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Entrée en vigueur de la loi anti-bandes de quartiers : Quel intérêt ?

mohamed brahimi Par Le 05/09/2020

Image bandes quartiers

Promulguée sans   discussion  ni vote du  parlement en vertu  de l’article  142  de la  Constitution  qui donne pouvoir  au Président  de la  République  de  légiférer  par  ordonnance  durant  les  vacances  parlementaires ,  l’ordonnance  n°  20-03 du  30 août 2020 relative à la prévention et à la lutte contre les bandes de quartiers  a  été publiée au journal  officiel n° du  51  du 31 aiut 2020 .Cette ordonnancé est donc  applicable  à partir  de cette  date.

Cette ordonnance prévoit un arsenal repressif impresionnnant qui incrimine  pas moins d'une trentaine d'actes en rapport avec  les bandes  de  quartiers : création organisation,enrôlement,participation  ou recrutement dans une bande de quartiers ( emprisonnement de trois ans à dix ans et une amende de 300.000 DA à 1.000.000 DA) ; exercice  d’un  commandement dans une bande de quartiers (emprisonnement de dix ans à vingt ans et  une  amende de 1.000.000 DA à 2.000.000 DA) ;encouragement par  tout  moyen  ou  financement d’une bande de quartiers ( emprisonnement de deux ans à cinq ans et  une  amende de 200.000 DA à 500.000 DA) ;incitation  d’une  personne  à  rejoindre  une  bande  armée ou à l’empêcher   de rompre avec elle (emprisonnement de cinq ans à douze ans et une amende de 500.000 DA à1.200.000 DA) ; participation à une rixe, rébellion ou réunion d’une bande de quartiers au cours de laquelle sont exercées des violences   (emprisonnement de deux ans à sept  ans et  une  amende de 200.000 DA à 700.000 DA s’il  est porté des  coups ou  fait des blessures  , emprisonnement de cinq ans à quinze ans et une amende de 500.000 DA à 1.500.000 si les  coups ou  blessures  ont entraîné la mort d’un des membres de  la  bande , la  peine de la réclusion criminelle à perpétuité  si les  violences  ont   entraîné la mort d’une personne autre que les membres de la bande) ;  fabrication   ou  fourniture  d’armes blanches  au  profit  d’une bande  de  quartiers  (emprisonnement de cinq  ans à douze  ans et une amende de 500.000 DA à1.200.000 DA) ;non  dénonciation  de  délits  commis  ou tentés  par une bande  de  quartiers  (emprisonnement de six  mois à deux  ans et une amende de 60.000 DA à 200.000 DA).

Toutes  ces  peines sont  portées au double   en  cas  de  récidive  ou si l’infraction  est  commise avec  certaines  circonstances  aggravantes telles  l’utilisation   des  technologies  de  l’information  et  de  la  communication  ,le  port d’arme  à  feu  ou  commission de  l’infraction par  une bande  de  plus de  12 personnes .En  outre l’auteur de l’une des infractions prévues par l’ordonnance ne bénéficie des circonstances atténuantes qu’à concurrence de la moitié du minimum de la peine prévue,  et la  personne  qui  incite  à la  commission  de  ces infractions est  considérée  comme  complice et  sera passible  des mêmes  peines prévues  pour l’auteur. On l’aurait  compris  les actes  commis  en  bandes de quartiers  sont pratiquement assimilés à des  actes de terrorisme de  par  le régime spécifique dont ils relèvent .

Pour   un observateur averti il  ya lieu de  se  poser des  questions sur la pertinence   d’un tel texte dans  le contexte actuel  ,  surtout  que le code pénal contient suffisamment  de dispositions  à même de  réprimer sévèrement  les actes  commis  en groupes ou en  bande à l’instar du  délit d’association de  malfaiteurs  ou d’attroupement   armé  ou  non armé .Il est  évident  que  cette ordonnance   repose  sur une idée fausse  selon laquelle durcir  les peines  serait dissuasif  et efficace, ce  qui  n’est  pas  le cas .Désormais le  simple fait d'appartenir à une bande de  quartier pourra être puni  d’une peine  de 10 ans  d’emprisonnement  et d’une  amende de 1 000  000  de  dinars.

En  vérité  cette ordonnance  , qui  sera sans   aucun  doute  adoptée par le parlement   et  passera comme  une  lettre  à la  poste  sans aucune  discussion  sérieuse  ,  pourrait  constituer   une menace   pour  les libertés publiques si elle est  mal  interprétée  ou mal appliquée par les organes de poursuites  pénales et  par les magistrats. On  peut  considérer  que la nouvelle loi  institue des  « délits   préventifs »  au sens  où  le  seul fait d’être suspecté  de  commander  ou  d’appartenir à  une bande de quartiers   à quelque titre  que ce soit  peut être  lourdement sanctionné d’une  peine  qui peut aller  de  2 ans  à  20 ans  d’emprisonnement  suivant  la  nature et les circonstances de la commission de  l'infraction . D’ailleurs l’article  1 de l’ordonnance   énonce  expressément que  son   objet  est «   la prévention et la lutte contre les bandes de quartiers ».En  outre ,  et    alors que la  tentative  en matière  correctionnelle  est exceptionnelle  et doit être  prévue  expressément par  un  texte  de  loi , tous  les  délits  prévus  par  la nouvelle  ordonnance  sont  réprimés  en tant  que  tels même s’il ne  s’agit  que d’une tentative.

L’ordonnance  dispose  dans  son article  2  qu’elle  entend  par  bande  de  quartiers  «  tout groupe, sous quelque dénomination que ce soit, composé de deux personnes ou plus, appartenant à un ou à plusieurs quartiers d’habitation, qui commet un acte ou plus dans le but de créer   un climat d’insécurité, à l’intérieur des quartiers ou dans tout autre espace, ou dans le but d’en assurer le contrôle, en usant de violences morales ou physiques, exercées à l’égard des tiers, en mettant en danger leurs vies, leurs libertés ou leur sécurité ou en portant atteinte à leurs biens, avec port utilisation d’armes blanches apparentes ou cachées. ».

Le problème est que  cette  définition  laisse telle quelle la  problématique  de  la  signification du concept «   bande de  quartiers »  quant  il   ne s’agit pas   de poursuivre et de condamner  des actes  de violence commis par  un   groupe dont  les éléments  ont  été identifiés  ,mais de sanctionner  l’appartenance  à  une  bande  de  quartiers n’ayant pas  encore commis d’actes répréhensibles. Quand peut-on  affirmer  qu’un  groupe de  jeunes  ayant l’habitude  de  se  rencontrer au bas  d’un immeuble est  une  bande de  quartiers et  par  voie  de  conséquence  considérer  ses  membres  comme  délinquants au  sens  de  l’ordonnance  et  donc  passibles  de poursuites  pénales quant  bien  même ils  n’ont commis aucune acte de violence ou de dégradation ? C’est  à ce  niveau qu’il  ya un risque  d’arbitraire  aussi  bien  policier  que  judiciaire avec  toute  la panoplie   rattachée  aux procédures  pénales (  arrestation, garde  à  vue, fouilles,fichage…) 

L’incrimination  étant   extrêmement floue et imprécise  ,il  est  à craindre  que  les tribunaux  à  fortiori  dans ce  contexte  particulier, prononcent  des  condamnations  à tout  va  , surtout que  nos magistrats ne  sont  pas  réputés  être  très pointilleux  avec  les  qualifications pénales   et  ont une fâcheuse    propension à  des interprétations non seulement extensives  des  lois   pénales ,mais  souvent  ont  recours  à  des interprétations  qui  n’ont  aucun  rapport avec  les faits  objets  des  poursuites. Ainsi  ,le  fait  de  protester en  groupe contre la  non attribution  de logements  ,d’organiser  un  sit-in   devant le siège d’une institution  ou  participer  à une manifestation  dans  un  climat tendu à  fortiori  si  celle-ci a été dispersée  par  la force  publique ,peuvent  être  qualifiés  d’actes  commis en bandes  alors  même   que ce  sont des comportements  étrangers  à  la délinquance. Il y a  là  donc  effectivement un  risque majeur  que  sous couvert de  lutte  contre  les bandes de  quartiers ,la nouvelle loi  sera  utilisée  pour   réprimer des citoyens  ou militants qui  veulent  agir de  concert et  ensemble pour faire  aboutir des droits  ou des  revendications  légitimes.

Il est  regrettable  qu’en Algérie plus qu'ailleurs c’est  la politique du tout répressif accouplée à des  peines de  prison   d’une sévérité   extrême  qui est  favorisée au détriment de la prévention y  compris  quand  il s’agit d’infractions commis  par  la frange la plus  fragile de la société  en  l’occurrence  les jeunes.Il est incontestable que les bandes  de quartiers  sont  très  majoritairement  constituées de  jeunes  de  moins  de 30  ans et souvent  de  mineurs. Aussi tenter  de  résoudre ce genre de  délinquance  par  le  recours à la  répression n’est  pas la  solution idoine  notamment dans une  société  qui  a connu des traumatismes  à  répétition  d’une ampleur insoupçonnée   et  qui  plus est  n’ont jamais fait l’objet  d’un traitement  approprié. Il  aurait été plus  judicieux   de  faire un  travail de  sensibilisation et  de  protection  par le  recours  par  exemple   à  des  éducateurs qui  interviendraient dans les  quartiers auprès des  jeunes.En  outre, tout traitement  judiciaire de  la  délinquance juvénile est improductif si en amont  rien n’est  fait  pour  garantir une formation  et un  avenir  seuls à  même  de  promouvoir   une saine  politique  envers  les  jeunes  et  par  conséquent annihiler  ou tout  au  moins  contenir  cette  délinquance.

Mohamed BRAHIMI

Avocat  à  la  cour de  Bouira

brahimimohamed54@gmail.com