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L’absence de jurisprudence : cause des dérives judiciaires

mohamed brahimi Par Le 19/04/2016

Les professionnels du droit notamment les avocats connaissent l’importance de la jurisprudence dans le développement du droit et la protection du justiciable.Un arrêt de jurisprudence est un arrêt dans lequel le juge ( généralement le juge suprême - le juge de la Cour suprême ou celui du Conseil d’Etat - ) rend une décision sur une question de droit determinée.Dans le système judicaire anglo-saxon, la jurisprudence y compris celle des cours d’appel  joue un rôle primordial car les arrêts de ces cours lient  les tribunaux inférieurs jugeant des affaires similaires .Une fois sa décision rendue , la cour d’appel  sera liée par son propre jugement.L’avantage de ce système est qu’il évite que des affaires similaires soient différemment jugées ce qui a pour conséquence entre autres d’annihiler toute possibilité de favoritisme ou de déni de justice.

 

 

Dans le système de droit romain dont relève le système algérien, la jurisprudence n’a pas cette importance quoique là aussi les décisions rendues par les hautes juridictions notamment la Cour suprême  ou le Conseil d’Etat acquièrent une autorité dont ne devrait pas déroger le juge inférieur.Pour certaines décisions notamment celles rendues par les chambres réunies ou les chambres mixtes, elles acquièrent une autorité renforcée .Pour le cas de l’Algérie, les décisions de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat ont cette autorité en vertu de la constitution et de la loi portant fonctionnement de la Cour suprême et du Conseil d’Etat.

Il va de soi que la jurisprudence ne peut jouer son rôle que si celle-ci est publiée et portée à la connaissance tant des professionnels du droit que du simple citoyen.La jurisprudence participe et doit participer au développement du droit et à l’instauration d’une justice juste et équitable.Dans tous les systèmes judiciaires, la jurisprudence est propagée soit par voie de publication ( revues juridiques,répertoires,ouvrages…) soit par la voie électronique ou informatique notamment par Internet via les sites dédiés aux diverses juridictions  .

En Algérie , il existe bien un site dédié à la Cour suprême et un autre au Conseil d’Etat mais force et de constater que ces deux juridictions sont loin de jouer leur rôle en matière de diffusion de leur jurisprudence.La comparaison entre le nombre d’arrêts publiés sur ces deux sites avec la jurisprudence des juridictions similaires étrangères renseigne sur l’absence incompréhensible d’une large diffusion des arrêts rendus par ces deux hautes juridictions censées unifier la jurisprudence :

- Nombre d’arrêts de la  Cour de cassation française consultables sur Internet ( notamment le site Légifrance ): 455353

- Nombre d’arrêts de  la Cour de cassation marocaine consultable sur   Internet : 10680

- Nombre d’arrêts de  la Cour de cassation tunisienne consultables sur   Internet : 12000

Quant au nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême algérienne et consultables sur Internet notamment sur le site de cette institution  il est de …584 et le plus récent des arrêts publiés remonte à l’année… 2012  .Quant à ceux rendus par le Conseil d’Etat algérien  qui est la plus haute juridiction administrative ,  l’onglet «  jurisprudence » du site  de cette institution  affiche la mention «  en maintenance» depuis plusieurs années.Les arrêts du Conseil d’Etat ne peuvent de ce fait être consultés sur le site Internet de cette institution.L’absence de publication des arrêts  de cette dernière haute juridiction est d’autant plus préjudiciable que la  jurisprudence administrative est une source importante du droit administratif.

Le plus énigmatique dans cette absence de jurisprudence tant de la Cour suprême que du conseil d’Etat est que l’unique revue juridique qui était publiée  par ces deux juridictions en l’occurrence «  la revue de la Cour suprême » pour la première et   «  la revue du Conseil d'Etat » pour la seconde sont introuvables sur le marché et ne font l’objet que d’une diffusion restreinte réservée aux seuls magistrats. Cet état de fait avait fait réagir la corporation des avocats lésés dans leur droit à l’information juridique  qui lança un appel aux responsables du secteur à l’effet de libérer  cette information garantie par la loi.D’aucuns se sont interrogés sur les tenants et les aboutissant de cette « rétention » de l’information jurisprudentielle.Est-ce dû à un manque d’encadrement notamment l’inexistante de la cellule censée accompagnée ces deux hautes juridictions dans leur mission de vulgarisation du droit ou est-ce dû à la mauvaise qualité des arrêts les rendant impubliables comme le susurre certains confrères.

Le ministère de la justice ayant investi un budget colossal pour moderniser la justice , et le résultat de cette modernisation étant indéniable ,la dernière réforme en date étant l’accès aux décisions judiciaires par voie électronique , il est regrettable que cette modernisation n’ait pas été suivie par le développement des compétences humaines notamment celles en rapport avec ce qui intéresse le plus le justiciable et l’homme de loi c'est-à-dire la diffusion du droit et de la jurisprudence des deux plus hautes juridictions du pays.

Permettre aux magistrats de travailler dans un environnement serein dégagé des contraintes matérielles c’est bien , mais inciter ces mêmes magistrats notamment ceux des hautes juridictions à publier  leurs décisions , seule garantie pour  une justice équitable et performante, c’est mieux. Le législateur lui-même a insisté sur cet aspect de la justice qui relève  du droit du citoyen à être informé des décisions  prise au nom du peuple, puisque l’article 5 de la loi organique du 26 juillet 2011 portant création de la Cour suprême dispose que « la Cour suprême œuvre à la publication de ses arrêts ».

 l’absence d’une jurisprudence constante reposant sur une légalité irréprochable ne peut qu’avoir un effet pervers sur la crédibilité des décisions de justice.Le rôle de la Cour suprême et du Conseil d’Etat n’est pas seulement d’œuvrer à la publication de leurs arrêts mais ils sont tenus aussi d’unifier leur jurisprudence et ne pas persister dans le maintien d’une jurisprudence contradictoire.Devant un vide juridique et le silence de la loi , ce qui est souvent le cas dans les procès tant administratifs, civils ou pénaux, c’est à ces deux juridictions qu’il appartient de combler ce vide en énonçant la règle de droit appropriée.Leurs décisions doivent impérativement être diffusées ou publiées afin qu’elles intègrent le système juridique. C’est la seule façon d’éviter des abus ou des interprétations erronées préjudiciables au  justiciable.

Le peu d’intérêt qu’accordent ces deux hautes juridiction à la diffusion de leurs arrêts impacte non seulement la qualité des jugements rendus par les juridictions inférieures mais même ceux rendus par ces mêmes deux juridictions .Des exemples de décisions contradictoires rendues par la Cour suprême et par les cours et les tribunaux  sur  des litiges similaires foisonnent.Ainsi et concernant par exemple la question de la prescription des droits successoraux la jurisprudence constante de la Cour suprême a été que les droits successoraux sur des immeubles se prescrivent par 33 ans et ce conformément à l’article 829 qui dispose que : «  on ne peut prescrire les droits successoraux que par une possession de 33 ans ». Ce principe a été battu en brèche par des  arrêts ultérieurs de cette même Cour suprême  notamment par l’arrêt du 31/05/2000 de la 2e ambre foncière , l’arrêt du  18/07/2001 de la chambre des affaires familiales et des successions et enfin  l’arrêt du  12/04/2006  de  la 3e chambre foncière .Cette nouvelle jurisprudence pose  une nouvelle règle complètement antinomique avec la précédente et selon laquelle les  droits successoraux ne se prescrivent pas et ce au motif qu’il existe un obstacle moral à la revendication du bien successoral tiré du lien de parenté .

Cette jurisprudence qui n’est pas à mon sens convaincante a été une nouvelle foi remise en cause par un arrêt ultérieur en date du 17/01/2007 rendu par la chambre foncière.Ce dernier arrêt conforte l’ancienne jurisprudence qui  soumet les droits successoraux à la prescription acquisitive de 33 ans.Les juges ayant rendu cette dernière décision ont entre autres arguments avancé le fait que ne pas soumettre les droits successoraux à la prescription feraient de ces droits des droits perpétuels ce qui est contraire à l’esprit de l’article 829 du code civil,  ce qui est vrai.En vérité cet article de loi se suffit à lui-même puisqu’il autorise expressément la prescription  des «  droits successoraux ». Il est probable que les juges des trois arrêts  ayant décidé de la non prescription des droits successoraux ont confondu entre « l’obstacle moral » applicable en matière d’obligations , «  la possession fondée sur des actes de pure faculté ou de simple tolérance » qui n’a aucun rapport avec le lien de parenté  » et « L’interruption de la prescription  contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement quelconque » qui s’applique en toutes matières.

Eu égard à l’importance de la question tranchée par ces arrêts contradictoires , la Cour suprême aurait dû trancher définitivement ce point de droit par saisine des chambres réunies ou de la chambre mixte à qui il reviendra d’unifier sa jurisprudence.Ce vide juridique  laisse le champ libre aux différentes chambres de la Cour suprême ainsi qu’aux autres juridictions de statuer sur la question de la prescription des droits successoraux au gré de leur humeur ou de leur conviction sachant qu’il ne n'est pas équitable de déposséder  un justiciable d’un immeuble dont il a la possession de père en fils au seul motif que cet immeuble faisait partie d’une succession.

Ce simple exemple parmi tant d’autres fait apparaître l’importance  de la jurisprudence dans tout système judiciaire.La fiabilité ,la crédibilité et la pertinence de la justice ne peut se concevoir  en l’absence de publication des décision rendues par les plus hautes juridictions notamment la Cour suprême et le Conseil d’Etat qui ont pour rôle de réguler l’activité judiciaire et d’unifier la jurisprudence.L'urgence d'une prise de conscience des responsables du secteur de la justice sur les effets néfastes d'un tel immobilisme en matière de vulgarisation de la jurisprudence  des juridictions nationale n'est pas à démontrer tant les questions juridiques soulevées lors des différends procès , et dont la solutions n'est pas évidente au vu de l'opacité de certains textes de loi , sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus ardues à résoudre.

Maitre M.BRAHIMI

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