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Le contentieux des marchés publics à la lumière de la jurisprudence du Conseil d’Etat

mohamed brahimi Par Le 19/07/2018

Image marches publics

Les trois dernières publications  du Conseil d’Etat «  La Revue du Conseil d’Etat » portant les n° 11,12 et 13 contiennent d’intéressantes décisions en matière de contentieux des marchés publics. Les 15 arrêts publiés règlent certaines questions qui posaient des problèmes d’interprétation notamment au niveau de  la compétence judiciaire en matière de marchés publics conclus par les entreprises publics à caractère industriel et commercial et les effets de la résiliation du marché public.Bien que ces arrêts aient été rendus sous l’ancienne législation c'est-à-dire avant la promulgation du décret présidentiel  n°  15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et des délégations de service public, les principes posés par cette jurisprudence du Conseil d’Etat restent applicables.

 1- Compétence

Concernant la juridiction compétente en matière de marchés publics  conclus par les établissement publics à caractère industriel et commercial et les entreprises publiques économiques d’une façon générale ,le Conseil d’Etat ne s’est jamais départi de sa jurisprudence  confortée d’ailleurs par une disposition législative expresse en l’occurrence l’article  2 du décret présidentiel n°02-250 du 24 juillet 2002  abrogé et repris dans les même termes par l’article 2 du décret présidentiel  n° 10-236 du 07octobre 2010 lui-même abrogé et repris   par l’article 6  du décret présidentiel n°  15-247 du 16 septembre 2015 en vigueur .En vertu de cette disposition, les établissement publics à caractère industriel et commercial et les entreprises publique économiques sont soumis à la législation qui régit les marchés publics  lorsqu’ils sont chargés  d’une opération financée totalement ou partiellement sur concours temporaire ou définitif de l’Etat.

Dan son  arrêt le plus récent publié dans sa revue annuelle, le Conseil d’Etat  a confirmé le principe  que le juge administratif est seul compétent pour statuer sur les litiges en rapport avec l’exécution d’un marché public conclu par  les établissement publics à caractère industriel et commercial et financé totalement ou partiellement sur le budget de l’Etat .A ce titre, le juge administrative  est donc compétent même en l’absence d’une personne de droit public  du moment que la  source du financement est l’Etat ( CE, 09 janv.2014,Arrêt n° 87067 et 872416,Rev.CE 2015,n° 13,p.76,).

Ce principe a été aussi confirmé par le Tribunal des conflits.Ainsi et suite à un conflit négatif entre une juridiction administratif et une juridiction de droit commun , ce tribunal a jugé que seuls les litiges portant sur les marchés publics et conclus par les établissement publics à caractère industriel et commercial dont l’opération est  financée totalement ou partiellement sur le budget e l’Etat sont de la compétence de la juridiction administrative ( TC 13 nov.2007,arrêt n° 42, ,Rev.CE 2009,n° 9,p.147).A contrario si l’opération objet du marché public conclu par un établissement public à caractère industriel et commercial n’est pas financée totalement ou partiellement sur concours temporaire ou définitif de l’Etat,  par exemple un contrat conclu entre la société publique Sonatrach et  et une société privée portant sur la la création d’un espace vert , c’est la juridiction de droit commun   qui est compétente c’est à dire la section commerciale du tribunal ( TC 12 mai 2014,arrêt n° 161 ,Rev .C.suprême 2014,N°2,p. 471),

En outre le  législateur algérien ayant opté pour le critère organique pour fixer la compétence du juge administratif ( art.800 du code de procédure civile et administrative),c’est le juge administratif qui est compétent dans toute action où est partie l’Etat ,la wilaya, la commune ou un établissement public à caractère administratif et ce quel que soit la nature du contrat conclu avec un tiers.Ainsi c’est le juge administratif qui est compétent pour statuer sur un litige entre une commune et un particulier suite au refus de paiement des prestations fournies à cette commune en exécution d’un bon de commande (TC 09 déc.2007,Arrêt n° 45,Rev.CE 2009,n° 9,p.150).Mais en tout étét de cause,s’agissant de prestations exécutées sur un simple bon de commande et en vertu d’une relation contractuelle ne dépassant pas  le seuil obligatoire imposant le recours au marché public ,la législation sur les marchés publics n’est pas applicable (CE 9 janv.2014,arrêt n° 78708,Rev.CE 2015,n° 13,p.73 ; CE 21 sept.2004,arrêt n° 15835,Rev.CE 2005,n° 7,p.).

2- Le recours hiérarchique préalable

Sous l’ancienne législation notamment l’article 152 de l’ordonnance  n° 67-90  du 17 juin 1967 portant code des marchés publics , le cocontractant devait avant toute action en justice saisir un comité consultatif qui était constitué dans chaque département ministeriel.Ce comité avait pour mission  de rechercher une solution amiable.Ce recours devant ce comité étant obligatoire suivant les termes de l’article 152 , l’ancienne chambre administratrice de la Cour suprême avait jugé que cette formalité était d’ordre public  (Ch.adm.CS 25 déc. 1982,arrêt n° 32002,Rev.de magistrats 1983,n°1,p.191 ; 09 nov. 1985,,Arrêt n°43731  ,Rev.judiciare, 1990,n° 2,p.175,).

La formalité de saisine de comité consultation avant toute action en justice a été ultérieurement abrogé par le décret n° 82-145 du 10 avril 1982 portant réglementation des marchés de l’operateur public. Cette formalité a été remplacée par une autre procédure préalable à l’action judicaire contenue dans le décret  n° 91-434 du 9 novembre 1991 portant réglementation des marchés publics. En vertu de l’article 150 de ce décret   , le cocontractant doit avant toute action en justice introduire un recours hiérarchique auprès du ministre, du wali ou du président de l’APC  selon la nature des dépenses à engager Ce recours donnera lieu à une décision de ces autorités dans les 65 jours de son introduction.La décision prise était exécutoire nonobstant l’absence de visa de l’organe de contrôle externe à priori. Cette procédure préalable a été abrogée par le décret présidentiel n°02-250 du 05 décembre 2013 qui dans article 102 dispose que :  « Le partenaire cocontractant peut introduire, avant toute action en justice, un recours auprès de la commission nationale des marchés, qui donne lieu dans les trente jours à compter de son introduction à une décision ».Ce recours est donc facultatif et non pas obligatoire  (CE 5 déc. 2013, arrêt n° 78480, Rev.CE 2013 n°11p.102).

Le nouveau décret présidentiel n° 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et des délégations de service public institue un nouveau dispositif de règlement amiable des litiges. Conformément à l’article 154  le service contractant doit  rechercher une solution amiable aux litiges nés de l’exécution d’un marché public. En cas de désaccord entre le service contractant et le cocontractant sur les voies et moyens de régler le litige, ce dernier  est soumis à l’examen d’un comité de règlement amiable. Ce comité est institué selon la nature du marché public  auprès de chaque ministre, responsable d’institution publique ou wali. Le comité est saisi soit par le partenaire cocontractant soit par le service contractan

La procédure suivi devant ce comité est la suivante Le requérant adresse au secrétariat du comité, par lettre recommandée, avec accusé de réception, un rapport circonstancié accompagné par tout document justificatif. Il peut également le déposer contre accusé de réception.

La partie adverse est invitée par le président du comité par lettre recommandée avec accusé de réception à donner son avis sur le litige. Elle est tenue de communiquer son

avis au président du comité par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai maximum de dix (10) jours, à compter de la date de sa saisine. L.examen du litige donne lieu à un avis motivé, dans un délai maximum de trente (30) jours, à compter de la date de la réponse de la partie adverse. Le comité peut auditionner les parties au litige et/ou leur demander de lui communiquer tout document ou information susceptible de l’éclairer dans ses travaux. Les avis du comité sont pris à la majorité des voix de ses membres. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante. L’avis du comité est notifié aux parties au litige par envoi recommandé avec accusé de réception. Une copie de cet avis est transmise à l’autorité de régulation des marchés publics et des délégations de service public instituée  auprès du ministre chargé des finances  et dotée de l’autonomie de gestion . Le service contractant notifie sa décision sur l’avis de la commission au partenaire cocontractant dans un délai maximum de huit (8) jours à compter de sa date de notification, par lettre recommandée avec accusé de réception.

Ce nouveau dispositif de règlement amiable des litiges est-il facultatif come c’était le cas dans la législation antérieure obligatoire. ?Contrairement à l’article 152 de l’ordonnance  n° 67-90  du 17 juin 1967 portant code des marchés publics qui disposait expressément que la procédure devant le comité consultatif chargé de rechercher une solution amiable aux contestations relatives aux archés publics  « est un préalable obligatoire à toute action contentieuse »,le décret présidentiel du 16 septembre 2015 ne contient pas une telle disposition.   L’article 154 alinéa 4  de ce décret présidentiel dispose expressément que le service contractant doit prévoir dans le cahier des charges, le recours au  dispositif de règlement à l’amiable des  avant toute action en justice. Cette formulation implique que ce dispositif n’est pas d’ordre public    mais la partie qui a intérêt doit  soulever la question  devant le juge mais à la condition que le recours préalable à ce dispositif soit expressément énoncé dans la cahier de charge. A défaut d’une telle clause , la juridiction peut statuer sur le litige même en l’absence de saisine préalable du comité consultatif. Le Conseil d’Etat n’a pas encore statué sur cette question par un arrêt publié  dans sa revue annuel ou sur son site internet.

3- Les contrats exclus du champ d’application du décret

   Les dispositions du décret présidentiel   n° 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et des délégations de service public sont applicables exclusivement aux marchés publics  objet des dépenses de l’Etat, des collectivités territoriales , des établissements publics à caractère administratif  et des établissements publics soumis à la législation régissant les activités commerciales, lorsque ceux-ci sont chargés de la réalisation d’une opération financée totalement ou partiellement sur concours temporaire ou définitif de l’Etat ou des collectivités territoriales  ( article 6 ).

Par contre et en application de l’article 7 du même décret présidentiel, échappent   à la réglementation des marchés publics les contrats :

- passés par les institutions et les administrations publiques, et les établissements publics à caractère administratif entre eux ;

- passés avec les établissements publics soumis à la législation régissant  les activités commerciales lorsqu’ils exercent

une activité qui n’est pas soumise à la concurrence ;

- de maîtrise d’ouvrage déléguée ;

- d’acquisition ou de location de terrains ou de biens

immobiliers ;

- passés avec la Banque d’Algérie ;

-passés en vertu des procédures des organisations et

des institutions internationales ou en vertu d’accords

internationaux, lorsque cela est requis ;

- relatifs aux prestations de service de conciliation et

D’arbitrage ;

- passés avec des avocats pour des prestations d’assistance et de représentation ;

- passés avec une centrale d’achat  agissant pour le compte des services contractants.

A ces contrats il faut ajouter les contrats conclus en vertu  d’un simple bon de commande. Ainsi le Conseil d’Etat a jugé que le contrat de fournitures conclu entre un hôpital public et un cocontractant sur la base d’un simple bon de commande ne relève pas des dispositions applicables aux marchés publics (  CE 09 janv. 2014,,arrêt n° 78708,Rev.CE 2015 ,n°13, p.73).Cet arrêt est un rappel d’une antécédente jurisprudence selon laquelle  les dispositions du décret du 9 novembre 1991 portant réglementation des marches publics  ne sont applicables qu’aux contrats de marchés publics  et non pas aux travaux effectués en vertu d’un bon de commande  dont le montant est inferieur au minimum fixé pour la conclusion d’un contrat de marché public    (  CE 21 sept. 2004,,arrêt n° 15885,Rev.CE 2005, n°7 ,p.77)

4-Le contentieux portant sur le règlement financier du marché  

Très souvent les litiges en rapport avec l’exécution d’un marché public ont trait à la question du règlement financier du marché. Il peut s’agir du refus du service contractant d’honorer une situation ou une facture pour une raison tenant soit à la non exécution d’une des clauses du marché soit à la mauvaise exécution de l’opération objet du marché. Il peut aussi s’agir d’une résiliation pure et simple du marchés par le service contractant avec refus d’honorer les prestations effectuées et rétention de la caution de garantie.Le Conseil d’Etat a rendu public  plusieurs décisions qui ont statué sur ces question.

4-1 Le décompte général et définitif

Le décompte général et définitif a pour vocation de clore l’exécution juridique et financière du marché. Il fixe les droits à paiement des parties, détermine le droit à intérêts moratoires et le point de départ du délai de contestation. Il permet donc de régler définitivement le solde du marché car il fixe de façon irrévocable les droits et obligations financières des parties. La jurisprudence du Conseil d’Etat sur la question est constante. Dans un arrêt du 15avril 2003 le Conseil d’Etat a jugé que le   décompte général et définitif ( DGD) constitue l’ultime décompte qui fixe et le prix définitif du marché et les travaux effectués et les modifications qui y ont été apportés et arrête le solde restants au profit du cocontractant. Il résulte de cette règle qu’après la signature du DGD par les parties  il est mis fin à toute contestation  de sorte que toute réclamation ultérieure est non recevable (CE 15 avril 2003,,arrêt n° 8072,Rev.CE 2005, n°7 ,p.70).

Dans un autre arrêt rendu le 21 novembre 2013 le Conseil d’Etat a jugé que du moment que toutes les  parties au marché public ont signé le DGD ,c’est ce document qui tient lieu de preuve irréfutable quant aux travaux réalisés (CE 21 nov.2103,,arrêt n° 77577,Rev.CE 2013 ,,n°11 ,p.80).Même dans l’hypothèse où le marché public  initial comportait une clause prohibant  la modification ou l’actualisation des prix  convenus, cette clause sera nulle et non avenu si le DGD signé par toutes les parties  mentionne que des travaux supplémentaires ont été exécutés ou que les prix initiaux ont été modifiés et par conséquent le service contractant est tenu  de procéder au mandatement du solde fixé dans ce DGD (CE 05 déc. 2013,,arrêt n° 77702,Rev.CE 2013 ,n°11 ,p.89).

4-2 Travaux complémentaires

Pour des motifs divers l’exécution du  marché initial notamment le marché de travaux public peut nécessiter la réalisation de travaux  ou prestations complémentaires non prévus .Dans ce cas il est fait recours à l’avenant  aux conditions  fixés par les articles 136 et suivant   du décret présidentiel   n° 15-247 du 16 septembre 2015  .L’article 136 alinéa 1   définit l’avenant comme étant un    document contractuel accessoire au marché qui est conclu lorsqu’il a pour objet l’augmentation ou la diminution des prestations et/ou la modification d’une ou de plusieurs clauses contractuelles du marché. Si des travaux complémentaires ont été réalisés en vertu d’un avenant en bonne et du forme, les prix y afférents doivent être payés par le service contractant .Quid des travaux complémentaires réalisés en l’absence d’un avenant ou sans l’accord préalable du service contractant ?

Le principe est que les travaux complémentaires ne peuvent être  réalisés qu’en vertu d’un avenant conclu dans les formes fixés par du décret présidentiel     du 16 septembre 2015    ou exceptionnellement  en vertu  d’un ordre de service ordonnant ces travaux .Ces travaux doivent d’abord entrer  dans l’objet global du marché et ne pas dépasser le taux de 10℅ . En outre sauf rares exceptions , l’avenant ne peut être conclu et soumis à l’organe de contrôle externe des marchés compétent que dans la limite des délais contractuels d’exécution.

Le Conseil d’Etat  applique avec une certaine largesse ces règles  puisque même en l’absence d’un avenant il a jugé que le service contractant est tenu de payer les travaux complémentaires réalisés du moment que ces travaux ont été mentionnés dans le procès verbal de réception définitive  ou dans le DGD (CE 05 déc. 2013,,arrêt n° 77702,Rev.CE 2013 ,n°11 ,p.89). .En somme pour le Conseil d’Etat tout document signé par les parties au marché public mentionnant la réalisation de travaux complémentaires  rend exigible le montant  de ces travaux nonobstant l’inexistence d’un avenant.Il a aussi  jugé  que le service contactant doit payer les travaux complémentaires réalisés  même en l’absence d’un ordre de servie du service contractant du moment que ces travaux ont été rendus nécessaires  pour  la bonne exécution du marché public  et que ces travaux  ont été réalisés  suivants les règles établies (CE 12 juil. 2005,,arrêt n° 22350,Rev.CE 2005 ,n°7 ,p.92).Bien que la loi interdit la conclusion d’un avenant  hors des délais contractuels d’exécution, le Conseil d’Etat refuse de sanctionner le cocontractant  et de considérer cet avenant comme nul et non avenant et ce au motif  que  l’avenant signé par les parties constitue un contrat et règle la situation  des travaux réalisés dans et hors les délais du marché (CE 05 21 nov.2013,,arrêt n° 78206,Rev.CE 2013, n°11 ,p.93).Bien plus il a jugé qu’en présence d’une relation contractuelle reconnue par le service contractant  en vertu  d’un ordre de service ,ce dernier doit payer les travaux réalisés  même en l’absence d’un marché public signé par les parties (CE 12 javier 2012,,arrêt n° 64983,Rev.CE 2014 ,n°12 ,p.111

Ces arrêts du Conseil d’Etat ont été rendus en application de l’ancienne législation notamment le décret présidentiel  24 juillet 2002  .Le  décret présidentiel du  16 septembre 2015     qui comme nous l’avons dit a instauré un dispositif un peu différend concernant l’avenant.Le  service contractant peut avant la finalisation  de l’avenant  émettre des ordres de service ordonnant les travaux ou prestations complémentaires ou supplémentaires. En vertu de l’article  136 alinéa 6   , les prestations qui ne sont pas confiées par ordre de service ne peuvent faire l’objet d’une régularisation par avenant.Une telle disposition remettra-t-elle en cause   la jurisprudence antérieure du  Conseil d’Etat ?Rien n’est moins sûr car le cocontractant peut toujours exciper de l’urgence des travaux complémentaires réalisés et de l’accord tacite du service contractant mais encore faut-il prouver le caractère urgent de ces travaux et l’accord tacite. En outre le législateur ayant facilité la procédure d’exécution des travaux et prestations complémentaires  par le recours aux ordres de service dans l’attente de la finalisation de l’avenatnt,il serait difficile au cocontractant de justifier devant le juge l’exécution de travaux non prévus au marché public sans ordre de service émanant du service contractant.

4-3 Les cautions de garantie

En application de l’article 124 du décret présidentiel 16 septembre 2015 ,le service contractant doit veiller à ce que soient réunies les garanties nécessaires permettant les meilleures conditions de choix de ses partenaires et/ou les meilleures conditions d’exécution du marché. A cet effet la loi prévoit diverses garanties. Pour les marchés publics de travaux et de fournitures d’importance,  les soumissionnaires doivent présenter une caution de soumission supérieure à un pour cent (1 %) du montant de l’offre. La caution de soumission des entreprises de droit algérien est émise par une banque de droit algérien ou la caisse de garantie des marchés publics.Quant à la  caution de soumission des soumissionnaires étrangers elle est émise par une banque de droit algérien, couverte par une contre garantie émise par une banque étrangère de premier ordre. Si le soumissionnaire n’est pas retenu ,la caution de soumission lui est restitué.. La caution de soumission de l’attributaire du marché public est libérée après la mise en place de la caution de bonne exécution.

Pour les les marchés publics qui dépassent un certains seuil  et dont  le règlement financier s’opère par versements d’avances,  ces dernières ne peuvent être versées que si le cocontractant a préalablement présenté une caution de restitution d’avances d’égale valeur, émise par une banque de droit algérien ou la caisse de garantie des marchés publics, pour les soumissionnaires nationaux.Outre cette caution de restitution d’avance , le partenaire cocontractant est aussi  tenu , sauf dérogation légale ou contractuelle, de fournir une caution de bonne exécution du marché. Cette   caution de bonne exécution doit être constituée au plus tard à la date à laquelle le partenaire cocontractant remet la première demande d’acompte. Si un délai de garantie est prévu dans le marché, la caution de bonne exécution est transformée caution de garantie  à la réception provisoire. La caution de garantie et les retenues de garantie doivent être totalement restituées dans un délai d’un mois à compter de la date de réception définitive du marché.

En application de ces dispositions  relatives aux garanties qui étaient aussi prévues dans l’ancienne législation , le Conseil d’Etat a jugé que conformément aux anciens articles 99,84,85,87 et 88 du décret présidentiel du  24 juillet 2002  ( les articles 152,130,131,133 et 134 du    décret présidentiel du  16 septembre 2015  actuellement en vigueur) le service contractant ne peut se voir opposer la résiliation du marché lors de la mise en œuvre, par ses soins, des clauses contractuelles de garanties et des poursuites tendant à la réparation du préjudice qu’il a subi par la faute de son cocontractant et d’autre part  que la caution de bonne exécution est transformée en caution de garanti et que cette dernière n’est restituée qu’à la réception définitif des travaux   sur présentation du PV  de réception (CE 13 déc. 2012,arrêt n° 72357,Rev.CE 2014 , n°12 ,p.114 ; 21 nov. 2013,arrêt n° 77577,Rev.CE 2013 ,n°11 ,p.80).Dans le même sens , il a jugé que la non exécution des travaux convenus entraine la non restitution de la caution de garantie qui  sera retenue par le service contactant en tant que contrepartie à la résiliation du marché  au préjudice du cocontractant (CE 21 nov.2013,arrêt n° 77626,Rev.CE 2013 ,n°11 ,p.85 ).Par contre si l’exécution du marché a été réalisé aux conditions convenues la main levée sur la caution de garantie doit être effectuée à la fin des travaux   dès présentation du procès-verbal de réception définitif ( arrêt du 5 décembre 2013sus-visé)

4-4 -La résiliation du marché public

Ce sont les articles 149 à 151  du décret présidentiel du 16 septembre 2015 qui organisent la procédure de résiliation  du marché public. La personne publique  contractante dispose dans tous les cas de figure du droit de résilier le marché soit au motif  de la non exécution du cocontractant de ses obligations contractuelles soit  pour un motif d’intérêt general.Les effets des deux résiliations sont naturellement différents.

 Lorsqu’elle est justifiée par un motif d’intérêt général, le service contractant peut procéder à une résiliation unilatérale du marché public, même sans faute du partenaire cocontractant. Cette résiliation peut être motive par exemple par des difficultés techniques apparues lors de l’exécution du marché ayant entrainé l’abandon du projet.Dans ce cas il est évident que le cocontractant a droit à des dédommagements qui doivent couvrir la totalité du dommage subi mais sans que cela n’aboutisse à un enrichissement indu.Dans un ancien arrêt de la chambre administrative de la cour d’Alger  il a été jugé que :« La résiliation d’un contrat par l’administration même si elle a été faite dans l’intérêt général ,comporte en contrepartie le droit du contractant à une indemnité qui comprend la prise en considération de tous les avantages que le cocontractant aurait tirés de l’exécution du contrat jusqu’à l’expiration de son terme  » (Cour d’Alger,8 nov. 1967,Khelif c/commune de Sidi Aissa et préfet de Médéa,Annuaire de la justice,1966/1967,p.294)

La résiliation du marché public peut aussi être contractuelle lorsqu’elle est motivée par des circonstances indépendantes de la volonté du partenaire cocontractant, et ce dans les conditions expressément prévues à cet effet dans le contrat

En tout état de cause la personne publique peut toujours résilier le marché unilatéralement et toute clause contraire doit être réputé nulle et non avenue. Pour le Conseil d’Etat , le marché public étant un contrat consensuel qui peut être résilié consensuellement ou unilatéralement par chacune des parties on ne peut obliger l’autre partie à rester au contrat malgré sa volonté de se retirer. De ce principe la Conseil d’Etat a tiré la conséquence que d’une part l’action portée par le titulaire du marché public devant la juridiction administrative et tentant à l’annulation de la décision portant résiliation unilatérale du marché public  sera considéré comme non fondée et le demandeur débouté de son action (CE 6   fév. 2014 ,arrêt n° 80407,Rev.CE 2015 ,n°13 ,p.88) et que d’autre part ,la décision de résiliation du marché ne peut faire l’objet d’un recours en annulation et que seule une action de plein contentieux tendant à une indemnisation est recevable (CE 12 janvier 2012,arrêt n° 63683,Rev.CE 2014, n°12 ,p.108 ;6 fév. 2014, arrêt n° 78670,Rev.CE 2105 ,n°13 ,p.84).Dans  cette hypothèse si la résiliation unilatérale du marché a causé un préjudice au titulaire du marché, ce dernier aura droit à des dédommagements.

Très souvent la résiliation intervient suite à la non exécution par le cocontractant de ses obligations contractuelles. Cette résiliation doit obéir au respect de la procédure prévue par la loi.Le titulaire du marché public doit d’abord être mis en demeure par le service contractant d’avoir à remplir ses engagements contractuels dans un délai déterminé. Cette mise en demeure doit être établie dans les formes prévues par l’arrêt du ministre des finances du 28 mars 2011. Ce n’est qu’après le refus du titulaire du marché  de remédier à la carence  qui lui est imputable dans le délai fixé dans la mise en demeure que la décision de résiliation est prise. Il existe plusieurs hypothèses  dans lesquelles le service contractant décide de résilier le marché publique pour motif de non exécution du cocontractant de ses obligations contractuelles

La résiliation du marché sera simple ou aux frais et risques du cocontractant. Le service contractant peut décider d’une résiliation simple au cas où le cocontractant ne respecte pas ses obligations ou qu’il commet des actes frauduleux au cours de l’exécution du marché.Danas cette hypothèses le titulaire du marché est dégagé de ses obligations contractuelles mais ne peut pas percevoir d’indemnité ( Arrêt du Conseil d’Etat du 21 novembre 2013 sus visé).Le service  contractant supporte dans ce cas l’intégralité des conséquences de cette résiliation et devra donc si nécessaire passer un nouveau marché dans le respect des dispositions relatives aux marchés publics.

Si le service contractant résilie le marché public aux frais et risques du titulaire du marché ,le surcoût engendré par la passation d’un marché de substitution pour terminer les prestations objet du marché initiale est supporté par le titulaire défaillant.  il est donc très important de viser dans la mise en demeure le type de résiliation envisagée.La décision de résiliation doit bien sûr  être motivée .Elle doit être accompagnée d’une reddition des comptes établie en fonction des travaux exécutés, des travaux restant à effectuer  et d’un récapitulatif des débits et crédits du titulaire du marché après inventaire contradictoire. La décision de résiliation est signée par le service cocontractant  et notifié au titulaire du marché  par tout moyen permettant de donner date certaine à sa réception (par voie d’huissier  ou par lettre recommandée avec accusé de réception)

Une fois la décision de résiliation rendue et notifiée au cocontractant ce dernier peut contester sa décision dans les quatre mois de cette notification conformément à l’article 829 du code de procédure civile et administrative . Le délai de recours contre un acte administratif n’étant opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné dans la notification de l’acte attaqué en application de l’article 831 du code de procédure civile et administrative, il ya lieu de mentionner ce délai de quatre mois dans la notification de la décision de résiliation et à défaut le recours restera recevable même après le délai de quatre mois sous réserve qu’il soit introduit dans un délai raisonnable.

Par Maitre BRAHIMI Mohamed

Avocat

brahimimohamed54@gmail.com