Se sentant visé par les accusations du syndicat , le président de la Cour des comptes s’est senti soudainement obligé de sortir de sa torpeur pour enfin communiquer sur les motifs qui paralysent son honorable institution. Ses arguments sont autant peu convaincants que fantaisistes. Concernant la non publication des rapports annuels dans le journal officiel alors même que la loi impose cette publication ,il évita bien sûr d’exposer les vraies raisons mais par des faux-fuyants il soutient entre autres que cette non-publication n’a jamais compromis le travail de l’institution qu’il préside ! A une question sur l’absence de contrôle sur certaines grandes sociétés nationales à l’instar de Sonatrach , il asséna une contre-vérité en affirmant que les sociétés nationales ne relèvent pas du contrôle de la Cour de comptes . Cette une contre-vérité qui fit réagir le syndicat des magistrats est d’autant plus inacceptable qu’elle émane du président de la Cour des comptes.
La Cour des comptes a été instituée par l’article 192 de la Constitution . Son fonctionnement et son organisation sont régis par la loi n° 80-05 du 01 mars 1980 relative à l’exercice de la fonction de contrôle par la Cour des comptes.Cette loi a été abrogée et replacée par l'ordonnnance n° 95-20 du 17 juillet 1995 complétée et modifiée par l'ordonnance n° 10-02 du 26 aout 2010.La Cour des comptes est aussi régie par un règlement intérieur fixé par le décret présidentiel n° 95-377 du 20 novembre 1995.
La Cour des comptes possède des attributions très élargies à l’image des Cours des comptes des pays les plus avancés.Mais le problème avec la Cour des comptes algérienne comme nous le verrons tient beaucoup plus à sa gestion et à son fonctionnement qu’au un manque d’outils juridiques lui permettant d’exercer sa pleine juridiction.
En application des dispositions de l’ordonnance n° 95-20 du 17 juillet 1995 complétée et modifiée , la Cour des comptes est une institution de contrôle à posteriori des finances de l’Etat , des collectivités territoriales , des établissements publics , des établissements publics a caractère industriel et commercial ou encore des entreprises et organismes publics qui exercent une activité industrielle , commerciale ou financière et dont les fonds , ressources ou capitaux sont en totalité de nature publique. L’article 8 bis de la loi n° 10-02 du 26 août 2010 a étendu cette liste en y incorporant les sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements, entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision. Elle est aussi habilitée à contrôler la gestion des participations publiques dans les entreprises , sociétés ou organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements ou autres organismes publics, détiennent une partie du capital social. Autant dire que seules les entreprises et sociétés détenus exclusivement par des personnes privées sont exclues du champ de contrôle de la Cour des comptes .
Contrairement donc à certaines déclarations émanant des responsables de la Cour des comptes , toutes les sociétés nationales à l’instar de Sonatrach , Sonelagaz , l’Algérienne des eaux , qui sont des entreprises publiques sont soumises au contrôle de la Cour des comptes. Même Les sociétés dont l’Etat détient une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision peuvent être contrôlées par la Cour des compte .OTA par exemple ( Djezzy) qui est une société par actions dont 51% du capital est détenu par l’Etat algérien via le fonds national d’investissement est soumis au contrôle de la Cour des comptes.
Mieux encore les Cour des comptes peut étendre son contrôle même aux associations de droit privé ou encore aux sociétés ou autres entités privées qui bénéficient de subventions publiques , de garanties ou de taxes parafiscales. Ce contrôle est aussi exercé sur les organismes quel que soit leur statut juridique qui bénéficient de fonds ou de ressources collectés à l’occasion de campagne de solidarité d’envergure nationale en faisant appel à la générosité publique pour soutenir des causes humanitaires, sociales, scientifiques, éducatives ou culturelles. Ce contrôle a été bien sûr institué pour éviter une mauvaise utilisation des fonds collectés par des associations caritatives. Ainsi par exemple la Cour de comptes a dans l’un des rares rapports qu'elle a publié en 1999 épinglé les quatre associations nationales qui ont organisé un téléthon au cours de l’année 1992 .A l’occasion de ce contrôle sur l’utilisation des ressources collectées durant ce téléthon , il été constaté de graves défaillances dans la gestion et l’utilisation des fonds collectés .
Si la Cour des comptes avait exercé sans complaisance ni autocensure son rôle de contrôle tel que prévu par les textes, nulle doute que les situations de mauvaise gestion, de dilapidation ou de dissipation des deniers publics n’auront jamais atteint ce niveau effarant .Il est aussi incontestable que c’est la marginalisation de la Cour des compte qui a fait exploser les comportements délictueux de certains gestionnaires.
Tout d’abord la Cour des comptes est une juridiction financière de l’ordre administratif.A ce titre elle peut prononcer des sanctions mais ces sanctions sous forme d’amendes demeurent beaucoup plus des sanctions disciplinaires que contentieuses.Aussi , si la Cour des comptes constate que les faits reprochés à l’organisme ou société contrôlé constituent des infractions d’ordre pénal, elle ne peut les juger elle-même mais elle doit en vertu de l’article 27 de l’ordonnance n° 95-20 du 17 juillet 1995 transmettre le dossier au procureur général territorialement compétent aux fins de poursuites judicaires et en même temps doit informer le ministre de la justice.Dans un souci de transparence et d’information du public, l’article 16 de la même ordonnance impose à la Cour des comptes d’établir un rapport annuel qui reprend les principales constatations , observations et appréciations résultant de ses travaux d’investigations assortis des recommmandations.Ce rapport qui est adressé au Président de la République et au parlement doit être publié au journal officiel.
Il est donc indéniable que la Cour des comptes de par son statut et ses larges attributions peut jouer un rôle éminent dans le contrôle du bon emploi de l’argent public et incidemment dans la lutte contre les fléaux qui gangrènent notre économie notamment la corruption et les malversations sous toutes leur forme.Mais force est de constater que malgré les outils juridiques disponibles et leur efficacité , la Cour des comptes s’est étrangement tenu en retrait ce qui a suscité la forte et inhabituelle réaction du syndicat des magistra qui a dénoncé la gestion chaotique et opaque de cette institution. Ces reproches sont d’autant plus pertinants que depuis sa création en 1980 seuls deux rapports ont été publiés au journal officiel : le rapport annuel de l’année 1995 publié au journal officiel 19 novembre 1997 et le rapport annuel de l’année 1997 publié au journal officiel du 28 fevrier 1999.En outre , aucune information n’a fait état de poursuites pénales contre un gestionnaire ou un ordonnateur sur transmission du dossier au parquet par la Cour des comptes en application de la loi et cela alors même que les affaires de mauvaise gestion , de corruption ou de dilapidation des deniers publics ont pris une ampleur inégalée ces dernières années .
Par Mohamed BRAHIMI
Avocat à la Cour