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Les premières décisions du Conseil constitutionnel sur l’exception d’inconstitutionnalité

mohamed brahimi Par Le 09/02/2020

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Deux décisions  du Conseil constitutionnel , la première portant le n° 01/D.CC./EI/19 et la deuxième  02 /D.CC./EI/19 datées du 20 novembre 2019 ayant statué sur une exception d’inconstitutionnalité viennent d’être publiées au journal officiel  n° 77 du 15 décembre 2019. Elles sont aussi publiées sur le site du Conseil-constitutionnel.Ces deux décisions qui ont statué sur la même question relative à l’inconstitutionnalité de l’article 416 du code de procedure penale interdisant la voie de l’appel contre les jugements pénaux prononçant des peines d’amendes inferieurs à 20000,00 DA constituent le prélude à une jurisprudence du Conseil constitutionnel en cette matière.

 

Avant de commenter ces décisions  rappelons rapidement  le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité tel que prévu par le constituant algérien ( pour plus de détails sur cette exception , voir notre billet sur ce même blog intitulé " Entrée en vigueur imminente du mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité : Pourquoi et comment déposer une exception d’inconstitutionnalité ").

 L’exception d’inconstitutionnalité est présentée devant une juridiction  par une partie au procès ( procès civil , administratif ou pénal) qui soutient que la disposition législative dont dépend l’issue du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Cette demande ou exception est jugée par le Conseil constitutionnel.Pour que l’exception d’inconstitutionnalité soit admise, des conditions de forme et de fond doivent être réunies .Tout d’abord L’exception est présenté dans un écrit distinct. Ensuite La disposition législative contestée doit déterminer l’issue du litige ou constituer le fondement des poursuites et ne doit pas avoir été  déclarée antérieurement conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.Le moyen soulevé à l’appui de l’exception d’inconstitutionnalité doit en outre  présenter< un caractère sérieux.

Une fois saisi, le Conseil constitutionnel peut soit déclarer la disposition législative conforme à la Constitution , soit au contraire déclarer  que cette disposition  est contraire à la Constitution. Dans la première hypothèse, la disposition législative conserve sa place dans l'ordre juridique interne. La juridiction doit l'appliquer en prenant en compte les éventuelles réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel. Cette décision s'impose également à tous les pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Dans la deuxième hypothèse où la disposition législative est déclarée non conforme à la Constitution , celle-ci perd  tout effet  et disparaît de l’ordre juridique. Pour laisser au Parlement le temps de corriger l’inconstitutionnalité de la disposition législative  abrogée , le Conseil constitutionnel peut déterminer une date ultérieure à partir de laquelle l'abrogation produira ses effets ( article 191 Constitution ). La décision du Conseil constitutionnel est définitive et ne peut faire l’objet d’aucun recours.

Seule la première décision sera commentée puisque la deuxième décision  a statué sur la même question et dans le même sens que la première.Dans le cas d’espèce, un prévenu a été condamné par  le tribunal d’Amizour relevant de la cour de Bejaia à une peine d’amende de vingt mille dinars (20000,00 DA) pour délits de blessures volontaires et d’injure. Le prévenu fit appel de ce jugement devant la cour de Béjaia,mais sachant que l’article 416 du code de procédure pénale n’autorise pas l’appel en matière correctionnelle  quand la peine prononcée n’excède pas 20000 dinars, il introduit devant la cour de Bejaia saisie de cet appel une exception d’inconstitutionnalité au motif que cet article 416  n’est pas conforme à l’article 160 de la Constitution qui  garantit le double degré de juridiction en matière pénale.

Bien avant la saisine du Conseil constitutionnel, l’article 416 du code de procédure pénale dans sa version modifiée par l’ordonnance n° 15-02 du 23 juillet 2015 puis par  l’ordonnance n° 17-07 du 27 mars 2017 a fait couler beaucoup d’encre , et a été sévèrement critiqué notamment par les avocats qui voyaient là effectivement une atteinte au principe intangible et universel du double degré de juridiction en matière pénale.Cet article 416 discutable dispose que :

«Sont susceptibles d’appel :

1- les jugements rendus en matière de délits lorsqu’ils prononcent une peine d’emprisonnement ou une peine d’amende excédant 20.000 DA pour la personne physique et 100.000 DA pour la personne morale et les jugements de relaxe ;

2- les jugements rendus en matière de contravention lorsqu’une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis a été prononcée ».

Cet article 416  , dans sa lecture à contrario , exclut du droit d’appel  les personnes physiques condamnées à une peine d’amende égale ou inferieure à  20 000 DA ,et les personnes morales condamnées à une peine d’amende égale ou inferieure à  100 000DA DA.Le même article n’autorise pas l’appel en matière contraventionnelle sauf si le prévenu a été condamné  à une peine d’emprisonnement.

Lors de la présentation du projet de l’ordonnance du 23 juillet 2015  modifiant et complétant le code de procédure pénale , la modification de l’article 416 excluant l’appel en matière correctionnelle et contraventionnelles  quand la peine prononcée n’atteint pas un certain seuil  a été justifiée par l’encombrement des tribunaux et le manque de sérieux de la majorité des appels formés contre les jugements pénaux qui ne tendent qu’à gagner du temps, et qu’en tout état de cause la peine prononcée est une simple amende. Ces motifs on s’en doute ne sont pas convaincants car une condamnation pénale est une mesure infamante quelle que soit la peine prononcée surtout s’il s’agit de délits portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne et sachant que cette condamnation est inscrite au casier judiciaire.Bien entendu ce n’est pas sur la base de ces griefs exprimés à l’encontre de l’interdiction de l’appel prévu par l’article 416 du code de procédure pénale que le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition législative mais  c’est sur le terrain de son inconstitutionnalité.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a déclaré l’inconstitutionnalité de l’article 416 du code de procédure pénale au motif qu’il est en contradiction avec l’article 160 alinéa 2 de la Constitution  qui garantit le droit au double degré de juridiction  en matière pénale  dans les termes suivants : « La loi garantit le double degré de juridiction  en matière pénale , et en précise les modalités d’application ".Le Conseil constitutionnel a rappelé  dans les considérants de sa décision  qu’en disposant que la loi garantit le double degré de juridiction ,le constituant entend  obliger le législateur à garantir l’exercice  de ce droit en lui précisant  les modalités de son application sans que ces modalités le vident  de sa substance ,le limitent ou excluent quiconque au moment de son exercice. Il posa aussi le principe  que l’exercice du droit d’appel en matière pénale implique qu’aucune entrave par le droit ou par la procédure ne doit empêcher  quiconque de recourir à une juridiction supérieure.

Le Conseil constitutionnel ayant décidé que  l’article 416 du code de procédure pénale qui limite le droit d’appel quand la peine prononcée est égale ou inferieure à 20 000 DA est inconstitutionnelle, quelles sont les modalités d’application  de cette décision ?S’applique-t-elle immédiatement ?Qui en profite ,le prévenu qui a présenté l’exception d’inconstitutionnalité  ou s’applique t-elle à toutes les affaires pendantes devant les juridictions pénales et à celles qui seront jugées ulterieurement?Ces questions soulèvent la problématique des effets des décisions du Conseil constitutionnel  en matière d’exception d’inconstitutionnalité. 

Les effets des décisions du Conseil constitutionnel sont définis par l’article 191 de la Constitution qui dispose :

« Lorsque le Conseil constitutionnel juge qu'une disposition législative ou réglementaire est inconstitutionnelle, celle-ci perd tout effet du jour de la décision du Conseil.

Lorsqu'une disposition législative est jugée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 188 (sur une exception d’inconstitutionnalité), celle-ci perd tout effet à compter du jour fixé par la décision du Conseil constitutionnel.

Une fois saisi le Conseil constitutionnel peut donc soit déclarer la disposition législative conforme à la Constitution , soit au contraire déclarer  que cette disposition  est contraire à la Constitution.

Dans la première hypothèse, la disposition législative conserve sa place dans l'ordre juridique interne.La juridiction doit l'appliquer en prenant en compte les éventuelles réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel. Ces réserves sont de trois sortes :les réserves d’interprétation neutralisantes qui tendent à retirer à la disposition législative contestée l’élément susceptible de rendre son interprétation inconstitutionnelle, les réserves d’interprétation  directives par lesquelles le Conseil constitutionnel va préciser dans quel sens la disposition doit être interprétée pour être conforme à la Constitution , et enfin les réserves d’interprétation additives par lesquelles le  Conseil constitutionnel  ajoute à la loi afin de la rendre conforme à la Constitution.

Dans la deuxième hypothèse où la disposition législative est déclarée non conforme à la Constitution , celle-ci perd tout effet  et disparaît de l’ordre juridique.Pour laisser au Parlement le temps de corriger l’inconstitutionnalité de la disposition législative  abrogée , le Conseil constitutionnel peut déterminer une date ultérieure à partir de laquelle l'abrogation produira ses effets (article 191 de la Constitution ).L’abrogation de la disposition législative peut donc être immédiate ou différée. L’abrogation différée de la disposition législative a pour but de laisser au législateur le temps nécessaire pour remédier aux conséquences de la déclaration de non-conformité à la Constitution.Il s’agit dans les deux cas dune abrogation pour l’avenir.Dans tous les cas , la décision d’abrogation  immédiate a un effet utile dans le sens où elle profite aux justiciables et aux instances en cours quant bien même le Conseil constitutionnel n’a pas précisé cet effet dans sa décision. Mais en tout état de cause il revient au Conseil constitutionnel  de préciser les effets attachés à sa décision par des formules adéquates.  

Ainsi dans sa décision du 20 novembre 2019 , le Conseil constitutionnel a  pris soin de préciser que les dispositions de l’article 416 alinéa 1 et 2 déclarés inconstitutionnelles  cessent leurs effets «  immédiatement «  et que « l’effet de la décision d’inconstitutionnalité  s’appliquent à tous les  jugements en matière pénale dont les délais d’appel n’ont pas été épuisés au moment de l’application des dispositions de l’article 416 ».Cette disposition législative est donc  immédiatement et définitivement abrogée et les cours doivent désormais déclarées recevables les appels formés contre tous les jugements pénaux  sans aucune exception.  

Par Maitre Mohamed BRAHIMI

Avocat à la cour