé qu’en dépit des résultats enregistrés, notamment en termes d’évolution du nombre de déclarations, le Centre est loin d’assurer son rôle avec efficacité.

Ainsi, le réseau national de pharmacovigilance et de matériovigilance permettant d’assurer la collecte d’informations relatives aux effets indésirables et incidents liés à l’utilisation des produits pharmaceutiques et dont les actions sont animées et coordonnées par le Centre, n’est pas suffisamment organisé, d’où un faible signalement, notamment de la part des professionnels du secteur privé (praticiens, officines, fabricants, laboratoires, etc.). En ce qui concerne le traitement des signalements qui vise la prise de décisions quant à la conduite à tenir vis-à-vis des effets indésirables et incidents constatés, il est relevé que les études et enquêtes entreprises sont souvent confrontées à de nombreuses contraintes et insuffisances liées essentiellement à l’organisation, aux ressources humaines et aux moyens logistiques. Ceci a conduit à des enquêtes sans déplacement au niveau des établissements dans lesquels les effets indésirables ou les incidents ont été constatés et, parfois, menées en l’absence d’échantillons, et également à des enquêtes non parachevées et des requêtes non traitées. Autant le dire crûment  il s’agit d’enquêtes bâclées alors qu’il s’agit de la santé des citoyens.   

L’explication donnée par le directeur de l’établissement est que le comité ad hoc ne se réunit que dans les cas où l’effet est très grave, voire mortel ou qu’il est d’une très grande fréquence. Ce comité ne fait pas office de comité d’experts tel que souhaité par le directeur du Centre et exigé par l’OMS qui édicte l’existence d’un comité consultatif national des effets indésirables de médicaments ou d’un comité consultatif de pharmacovigilance ou encore d’un comité d’experts en mesure de fournir des conseils sur la sécurité des médicaments . Le contrôle de la Cour a relevé que la constitution et les modalités de fonctionnement de ce comité ne sont pas encadrées par une procédure formalisée lui permettant de statuer clairement sur le rapport bénéfice/risque. De plus sa prise de décision est assez lente, ses avis communiqués à la direction générale de la pharmacie du ministère de tutelle ne sont pas souvent tranchants quant à la conduite à tenir vis-à-vis des cas de pharmacovigilance et ne sont pas suivis en vue de s’assurer de leur exécution.

La Cour a relevé que certaines enquêtes réalisées par le comité ne sont pas assorties de décisions claires qui peuvent constituer une réponse aux requérants. La Cour a donné comme exemple  les réclamations émises en  février 2014 par certains  établissements parmi lesquels l’EPH Ain-Taya, le CHU Béni-Messous et l’Hôpital central de l’Armée au sujet du médicament « capécitabine 500 mg (capémax)  dont l’utilisation a donné lieu à des effets indésirables chez les malades.Si les résultats des enquêtes communiqués ont donné lieu à l’abandon de l’utilisation de ce médicament ,par contre , ce qui est très grave et irresponsable ,  le Centre n’a donné aucun  éclaircissements sur les causes de ces effets ou proposer des actions correctives comme le prévoit sa mission principale. Plus grave encore , la Cour a constaté qu’ aucun dispositif n’a été mis en place  pour s’assurer que le retrait du médicament en cause a été effectivement appliqué par l’ensemble des entités publiques ou privées activant dans la distribution des médicaments  .Entre autres conséquences de ces graves négligences qui s’apparentent  aux délits de mise en danger d’autrui et de non assistance à personne en danger , est que les malades impactés par les effets néfastes de la prise du médicament retiré du marché  n’ont pas été informés et n’ont  fait l’objet d’aucun  suivi médical et ont été volontairement laissés dans  l’ignorance totale des dangers encourus  ainsi que de leur  droit à réparation en cas de préjudice avéré .

Le contrôle par la Cour des comptes de l’établissement public hospitalier (EPH) «Djilali Rahmouni» d’El Mouradia qui a pour mission principale la prise en charge  des besoins de la population notamment en matière de soins curatifs, de diagnostic, de réadaptation médicale et d’hospitalisation , a fait apparaitre  une utilisation insuffisante  des moyens mobilisés et ce  en raison notamment de carences liées à l’organisation et au contrôle interne, à la gestion peu performante de ses ressources humaines et à une faible maitrise de sa gestion financière. La Cour a aussi constaté une baisse de l’activité du service de la chirurgie générale compte tenu de la vétusté de certains équipements médicaux, du manque de dispositifs médicaux et de la lenteur dans la prise en charge des pannes des équipements médicaux. S’agissant du service de gastro-entérologie celui-ci est marqué d’après  le constat fait par la  Cour  en particulier, par la faible performance de l’unité endoscopie due principalement aux pannes récurrentes du matériel endoscopique, suite au non respect des instructions d’utilisation et de désinfection du matériel. Il en est de même pour les services médicaux de soutien, notamment le laboratoire central et la pharmacie centrale, dont l’approvisionnement, respectivement en matière de consommables et réactifs et en produits pharmaceutiques , est loin d’être maitrisé.

Que peut-on dire de ce constat alarmant et alarmiste fait par une institution étatique qu’on ne peut suspecter de vouloir discréditer les pouvoirs publics. Dans ce rapport de la Cour des comptes pour l’année 2020 , s’il ne s’agit  que du contrôle de la gestion  de  certains secteurs et de certaines collectivités locales , il est par contre évident que les constations faites peuvent être généralisées à l’ensemble des secteurs étatiques du territoire national et ce pour deux raisons : la première est que les entités contrôlées constituent un échantillon au sens où le contrôle a concerné  aussi bien de grandes métropoles   (Alger , Oran, Annaba)que des collectivités territoriales de moyenne envergure   ( Tlemcen, Boumerdes ,Bouira, Djelfa).Si dans les plus grandes wilayas censées posséder des moyens matériels et humains conséquents  la  Cour a révélé de graves insuffisances, il est évident que dans les autres wilayas la situation est encore plus préoccupante . En second lieu , les carences et violations de la loi relevées par la Cour des comptes dans son rapport de 2020 ont été déjà relevées dans les contrôles précédents ayant  fait l’objet de rapports annuels dont certains remontent  à l’année 1995.Ainsi par exemple ,  dans son rapport pour l’année  1996-1997 , la Cour a  tiré la sonnette d’alarme sur la dilapidation du foncier dans les wilaya de Tipaza,Annaba et Oran , qui d’après les propres termes de la Cour «  a pris une proportion inquiétante » .Malgré ce «  coup de gueule  » de la Cour des comptes , on sait ce qui et advenu du foncier au jour d’aujourd’hui .Dans ce même rapport de 1996 ,  la Cour avait déjà  condamné le recours au gré à gré dans la passation des marchés publics par certaines wilayas ,  et c’est cette même violation de la loi qui a été relevé dans le rapport pour l’année 2020.Il en est de même pour tous les autres rapports postérieurs   à l’année 1996 où la Cour n’a eu de cesse  de mettre en relief les indélicatesses et les incompétences des responsables  des entités contrôlées.

On peut donc légitimement se poser la question sur le comment et le pourquoi de la   persistance de ces fléaux qui gangrènent  le tissu économique et social  national. Il n’est pas faux de dire que malheureusement  en  haut lieu  il n’est tenu aucun compte des rapports établis par la Cour des comptes qui pourtant sont transmis de par les termes de la loi  aux plus hautes sphères de l’Etat Il s’agit en définitive d’un manque de volonté des pouvpioirs publics à appliquer les recommandations de cette Cour malgré leur pertinence. L’explication à la résistance au changement du mode de gestion suggéré par les différents rapports de la Cour des comptes tient sans doute aussi à la doctrine économique à laquelle s’accroche l’Etat algérien notamment dans le refus maladif d’opter enfin pour une vraie économie de marché ouverte sur le  monde dont la condition première  et préalable est l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce et aux différentes organisations économiques et commerciales  régionales gages de transparence dans la conduite des affaires de l’Etat.

Il est aussi évident que ce sursaut économique ne peut s’effectuer que par un changement radical de la doctrine politique qui peine à se concretiser.Tout autre option ne pourra être perçue que comme un replâtrage et une perte de temps. C’est là en définitive le message que veut transmettre  la Cour des comptes qui ,vaille que vaille  , et depuis plus de vingt ans et dans la limite de ses prérogatives constitutionnelles,  essaye  d’attirer l’attention des  plus hautes autorités de l’Etat sur l’urgence  de lancer de vraies reformes y compris politiques  seules à même de mettre un terme à l‘incompétence mortifère , à la gabegie et à la dilapidation du bien public et mettre le pays dans la voie du développement et de la bonne gouvernance.  

Maitre M.BRAHIMI

Avocat à la cour de Bouira