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Les infractions de presse contre les personnes et la vie privée d'autrui en droit pénal algérien ( 2e PARTIE)

mohamed brahimi Par Le 21/06/2017

III. – L’outrage et l’offense

Les délits d’outrage et de l’offense relèvent  du code pénal à l’exception de l’outrage envers les chefs d’Etats étrangers et les membres des missions diplomatiques qui est prévu et puni par la loi organique du 12 janvier 2012 (art.12).

 

 A. - L’outrage

1. - L’outrage envers les chefs d’Etats et agents diplomatiques étranger

  Le délit d’outrage visant les représentants étrangers est prévu par l’article 123 de la loi organique du 12 janvier 2012.Il peut s’agir soit d’un chef d’Etat étranger, soit d’un membre des missions diplomatiques accrédité auprès de l’Algérie.Cette incrimination est justifiée par le souci de consolider les relations diplomatique de l’Algérie avec les pays tiers, et ce en offrant à leurs représentants officiels une protection particulière contre l’atteinte à leur dignité.

a. - L’outrage envers les chefs d’Etats étrangers

L’article 123 de la loi organique du 12 janvier 2012 vise « les chefs d’Etats étrangers » sans autres précisions.Est-ce à dire que seul ce personnage est protégé contre l’outrage ? Il est clair que cette protection spéciale s’applique au seul chef d’Etat étranger et ne s’étend pas aux membres de sa famille qui, en ce qui les concerne, ne peuvent recourir qu’à la diffamation ou  l’injure s’il y a atteinte à leur honneur ou à leur considération.Il faut en outre que le Chef d’Etat étranger ait été outragé dans l’exercice de ses fonctions.

L’article 123 de la loi organique du 12 janvier 2012 ayant protégé les diplomates étrangers dans les mêmes conditions,il faut donc comprendre par «  chef d’Etat » non seulement le président de la République,mais aussi le souverain (Roi, Empereur ,Emir), le Chef du gouvernement ou encore le Ministre des affaires étrangères en tant que Chef de la diplomatie.Par contre , il n’y a pas d’outrage au sens de l’article 123 de la loi organique du 12 janvier 2012 si la personne visée est un autre responsable de l’Etat étranger tel que le vice-président , ou un ministre autre que le Ministre des affaires étrangères.

L’élément matériel de l’infraction réside dans le fait d’outrage qui recouvre toute expression blessante et méprisante, ou tout autre propos de nature à porter atteinte à l’honneur, à la considération ou au respect dû à l’autorité de la personne visée.L’outrage acquiert ici une acception qui englobe la diffamation et l’injure.L’infraction est constituée quant bien même les propos outrageants concernent non pas la vie publique mais la vie privée du chef de l’Etat.

Pour que le délit soit constitué, il faut un acte de publicité. L’article 123 de la loi organique du 12 janvier 2012 exige la commission de l’infraction par l’un des moyens d’information prévus par cette même loi, c'est-à-dire par  voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne.Hors ces cas, le délit n’est pas constitué mais dégénère en injure envers les particuliers.

L’outrage envers les chefs d’Etats étrangers étant une infraction intentionnelle, le délit n’est donc constitué qu’en présence d’une intention coupable.Il est nécessaire donc que soit rapportée la preuve que les propos outrageants ont été publiés ou diffusés dans le but de porter atteinte à l’honneur ou à la dignité du chef de l’Etat.L’intention coupable donc ne se présume pas.

L’outrage envers les chefs d’Etats et agents diplomatiques étrangers est sanctionné par une simple amende correctionnelle de 25.000 à 100.000 DA.

b. - L’outrage envers les agents diplomatiques étrangers

L’article 123 de la loi organique du 12 janvier 2012 relative à l’information utilise l’expression « membres des missions diplomatiques accrédités auprès du gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire ».Hormis la spécificité tenant aux personnes visées,ce délit obéit aux mêmes principes que ceux qui participent à l’outrage envers les chefs d’Etats étrangers.Le vocable de « membres des missions diplomatiques » englobe non seulement les ambassadeurs et les ministres plénipotentiaires,mais aussi les chargés d’affaires et autres agents diplomatiques.L’article 123  de la loi organique du 12 janvier 2012 exige que ces personnes soient accréditées auprès du gouvernement algérien ce qui exclut celles qui n’étaient que de passage sur le territoire national et accréditées auprès d’autres nations.

A l’instar du délit d’outrage envers les Chefs d’Etats étrangers, le délit d’outrage envers les agents diplomatiques étrangers est soumis à la même condition de publicité ,et requiert l’intention coupable.Il est aussi sanctionné de la même peine c'est-à-dire d’une amende correctionnelle de 25.000 à 100.000 DA.

 2. - L’outrage envers un corps constitué ou une institution publique

Nous avons dit que l’article 146 du code pénal protège les corps constitués ou les institutions publiques aussi bien de la diffamation que de l’injure ou de l’outrage.La définition des notions de « corps constitués  » ou d’« institutions publiques » a déjà été abordée  et il n’y a pas lieu d’y revenir .Ici aussi l’outrage s’entend dans son acception la plus large à l’instar de l’outrage au chef de l’Etat.

    Quelle que soit la nature du propos litigieux (injure, diffamation, outrage), le délit est puni de la même peine (100.000 à 500.000 DA) s’il est commis par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou de tout autre support  de la parole ou de l’image.

3. - L’outrage à fonctionnaire

Le législateur algérien a réprimé l’atteinte à l’honneur ou à l’autorité d’un fonctionnaire en tant que délit d’outrage et non en tant que délit de diffamation.L’article 144 du code pénal punit : « quiconque dans l’intention de porter atteinte à leur honneur , à leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité,outrage dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, un magistrat,un fonctionnaire,un officier public,un commandant,ou un agent de la force publique,soit par paroles,gestes,menaces,envoi ou remise d’objet quelconque,soit par écrit ou dessin non rendu public. » L’outrage peut donc être défini comme toute expression offensante,outrageuse,injurieuse ou diffamatoire,adressée à un représentant de l’autorité publique,dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, de nature à porter atteinte à son honneur,à sa délicatesse ou au respect dû à son autorité.

 L’absence de l’élément de publicité empêche de classer cette infraction parmi les délits de presse .Le délit est consommé  même si l’écrit ou le dessin n’a pas été rendu public, aussi se pose la question de savoir quelle qualification donner à un écrit ou dessin outrageant publié ou diffusé par la presse.Ce fait relève t-il toujours de l’outrage ? La législation algérienne n’a pas prévu le cas d’outrage public à fonctionnaire.Dans cette hypothèse c’est en vertu du délit de diffamation ou d’injure publique que les poursuites peuvent être engagées.Mais paradoxalement cette requalification aura pour conséquence d’assouplir la peine encourue.

le délit d’outrage à un représentant de l’autorité publique est puni d’un emprisonnement de 2 mois à 2 ans et d’une amende de 20.001 à 100.000 DA ou de l’une de ces deux peines seulement (art.144 C.P).

B. - L’offense

1. - L’offense au Président de la République

L’article 144 bis du code pénal sanctionne  « toute personne qui offense le Président de la République par une expression outrageante, injurieuse ou diffamatoire, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration, ou de tout autre support de la parole ou de l’image, ou que ce soit par tout autre support électronique, informatique ou informationnel ».

a. - La protection du Président de la République

La loi protège le Président de la République , c'est-à-dire la personne exerçant les prérogatives du Chef de l’Etat.Les pouvoirs que confère la qualité de Président de la République sont fixés par la constitution de 1996 modifiée .C’est ce personnage qui incarne l’Etat dans le pays et à l’étranger (art.84 const.),exerce la magistrature suprême (art.86const.),nomme le Premier ministre et préside le conseil des ministres (art.91const.), décrète l’état d’urgence  et déclare la guerre  (art.105 et 109 const.) , promulgue les lois (art.144 const.).

Le Président de la République est élu au suffrage universel (art.85 const.), mais dans certaines circonstances exceptionnelles,les prérogatives du Président de la République sont transférées à une autre personne ou entité.C’était le cas en Algérie pour le Président du Haut Conseil d’Etat ( H.C.E.) créé en 1992 après le démission du Chef de l’Etat en titre.Il en serait de même pour le Président du Sénat qui serait appelé à assurer l’intérim du Président de la République en cas de vacance ou d’empêchement du Chef de l’Etat ( décès,maladie invalidante,démission…).

Seul  le Président de la République en exercice est protégé par l’article 144 bis du code pénal.Les anciens Présidents de la République ne peuvent se prévaloir du délit d’offense , mais tout au plus peuvent-il agir en qualité de particuliers quand ils font l’objet d’injure ou de diffamation quant à leurs activités  postérieures à l’exercice de leur mandat de Président de la République.La jurisprudence considère que le Président de la République qui n’est plus en exercice est recevable en sa plainte en offense , si les propos offensants portent sur des faits anciens mais relatifs à la période de fonction.

b. - Les éléments constitutifs

Pour qu’il y ait répression ,les propos tenus ou le message diffusé  doivent s’analyser en une offense , c'est-à-dire suivant la définition de l’article 144 bis du code pénal « une expression outrageante,injurieuse ou diffamatoire ». Le législateur algérien a voulu par cette définition réprimer tout acte ou propos qui peut être assimilé à un outrage,une injure ou une diffamation.Il n’y a donc pas lieu à distinguer entre ces trois notions.Toute expression blessante,méprisante terme de mépris ou invective même ne renfermant l’imputation d’aucun fait précis  ou portant atteinte à l’honneur ou à la considération du Président de la République constitue une offense.On l’aura compris,le législateur  donne à la notion d’offense une acception très large qui englobe en fin de parcours l’injure,l’outrage et la diffamation.

Selon la Cour de cassation française,constitue une offense au Président de la République « toute expression offensante ou de mépris…toute imputation diffamatoire qui,à l’occasion tant de l’exercice de la première magistrature de l’Etat que de la vie privée du Président de la République sont de nature à l’atteindre dans son honneur ou dans sa         dignité ».Elle a aussi jugé que l’offense au Président de la République pouvait être contenue non seulement dans des écrits ou des déclarations , mais aussi dans un dessin ou une caricature  et même dans un montage photographique.

En vertu de l’article 144 bis du code pénal, l’offense peut se réaliser soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration, ou de tout autre support de la parole ou de l’image, soit par tout autre support électronique, informatique ou informationnel.Si donc l’offense est faite par l’un  des moyens d’information prévus par ce texte (presse écrite, audiovisuelle ou en ligne), on serait devant un délit de presse.

Mais si l’offense est réalisée sans publicité (offense non publique) ,l’infraction de l’article 144 bis du code pénal est-elle constituée ou alors dégénère t-elle en outrage à un représentant de l’autorité publiques  prévu par l’article 144  de même code ,le Président de la République étant considéré comme un magistrat de l’ordre administratif ? Contrairement à la législation française qui exige l’élément de publicité même s’agissant de simples déclarations offensantes, l’article 144 bis du code pénal algérien n’en fait pas mention.Aussi le délit d’offense au Président de la République est constitué et sanctionné même en l’absence de publicité, c'est-à-dire même si le propos ou le message offensant n’a pas été publié ou diffusé.

Comme toute infraction intentionnelle, le délit d’offense au Président de la République suppose l’intention coupable, c'est-à-dire l’intention de nuire au Président de la République par des propos ou des écrits aux contenus injurieux, outrageants ou diffamatoires.

C. - Sanctions

Bien que le délit vise le Président de la République ,il n’est puni par l’article 144 bis du code pénal que d’une peine d’amende  correctionnelle de 100.000 DA à 500.000 DA.Cette amende peut être porter au double en cas de récidive.Comparée à la peine prévue pour l’outrage à un simple fonctionnaire qui peut aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement,la peine prévue pour l’outrage au Président de la République est très légère.Elle est justifiée par le souci du législateur de ne pas réprimer sévèrement la critique de l’action du chef de l’Etat.

2. - L’offense au prophète et aux envoyés de Dieu

  1. - Les éléments constitutif

 

L’article 144 bis 2 du code pénal réprime l’offense dirigée contre le prophète et les envoyés de Dieu.Le texte de loi vise le prophète en l’accompagnant de l’expression « paix et salut soit sur lui » ce qui induit qu’il s’agit du prophète de l’Islam Mohammed (QSSL).Le même texte protège les envoyés de Dieu.L’Islam distingue le prophète des autres envoyés de Dieu.Le prophète peut être un prophète messager ou non messager.Le prophète messager (Rassoul) est un prophète à qui Dieu révèle une nouvelle loi.Il s’agit de nouveaux enseignements ou commandements dont il est chargé de transmettre au peuple où il a été envoyé.Mohammed (QSSL) est le dernier de ces prophètes.Quant aux prophètes non messagers ( Anbiya dans le texte arabe de l’article 144 bis 2),ils sont dépositaires d’une révélation divine sans qu’ils soient chargés de la répandre tout en prêchant l’application des lois divines révélées par les prophète messagers qui les ont précédés.Tout prophète est donc envoyé de Dieu mais le contraire n’est pas vrai.Les autres prophètes autres que le prophète Mohammed (QSSL) doivent donc  être assimilés aux envoyés de Dieu pour l’application de l’article 144 bis 2 du code pénal.

L’article 144 bis 2  de code pénal utilise le terme « offense » sans autre précision, aussi et par analogie à l’offense au Président de le République de l’article 144 bis du code pénal, il y a lieu d’appliquer la définition donnée par ce texte et par là considérer comme offense toute expression injurieuse , outrageante ou diffamatoire.Ici aussi ,le législateur n’exige pas que l’offense soit publique.L’article 144 bis 2 punit l’offense commise aussi bien par voie d’écrit,de dessin,de déclaration ou tout autre moyen ,c'est-à-dire les mêmes moyens utilisés pour l’offense envers Président de le République.

Comme c’est le cas pour l’offense envers Président de le République, l’offense envers le prophète et les envoyés de Dieu n’est constitutive d’un délit qu’en présence de l’élément moral, c'est-à-dire l’intention coupable caractérisée par la conscience d’offenser le prophète ou un envoyé de Dieu.

  1. – Sanctions

 

Plus qu’aucune autre infraction de presse touchant l’honneur ou la considération d’autrui, le délit d’offense envers le prophète ou les envoyés de Dieu est punie d’une très lourde peine.L’auteur d’une telle infraction encourt un emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende de 50.000 à 200.000 DA ou l’une de ces deux peines seulement.

3. - Le dénigrement du dogme ou des préceptes de l’Islam

a. - Les éléments constitutifs

L’article 144 bis 2 du code pénal contient une autre incrimination proche de celle d’offense au prophète et aux envoyés de Dieu.Il s’agit du délit de dénigrement du dogme ou des préceptes de l’Islam.La difficulté que soulève cette infraction est celle relative à la définition de la notion de « dénigrement » et de « dogme et préceptes de l’Islam ».

Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur une personne ou une entité ou à en dire du mal.S’agissant d’une religion, le dénigrement consiste à diffuser une parole, un discours, un message qui insulte ou porte atteinte à la considération ou à la réputation de cette religion.Il s’agirait en fait d’un blasphème dirigé non pas contre Dieu mais contre la réputation de l’Islam en tant que religion.Dès lors le dénigrement peut se confondre avec la diffamation.

En 2008 , les Nations Unies ont adopté une résolution intitulée « Diffamation des religions », mais suite à une controverse sur la pertinence de cette notion qui serait antinomique avec les principes universels notamment le liberté d’expression et d’opinion , le concept a été abandonné et la résolution a été réintitulé en 2011 « Lutte contre l’intolérance,les stéréotypes négatifs,la stigmatisation ,la discrimination,l’incitation à la violence visant certaines personnes en raison de leur religion ou de leur conviction ».Ce nouveau concept ,s’il vise à protéger les religions notamment l’Islam contre la diffamation,il ne permet de restreindre la liberté d’expression qu’à l’égard des discours d’incitation à la haine et à la violence.L’expression d’une opinion ne peut dès lors en vertu de cette résolution être interdite que si elle est une incitation à commettre un acte de violence ou de discrimination contre un individu ou un groupe d’individus.

L’article 144 bis 2  , introduit dans le code pénal par la loi du 20 décembre 2006 donc  avant l’adoption de la résolution des Nations Unies , permet des poursuites pénales au motif de dénigrement  du dogme ou des préceptes de l’Islam, c'est-à-dire le dénigrement de l’Islam en tant que religion et ce même en l’absence d’un acte de violence ou de discrimination.Le dénigrement se suffit donc à lui-même.L’infraction est constituée quel que soit le moyen utilisé pour dénigrer l’Islam (écrit,dessin,déclaration,discours,message,caricature…).Comme toute infraction de publication,le dénigrement du dogme ou des préceptes de l’Islam suppose la publicité et à défaut le délit n’est pas constitué.

b. – Sanctions

202. - L’article 144 bis 2 du code pénal punit le dénigrement du dogme ou des préceptes de l’Islam des mêmes peines prévues pour le délit d’offense envers le prophète et les envoyés de Dieu, c'est-à-dire l’emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende de 50.000 à 200.000 DA ou l’une de ces deux peines seulement.

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